Interview de Benjamin Stora à TSA : «A l’été 2024, la politique est venue percuter le travail historique»

06/02/2025 mis à jour: 15:27
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Photo : D. R.

C’est au moment précisément où il y a eu la déclaration du président français sur le Sahara occidental que les choses ont commencé à se détériorer dans la relation entre les deux pays», a souligné, lundi, l’historien Benjamin Stora dans une interview accordée au site d’information TSA.

Il a évoqué, entre autres, le poids du passé dans la relation France-Algérie, la crise actuelle entre les deux pays, la mission qui lui a été confiée par le président français, la commission mixte d’historiens, les blocages, l’affaire Boualem Sansal et les attaques de l’extrême droite contre sa personne.

Selon TSA, Stora s’est dit disposé «à mener une médiation» entre les deux pays, si on lui proposait la mission. Selon lui, la raison principale des frictions observées entre Alger et Paris est la question du Sahara occidental,  même si les déclarations faites auparavant sur la question de la «rente mémorielle» ont contribué à abîmer les relations politiques entre les deux pays.

A une question sur l’inéluctabilité de la crise avec la montée de l’extrême droite en France, l’historien estime que ce courant politique «a repris de la vigueur depuis la crise qu'a connue le grand parti gaulliste, lorsque Nicolas Sarkozy a pris la direction de ce parti et est devenu président de la République». «Il y a eu à droite l’abandon de la tradition gaulliste de la question de la décolonisation, a-t-il dit.

Cela a ouvert la voie à l’extrême droite qui, elle, s’est toujours prononcée contre la politique de décolonisation qui était voulue par le général de Gaulle.» «(…) Des idées d’extrême droite ont progressé au sein de la société française depuis maintenant une vingtaine ou une trentaine d’années.

Ces idées sont hostiles à tout rapprochement avec l’Algérie. Il y a bien une hostilité manifestée par l’extrême droite à l’égard de l’Algérie, parce qu’il y a eu cette indépendance de 1962 et à chaque fois, l’extrême droite française, faite des héritiers de l’OAS en grande partie, n’acceptait pas l’histoire telle qu’elle s'était accomplie», a-t-il expliqué.

«L’Algérie aussi a le droit de riposter»

S’agissant du discours algérophobe qu’on entend dans les médias français, l’historien a estimé que l’«Algérie aussi a le droit de riposter à toutes ces escalades verbales». «C’est vrai que quand on regarde certaines chaînes de télévision françaises, il y a une mise en accusation permanente de l’Algérie, de son indépendance, de son histoire», a-t-il dit.

Toujours en ce concerne les relations entre les deux pays, l’historien a mis en garde contre le fait de croire que l’Algérie et la France peuvent avoir une histoire commune. «Je ne crois pas à ça. Je crois que l’Algérie a une histoire, la France a une histoire. Par contre, ce qu'on peut faire au moins,  est de trouver des passerelles», a-t-il suggéré.

S’exprimant  au sujet de l’affaire Boualem Sansal, Benjamin Stora a indiqué qu’il «est très difficile d’exprimer des divergences avec une personne qui est privée de liberté». Des divergences portant notamment sur la question des frontières. «J’ai trouvé  absurde de dire  que l’Ouest algérien n’est pas algérien», a-t-il argumenté. Pour lui, le meilleur moyen d’exprimer ces divergences serait de se retrouver face à Boualem Sansal et pouvoir discuter de ce sujet, «s’il retrouve la liberté».  Et de poursuivre : «Je dois rappeler que ça fait longtemps que j’ai des divergences avec Boualem Sansal.

Quand je lisais ses interviews dans certains journaux d’extrême droite, portant notamment sur l’islam, je n’étais pas d’accord avec ce qu’il exprimait, parce que pour moi, l’islam, c’est une religion et une civilisation. Lui, il exprimait des positions extrêmement négatives.» Evoquant les travaux de la commission mixte d’historiens, M. Stora a réfuté qu’ils soient gelés définitivement.

Et d’expliquer : «Nous avons de très bons rapports avec les historiens algériens, monsieur Zeghidi en particulier et tous les autres. On s’est réunis plusieurs fois, 4 ou 5 fois au total, les choses se sont très bien passées. Le travail commençait à peine. Il a démarré précisément à partir de la question de la pénétration coloniale (…) Il y avait aussi des revendications qui ont été exprimées de restitution, en particulier d’objets ayant appartenu à l’Emir Abdelkader.

J’ai personnellement appuyé ces demandes de restitution qui, malheureusement, n’ont pas abouti.» Des restitutions qui n’ont pas abouti, car conditionnées par l’adoption,  d’une loi de restitution parce que, en France, «il y a ce qu’on appelle des biens inaliénables, donc tout ce qui a été pris, on ne peut plus le rendre», a-t-il confié. «On en était là quand il y a eu cette affaire de l’été 2024, où la politique est venue percuter le travail historique.

Alors que, lorsqu’il y a eu la Déclaration d’Alger, en août 2022, il a été bien spécifié que les historiens devaient travailler en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir politique», a-t-il fait savoir par ailleurs. L’histoire a, en outre, affirmé qu’il faut, par le travail des historiens, faire accepter le fait que la population algérienne a décru entre l’arrivée des Français et la fin du XIXe siècle.

«Cet exemple de la démographie est un exemple spectaculaire sur la question des massacres. C’est un travail difficile, parce qu’il faut ensuite l’exposer aux sociétés. Et est-ce que ces sociétés sont prêtes à entendre ce genre de faits historiques ? Ça, je sais que ce n’est pas évident», a-t-il noté.

 

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