Rien de consistant n’a encore été officialisé après plus de 36 heures de la fuite, à l’aube du 31 octobre 2023, de la prison de Mornaguia, 17 km de Tunis, de cinq terroristes, parmi les plus dangereux sur lesquels les sécuritaires tunisiens ont mis la main il y a une dizaine d’années.
Ces terroristes sont impliqués dans les assassinats politiques de 2013 de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, des attaques des soldats à partir des maquis terroristes de Chaâmbi, une fusillade à Raoued ainsi que dans d’autres attentats lesquels terroristes ont écopé de lourdes peines de prison et sont supposés être placés sous haute surveillance.
Les uniques décisions annoncées jusque-là, et après cette fuite, concernent le limogeage du directeur de la prison de Mornaguia, la plus sécurisée de Tunisie, ainsi que la cessation des fonctions du directeur général des services spéciaux et du directeur central des renseignements généraux.
Il s’agit donc de réponses immédiates à des défaillances constatées, aussi bien dans les renseignements qu’au sein de la prison. Et si le limogeage du directeur de la prison est automatique dans pareille situation, celui des premiers responsables des renseignements au ministère de l’Intérieur renvoie à des défaillances avérées dans ce domaine et pose peut-être la question d’éventuelles implications de services spéciaux étrangers dans cette opération.
Par ailleurs, le fait même qu’il n’y ait pas d’évadé retrouvé dans les prairies entourant la prison ni caché chez leurs proches parents indique clairement l’existence d’un plan pour récupérer les terroristes évadés. Les premiers bruits, repris par le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Sami Tahri, indiquent que six agents de la prison d’El Mornaguia manqueraient à l’appel.
Les débats sur les réseaux sociaux disent que ces agents constituent le noyau de la cellule qui a facilité l’exfiltration et ont pris la poudre d’escampette avec les terroristes fuyards. Les prochains jours nous indiqueront si le stratagème adapté dépasse les frontières de la Tunisie.
Par ailleurs, et comme aucune organisation n’a revendiqué l’opération, cela prouve que les terroristes évadés ne sont pas encore en sécurité, là où ils sont en ce moment, et qu’une quelconque communication sur la question pourrait donner des indicateurs aux autorités tunisiennes.
Côté commentaire officiel tunisien, il n’y a que les propos «langue de bois» du porte-parole de la direction générale des prisons, Ramzi El Kouki, qui a assuré à Radio Mosaïque fm que «les détenus évadés étaient des leaders de l’organisation terroriste Ansar Chariaâ, qu’ils sont sous haute surveillance». Des photos sur les réseaux sociaux ont montré des barreaux extérieurs sciés d’une cellule, une corde attachée sous le poste de surveillance, ainsi qu’une cellule vide, prétendant qu’ils traduisent la fuite des terroristes.
Craintes et interrogations
Des prisonniers notables comme Rached Ghannouchi, l’ex-président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la vingtaine d’autres accusés avec lui dans l’affaire d’atteinte à la sécurité de l’Etat, ainsi que ceux poursuivis dans l’affaire d’encouragement des jeunes à aller au djihad en Syrie ou en Libye, dans les années 2012 à 2015, se trouvent à la prison d’El Mornaguia. Plusieurs avertissements ont par ailleurs été lancés aux autorités tunisiennes, via les réseaux sociaux, quant aux risques d’exfiltration du leader d’Ennahdha. Or, personne ne s’est mis en tête que ce sont plutôt les terroristes qui font l’objet de cette exfiltration.
Ces derniers sont donc parvenus à retourner certains agents qui les ont aidés à fuir, ce qui prouve que l’effectif de l’administration pénitentiaire nécessite d’être passé au peigne fin, tout comme celui des agents des ministères de la Défense et de l’Intérieur.
Le ministère de l’Intérieur a déjà «lancé un appel à témoignage au large public», photos à l’appui des cinq terroristes, mais cela ne constitue qu’une partie de la chasse à l’homme. Les services des renseignements sont appelés à faire preuve d’efficacité pour retrouver les traces de ces fuyards, qui auraient, le plus probablement, en tête de quitter le territoire tunisien.
«Pareils terroristes ne se sentiraient à l’aise qu’au nord du Mali, comme l’avait fait avant eux leur chef Abou Iyadh», assure le journaliste malio-mauritanien Husseyne Ghali, fin connaisseur des groupes terroristes et qui avait rapporté en 2019 le décès d’Abou Iyadh. Un grand travail attend donc les autorités tunisiennes et leurs services des renseignements pour apaiser l’opinion publique, perplexe.
La plupart des Tunisiens accordent certes confiance au président Saïed, mais ils ont besoin d’être tranquillisés.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami