Évoquer le défunt Professeur Salhi, mon enseignant, collègue et partenaire, me ramène à notre première rencontre en septembre 1990, il y a plus de 34 ans, lors d’un entretien à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou pour la sélection de la première promotion en langue et culture amazighes au sein d’un département nouvellement créé, suite à une décision des hautes autorités du pays.
Ce souvenir est marqué par la présence à ses côtés de l’éminent professeur de Sociologie Fanny Colona. Lors de cet entretien, les questions portaient sur les motivations et le bagage théorique en tant que candidat pour une inscription en magistère dans ce domaine inédit. Il était crucial de faire le bon choix pour la sélection d’une première promotion composé de dix étudiants en option civilisation amazighe sur les vingt autres à répartir dans les options linguistique et littérature.
Mon projet d’étude consacré au phénomène religieux en Kabylie avait attiré son intérêt, et c’est ainsi que ma relation d’échange et a commencé avec le Pr Salhi voyant en moi un potentiel pour explorer l’anthropologie locale dans sa dimension nationale en s’inscrivant en rupture avec les donnés ethnologiques héritées de la période coloniale.
Ainsi, le Pr Salhi est devenu mon enseignant du module de spécialité de socio-anthropologie sous forme de cours théorique dispensé deux fois par semaine.
En tant que fonctionnaire à la wilaya de Tizi Ouzou à l’époque, je faisais tout pour ne pas manquer ses cours, car il possédait l’art et la manière de captiver ses étudiants, d’éveiller leur curiosité intellectuelle et de leur fournir les outils nécessaires à la recherche. Le Pr Salhi était pour nous une mémoire vivante, généreuse et toujours disponible pour ses étudiants. Grâce à lui, la spécialité civilisation a pu se consolider et gagner en crédibilité dans ce premier département universitaire dédié à la langue et à la culture amazighes.
L’histoire retiendra qu’il a beaucoup donné pour faire démarrer ce département, dont les résultats sont désormais visibles à travers les nombreuses promotions formées et la multiplication de cette discipline dans d’autres wilayas, abritant des instituts, départements, sections et laboratoires de recherche spécialisés dans le domaine langue et culture amazighes, respectivement à Bejaïa, Bouira, Batna, Tamanrasset, Oum El Bouaghi et au sein de l’ENS d’Alger.
Le Pr Salhi est un enseignant-chercheur dont l’attitude exemplaire et positive se manifeste par une générosité rare : il met à la disposition de ses étudiants ses propres archives, livres et revues souvent précieux. Ses qualités humaines, telles que la courtoisie et l’empathie, sont évidentes tant dans son milieu professionnel que dans sa vie sociale, où il traite chacun avec respect, indépendamment de son niveau intellectuel. Sa modestie, sa sincérité et son humilité illustrent son caractère authentique et sa fierté d’appartenir à une famille ayant contribué à la libération du pays.
Éthique professionnelle
Pour rappel le Pr SALHI a rejoint l’équipe d’encadrement du département, qui devait être constituée en urgence pour assurer le démarrage de l’année universitaire 1991-1992. Il faisait partie du noyau solide de cette équipe, aux côtés d’imminents enseignants-chercheurs dont Youssef Necib, Rabah Khlouche, Mahfoud Keddache, Zohra Khendriche, Fanny Colona, Claudine Chaulet, Amar Nabti, Mohand Ouramdane Oussalem, Mohand Akli Heddadou et Ramdane Achab.
Sur un autre registre, je peux témoigner que son apport ne s’est pas limité à l’enseignement de sa discipline; il a également joué un rôle clé dans la constitution d’un fonds pour la bibliothèque du département de langue et culture amazighes. Il a notamment suivi les livres à photocopier, sollicité des dons de livres en rapport avec le domaine, et contribué à établir, aux côtés des responsables administratifs désignés à l’époque, un Institut structuré avec un organigramme pédagogique et administratif, offrant ainsi un cadre propice à un enseignement supérieur de qualité.
Le Pr Salhi est aussi mémorable pour ses sorties sur le terrain, où il encadrait des visites d’institutions scientifiques, culturelles et religieuses, guidant les étudiants dans l’observation des phénomènes sociaux, l’appréhension des sujets, la réalisation d’enquêtes, la prise de notes, la restitution des conclusions et le débat sur les résultats des enquêtes de terrain.
La troisième phase de notre relation a été marquée par mon intégration au Haut Commissariat à l’Amazighité, où j’étais fier de retrouver un ancien professeur. Le Pr Salhi, fidèle à ses principes d’honnêteté intellectuelle, a toujours maintenu une relation professionnelle respectueuse et n’a jamais manœuvré dans un sens contraire à une collaboration et une éthique professionnelle. Nous l’avons sollicité à plusieurs reprises pour participer à des rencontres scientifiques et il a toujours répondu présent. Il a également réalisé des travaux au compte de notre institution, à l’instar de cette étude majeure intitulée «La Tariqa Rahmania: de son avènement à l’insurrection 1871». Ainsi, nous jugeons utile de rééditer ce travail inédit, en hommage et à titre posthume, pour le mettre à la disposition de l’association Ighil n Tazarth de Larbaâ Nath Irathen qui prend l’initiative de lui rendre un vibrant hommage ce vendredi 13 septembre 2024 (hier, note de la rédaction).
Il y a tant à dire sur le Pr. Salhi, mais il est aussi important de laisser les autres s’exprimer sur son héritage. J’espère qu’un hommage de grande envergure, à caractère scientifique, sera rendu en son honneur à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, au Centre de recherche en anthropologique sociale et culturelle d’Oran ou lors du prochain Salon international du livre d’Alger dans sa 27e édition. Je remercie ceux qui ont permis de lui rendre cet hommage et de célébrer sa mémoire en présence de ses proches, collègues et amis.
Par Si El Hachemi Assad
Secrétaire général du Haut-commissariat à l’amazighité (HCA)