Le nouvel ordre commercial mondial renforce les atouts traditionnels du nord du Mexique : main-d’œuvre moins chère, politique fiscale attractive, accord de libre-échange d’Amérique du Nord en vigueur depuis 1994, révisé en 2021.
Des étincelles volent au passage d’un laser qui découpe une lame de métal dans une usine à Monterrey, la capitale industrielle du nord du Mexique, le grand gagnant des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine à l’heure des méga-élections du 2 juin.
Portant des casques et des lunettes de sécurité, des ouvriers utilisent des équipements de pointe dans cette unité de fabrication d’Aztec Technologies, entreprise d’assemblage de métaux qui travaille pour des géants américains tels que John Deere et Honeywell. «Maintenant, de nombreuses entreprises s’installent ici. Nous le savons, car beaucoup d’entre elles frappent à la porte pour que nous puissions leur fournir des pièces détachées», témoigne à l’AFP le directeur général d’Aztec Technologies, Juan José Ochoa. «Nous sommes dans un emplacement privilégié en raison de notre proximité avec la frontière pour pouvoir exporter vers les Etats-Unis le plus grand marché du monde», explique-t-il.
L’année dernière, le Mexique a dépassé la Chine comme premier partenaire commercial mondial de son grand voisin du Nord. Les investissements étrangers ont battu un record en 2023 (36 milliards de dollars). De Mexico à Monterrey, les décideurs économiques baignent dans l’optimisme, voire l’euphorie du «nearshoring» ou du «friendshoring». Cet anglicisme, apparu dans la presse fin 2022, désigne la relocalisation des usines d’Asie vers les «maquiladoras» mexicaines (industries manufacturières de sous-traitance installées le long de la frontière).
Les fabricants préfèrent se rapprocher du grand marché américain, après la guerre commerciale lancée par Donald Trump contre la Chine, et la suspension des échanges internationaux pendant la pandémie.
Les craintes d’une guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine renforcent l’attrait du Mexique, comme si les décideurs économiques avaient intégré qu’il fallait mieux disposer de chaînes de production à Ciudad Juarez plutôt qu’à Shenzen.
Parmi les entreprises qui ont déjà annoncé des expansions de leurs activités au Mexique, figurent le géant technologique taïwanais Foxconn (sous-traitant d’Apple), le géant danois du jouet Lego et Mattel, le fabricant américain de poupées Barbie. En revanche, l’investissement de cinq milliards de dollars de Tesla pour construire une «méga-usine» près de Monterrey n’a pas dépassé le stade de l’effet d’annonce jusqu’à présent.
Un terrain près de la ville a été réservé par le constructeur de voitures électriques, mais la construction n’a pas commencé. Malgré la fausse note Tesla, le «nearshoring» n’est pas qu’un effet de mode porté par le battage médiatique, veut croire Juan Pablo Garcia, directeur de Caintra, une organisation commerciale du Nuevo León, l’état frontalier du Texas, qui représente plusieurs milliers d’entreprises. «C’est définitivement une réalité : des investissements supplémentaires de différents pays arrivent au Nuevo Leon», a-t-il déclaré.
Président du Conseil national de l’industrie manufacturière d’exportation (Index), Humberto Martinez, se frotte les mains, après une rencontre ces jours-ci avec investisseurs étrangers, dont certains viennent du Moyen-Orient et d’Asie. Index s’attend à environ neuf milliards de dollars d’investissements étrangers, rien que dans l’industrie manufacturière cette année, explique-t-il, en prédisant un «nouvel ordre économique mondial».
Bref, les «maquiladoras» vivent un nouvel âge d’or, plus de 50 ans après la sortie de terre de ces parcs industriels le long de la frontière pour transformer et assembler des composants importés des Etats-Unis, immédiatement réexportés sous forme de produits finis. Le nouvel ordre commercial mondial renforce les atouts traditionnels du nord du Mexique : main-d’œuvre moins chère, politique fiscale attractive, accord de libre-échange d’Amérique du Nord en vigueur depuis 1994, révisé en 2021.
Une vague de nouvelles usines dans le Nord ? Responsable des marchés émergents pour l’agence de notation S&P Global Ratings, Elijah Oliveros-Rosen nuance. La majeure partie des nouveaux investissements a porté sur l’expansion des parcs industriels plutôt que sur la délocalisation de grandes entreprises manufacturières au Mexique, estime-t-il. «Cela n’a pas été un boom.»
Les entreprises qui cherchent à s’installer au Mexique sont confrontées à des défis, tels que l’insécurité, la pénurie d’eau, les besoins de qualification de la main-d’œuvre et la nécessité d’un approvisionnement constant en énergie, détaille Oliveros-Rosen.
En 2022, les habitants de Monterrey ont été confrontés à des semaines de rationnement d’eau en raison de la sécheresse. En envisageant l’avenir de son usine, Ochoa perçoit également de nombreux défis, notamment le besoin de développement des infrastructures et de formation des travailleurs.
«Si un bûcheron arrive dans une forêt où il y a de nombreux arbres et commence à consommer les ressources, sans penser à la durabilité et au développement à long terme, il ne sera finalement pas possible de replanter ce qui est nécessaire pour les décennies à venir», philosophe-t-il.