Sous le joug des paramilitaires depuis trois mois, menacés par des pillages ou la saisie de leurs biens, privés de télécommunications, les habitants d’Al Jazira, au sud de la capitale soudanaise, racontent un quotidien de peur et de mort.
Le 15 avril, quand la guerre a éclaté à Khartoum entre le chef de l’armée, le général Abdel Fattah Al Burhane, et le patron des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), le général Mohammed Hamdane Daglo, l’Etat d’Al Jazira, qui borde la capitale au sud, faisait figure de havre de paix.
Des milliers de familles de Khartoum sont ainsi allées se réfugier dans les maisons, écoles et autres centres d’accueil improvisés de cette vaste région agricole bordée par le Nil Bleu et le Nil Blanc. Mais à la mi-décembre, la guerre, qui a poussé le pays au bord de la famine, a fait des milliers de morts, huit millions de déplacés et a gagné Wad Madani, capitale d’Al Jazira. Avec les combats dans cette ville, un demi-million de Soudanais ont repris la route, certains pour la deuxième ou la troisième fois.
Et le 7 février, internet et le téléphone ont cessé d’y fonctionner. Sous le couvert de l’anonymat et via un rare téléphone satellitaire, un habitant raconte à l’AFP la violence permanente. Dans son village de Baranko, à 55 kilomètres au nord de Wad Madani, des jeunes hommes se relaient pour surveiller les maisons la nuit, afin de prévenir les pillages dont sont accusés les FSR.
«Le 22 février, la milice (les FSR, ndlr) a tiré sur des dizaines d’habitants qui protestaient contre l’arrestation de plusieurs jeunes qui gardaient les maisons», rapporte cet habitant. Plusieurs sources locales font état de 18 blessés, dont certains sont parvenus à atteindre l’hôpital de Chendi, à 250 kilomètres plus au nord, en prenant des chemins de traverse sous les feux croisés. Al Samani, qui donne uniquement son prénom par peur des représailles, vit lui dans la localité de Tabet, à 80 kilomètres au nord-ouest de Wad Madani.
«Depuis une semaine, les miliciens attaquent les maisons et terrorisent les femmes pour leur voler leurs bijoux en or», offerts généralement en dot au Soudan et désormais très convoités, affirme-t-il. «Et il n’y a pas un tracteur ou outil agricole qu’ils n’ont pas pillé.» Dans le village proche de Abou Adara, «cinq habitants ont été tués par les FSR le 25 février», rapporte de son côté le «comité de résistance» local, ces groupes qui, avant, organisaient les manifestations contre le pouvoir militaire et constituent désormais la dernière organisation civile pour protéger les 48 millions de Soudanais.
Dans tout l’Etat d’Al Jazira durant la semaine écoulée, le comité de résistance recense 86 morts, ainsi que des blessés, dans 53 villages qui ont subi des violences des FSR. Quant aux bus, soit ils ont été volés, soit ils ne trouvent plus de carburant dans un pays où les stations-service de nombreux Etats ne sont plus alimentées en raison des routes coupées et des difficultés à passer entre les zones de contrôle rivales.
«Partir est difficile car il faut payer, mais les applications de paiement en ligne sont à l’arrêt» sans internet, raconte encore Al Samani. Depuis le début de la guerre au Soudan il y a plus de 10 mois, l’économie est principalement devenue virtuelle tant les pillages d’argent liquide ont ruiné les familles. L’application de la principale banque du pays permet d’effectuer des virements, de récupérer des billets ou de payer des achats dans des magasins.
Mais elle nécessite du réseau. Les prix, eux, sont en hausse constante. Le litre d’essence coûte désormais 25 000 livres soudanaises, l’équivalent de 20 dollars. Le prix d’un kilo de viande, à 6000 livres avant l’arrivée des FSR, a doublé. Et maintenant que l’Etat a perdu «80% de ses revenus à cause de la guerre», selon le ministre des Finances, Gibril Ibrahim, loyal à l’armée,
«les importations ont fondu». «Le pire, ce sont les médicaments. Il n’y en a plus», se lamente Mohammed Al Qassem, d’un village à 25 kilomètres à l’ouest de Wad Madani : «Les diabétiques ne peuvent plus se soigner, ni ceux qui font de l’hypertension.»