Les commémorations du génocide arménien, organisées par des ONG en Turquie, ont repris hier après deux années d’interruption due à la pandémie et à des interdictions des autorités, au moment où Ankara et Erevan tentent de normaliser leurs relations.
Perpétré en 1915 par les troupes ottomanes, le génocide des Arméniens est commémoré le 24 avril, date des premières arrestations d’intellectuels arméniens, considérée comme le début du génocide.
Sujet tabou pendant des décennies en Turquie – qui réfute le terme de génocide et évoque une guerre civile doublée d’une famine –, le génocide arménien a commencé à être commémoré par des intellectuels turcs à partir de 2005.
«La police autorise désormais les rassemblements à condition qu’on n’utilise pas le mot génocide. Mais nous ne voulons pas nous soumettre à cette interdiction», explique Ayse Gunaysu, membre de l’Association des droits humains (IHD), qui a été une des premières activistes à organiser des commémorations, d’abord dans des locaux de son ONG puis, à partir de 2010, dans l’espace public.
Des centaines de Turcs se sont joints au fil des ans aux commémorations organisées dans différents lieux de mémoire d’Istanbul, marquant leur distance vis-à-vis de la position officielle. Des rassemblements, expositions, présentation de livres et débats sur le sujet se sont également tenus dans d’autres villes du pays, d’Ankara à Diyarbakir (sud-est), tolérés par les autorités malgré leur refus répété de reconnaître le génocide.
Les autorités ont toutefois durci le ton à partir de 2016, en interdisant les commémorations sur la place Taksim, puis à Sultanahmet, deux quartiers centraux d’Istanbul. «La police nous avait violemment expulsés», se souvient Mme Gunaysu, dont l’association se contente, depuis, d’une déclaration à la presse dans ses locaux chaque 24 avril.
Les commémorations, interrompues depuis deux ans pour cause de pandémie, ont été moins nombreuses qu’il y a quelques années, aucune initiative n’étant prévue en dehors d’Istanbul et d’Ankara. La Plateforme du 24 avril, une ONG turque, a annoncé samedi soir annuler un rassemblement prévu à Besiktas, dans le centre d’Istanbul, faute d’autorisation de la préfecture.
Pourparlers facilités
Pour les activistes, le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie, entamé en janvier, n’a rien changé. «On ne peut voir aucun effet positif de cette normalisation. Une enquête a été ouverte à notre encontre la semaine dernière pour la déclaration que nous avons effectuée en 2021», affirme Ayse Gunaysu. «A l’époque où les commémorations du 24 avril pouvaient être organisées plus librement, il y avait une autre atmosphère, plus démocratique, dans le pays.
Ce n’est plus le cas», estime de son côté Yetvart Danzikyan, rédacteur en chef d’Agos, journal stambouliote publié en turc et en arménien. Le putsch raté de juillet 2016 contre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est traduit par un durcissement contre les opposants.
La reconnaissance du génocide ne figure pas au menu des discussions entre l’Arménie et la Turquie, qui n’ont jamais établi de relations diplomatiques formelles, et dont la frontière commune est fermée depuis 1993.
Selon des observateurs, l’absence de cette question du menu des pourparlers pourrait faciliter leur progression, car malgré des avancées dans la société et les messages de condoléances présentés depuis 2014 par la Présidence turque aux descendants des Arméniens tués en 1915, la position d’Ankara n’a pas réellement changé. «Il n’y a absolument pas eu de génocide», a martelé mercredi le directeur de la communication de la Présidence turque, Fahrettin Altun.
Le journal pro-gouvernemental Yeni Akit a, lui, qualifié vendredi de «honteuse» une proposition de loi pour la reconnaissance du génocide arménien déposée par un député de l’opposition. «Chaque 24 avril, les souffrances de ma famille sont ignorées.
La négation devient plus forte en Turquie en avril. L’histoire de mon peuple est accusée d’être un mensonge», a regretté samedi Alin Ozinian, journaliste arménienne d’Istanbul, dans une chronique publiée sur le média en ligne ArtiGerçek. Malgré cela, Ayse Gunaysu demeure optimiste.
«Même si ça avance très lentement, j’observe un changement dans la société par rapport à la reconnaissance du génocide, estime-t-elle. Dans les milieux intellectuels, c’est devenu presque une condition pour être politiquement correct.»