Il faut tenter» : à Carpentras, dans le sud-est de la France, où le trafic de drogues étend son emprise, le maire, des travailleurs sociaux, des policiers et des habitants refusent la fatalité et luttent à coups de lettres, de patrouilles ou de pinceaux.
Dans une région de Provence connue pour ses truffes et ses fraises, cette ville de 29 000 habitants, résidence des papes pendant cinq siècles, attire les touristes avec ses hôtels particuliers, sa plus vieille synagogue de France ou sa bibliothèque-musée l’Inguimbertine. Mais non loin du centre-ville, à l’entrée du quartier pauvre du Bois de l’Ubac où vivent quelque 600 personnes, choufs (guetteurs avertissant de l’arrivée des policiers) et charbonneurs (revendeurs de drogues) sont installés depuis 2022 avec canapés, chaises et braseros. Ce drive (point de vente de drogue) est très fréquenté comme ceux de deux autres quartiers, les Amandiers et Pous-du-Plan, alors qu’en France la consommation de cannabis est une des plus élevées d’Europe et que l’usage de cocaïne augmente. Sachets de toutes couleurs et de toutes tailles selon la drogue, estampillés de logos «déconseillé aux femmes enceintes» ou aux moins de 16 ans, se trouvent facilement aux abords des points de vente. «Mes amis me disent que ce n’est pas mon affaire, pourtant Carpentras n’est pas une grande ville et quand ça arrive près de chez vous, vous n’avez pas le choix, ça devient votre problème», déplore Claudine Adam, 73 ans, habitant près du Bois de l’Ubac, qui témoigne sous un autre nom par peur. Cet automne, des membres du centre social Villemarie, situé à proximité, et des employés du bailleur social ont repeint les murs décrépis du parking de la cité. «Pendant deux jours, les trafiquants nous ont laissé faire et les consommateurs sont repartis bredouilles en nous voyant», raconte Thierry Petrone, responsable au centre social, «une façon pour les habitants (invités à participer, NDLR) de reprendre possession du quartier». «Il faut tenter, ça marche, ça ne marche pas, mais l’important c’est de proposer quelque chose», revendique cet ex-communiquant de 54 ans reconverti dans le social après avoir vu les ravages de la drogue. Dans le département du Vaucluse, 2022 a été marquée par «un conflit violent entre clans pour le contrôle des points de deal de la cité des Amandiers à Carpentras» avec «une série de fusillades», a souligné cette semaine la préfecture dans son bilan sécurité. «Je veux que ça se règle avant qu’il y ait des morts», lance le maire, Serge Andrieu, ex-entrepreneur en BTP divers gauche qui a battu l’extrême droite. «La République a abandonné ces quartiers sous prétexte qu’il y en a d’autres ailleurs. Tout le monde s’en accommode, ce n’est ni possible ni entendable», insiste-t-il. A l’automne, il a lancé «un appel à l’aide» au président de la République face au «cruel manque de personnels de gendarmerie, de police et de justice» et demandé à ses administrés d’écrire à Emmanuel Macron. Près de 3000 l’ont fait, martelant cette phrase type : «L’argent de la drogue finira par +pourrir+ toute notre société... Notre région n’est pas uniquement celle du soleil et des vacances, aidez-nous !» La police mène des patrouilles quotidiennes, auxquelles s’ajoutent des «actions coups de poing» hebdomadaires avec des renforts d’Avignon ou de la gendarmerie, explique la commissaire de police de Carpentras Cécile Diot. Les saisies de drogues ont été multipliées par sept en 2022 dans la ville, selon les autorités. «Les principaux leaders des groupes criminels» du quartier des Amandiers ont été arrêtés, souligne la préfecture, des guetteurs écroués. Le nombre de procédures accélérées, privilégiées par la procureure pour les affaires «simples» de trafic, a plus que doublé en 2022.
«Ne pas abandonner»
La préfète du Vaucluse Violaine Demaret souligne aussi la nécessité de «marquer autrement que par la seule présence policière». En plus des 1300 amendes de 250 euros infligées à des consommateurs dans le département en 2022, une campagne d’affichage publicitaire aux abords de la ville est à l’étude. Dans le Vaucluse -un département qui peut faire penser au Brésil tant les écarts de richesse sont énormes, selon une source judiciaire-, les consommateurs viennent généralement de l’extérieur des quartiers où œuvrent les dealers. «Il faut que les consommateurs comprennent que là où ils vont se fournir, il y a des gens qui vivent pour qui leur +loisir+ a une conséquence directe inacceptable» comme ces «enfants qui voient des dealers sur le chemin de l’école», souligne la commissaire Diot. Elle a mis en place des «cafés police», réunions avec habitants, responsables municipaux et bailleurs pour évoquer les problèmes. Au Pous-du-Plan, deuxième quartier prioritaire le plus déshérité de France (72,5% de la population vit sous le seuil de pauvreté), une soixantaine de personnes, surtout des femmes, ont exprimé leurs inquiétudes pour les enfants exposés à la violence. Pour désorganiser les points de vente du quartier dont l’éclairage public a été détruit par les dealers, la mairie voudrait couper en deux ce grand ensemble. Le centre social Lou Tricadou doit lui réinvestir au coeur du Pous-du-Plan son ancien local, après une absence forcée due à l’agression d’un de ses membres il y a trois ans. Damien Lauzen, directeur du centre, est déterminé : «Il y a une vie dans le quartier, une énergie, une solidarité et une volonté de faire des choses qu’on ne peut pas abandonner.»