Fonds de la pension alimentaire en Algérie : Des juristes relèvent de nombreuses failles dans la loi de 2015

02/07/2022 mis à jour: 00:30
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Face à la hausse du taux de divorce en Algérie et la prise en otage du bien-être des enfants suite aux conflits entre les couples divorcés, un Fonds de pension alimentaire a été créé en janvier 2015 pour une meilleure protection de la famille.

Malheureusement, l’application sur le terrain de ce mécanisme juridique, en cas de non-versement de la pension alimentaire à la femme ayant la garde des enfants mineurs, connaît de nombreuses failles. Pour discuter cette problématique, le laboratoire des études juridiques appliquées de l’université Frères Mentouri (Constantine 1) et la direction de l’action sociale et de la solidarité (DASS) de la wilaya de Constantine ont organisé une rencontre, jeudi, au Centre national de formation du personnel pour handicapés.

L’objectif étant de déterminer ces failles et établir des recommandations à l’intention des pouvoirs publics afin de trouver des solutions, selon le Dr Karima Mahrouk, responsable dudit laboratoire. «Parmi les nombreux obstacles soulevés sur terrain, empêchant la femme divorcée de bénéficier de cette pension, on cite la nationalité du conjoint. Si la concernée était mariée à un étranger, elle ne bénéficiera pas du fonds.

De même pour le conjoint décédé. Ainsi, si son ex-époux est décédé, la pension est suspendue pour la femme divorcée. Il faut aussi poser la question si les femmes divorcées avant l’établissement de ce mécanisme, soit en 2015, sont concernées par ce fonds», a déclaré à El Watan le Dr Mahrouk. Pour sa part, le Pr Nadir Amirèche, expert international, a insisté sur la nécessité de revoir cette loi, sept ans après sa mise en application, tout en prenant en considération les changements économiques et sociaux survenus en Algérie.

Cette révision, selon l’intervenant, commence par la détermination de chaque notion citée dans le texte juridique, sachant que ce sont les enfants mineurs qui sont en jeu. «L’enfant doit bénéficier d’une protection juridique globale, avant même la dissolution du mariage. Avant le verdict, qui peut être prononcé dans certains cas une année après, la pension est seulement alimentaire et ne concerne pas le loyer, le traitement médical et autres. Il ne faut pas oublier aussi que la garde est parfois suspendue lorsque, par exemple, la femme se remarie.

Certains pères refusent de verser régulièrement la pension, dont doit bénéficier l’enfant directement et la femme indirectement. Et c’est un crime», a-t-il souligné, en s’interrogeant si ce père est poursuivi par les services compétents et si la pension n’est pas bloquée.

Certains pères, ajoute-t-il, versent les indemnisations exigées dans le verdict au profit de la femme sous forme de pension. Par ailleurs, selon toujours ses dires, dans certains cas, le conjoint se trouve incapable financièrement d’assurer cette pension et est poursuivi en justice par la femme. Le Pr Amirèche a appelé à un élargissement «du cercle de l’application de la pension» pour une bonne protection de l’enfant.

Afin de cibler les obstacles enregistrés, il a fait une comparaison entre l’Algérie et la Tunisie. Cette dernière nous a devancés, en créant ce fonds en juillet 1993. Contrairement à l’Algérie, où on n’a pris conscience de la gravité du refus de versement de la pension qu’en 2015. Pourtant, le code de la famille a été établi en 1984 et n’a été modifié qu’en 2005.

«En Tunisie, on est plus fermes dans le recouvrement de ces pensions. En cas de refus de versement, le père fera l’objet d’un PV pour payer une amende équivalente à la pension déterminée dans le verdict. Cela, sans parler du délai permettant à la femme de bénéficier de cette pension limitée à 15 jours. En Algérie, après le dépôt du dossier, la concernée doit attendre 25 jours.

Ce qui est trop long», a indiqué le Pr Amirèche. En dépit de sa création en 2015, peu de femmes ont une idée sur ce Fonds, leur évitant une autre procédure judiciaire. Car le mari sera redevable par la suite à l’Etat. «Il y a un manque de sensibilisation et les femmes ignorent leurs droits. On n’informe pas assez la femme divorcée», a regretté le Dr Mahrouk. D’ailleurs, lors de la rencontre, un membre d’une association a avoué son ignorance de ce fonds, et ce que la femme doit faire.

Citons, à titre d’exemple, la wilaya de Constantine, où une seule femme s’est présentée au service «Nafaqa» en 2016. Le nombre a atteint 8 femmes en 2017, l’année suivante, les mêmes services ont enregistré 31 bénéficiaires. «Jusqu’à présent, nous avons enregistré 83 femmes et une centaine d’enfants. D’ici la fin de l’année 2022, le nombre des femmes bénéficiaires atteindra 95. Toutes les concernées se trouvaient dans des conditions financières très difficiles. Certaines n’avaient pas les moyens de poursuivre le père en justice et payer de nouveaux frais», a fait savoir Haoua Boutbiba responsable du service «Nafaqa» à la DASS de Constantine. 

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