L’Iran a, pour la première fois, lancé une attaque directe contre Israël pendant la nuit de samedi à dimanche, en représailles à une frappe contre le consulat iranien à Damas, le 1er avril dernier, attribuée à Israël. Frappe qui a tué sept membres des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique.
Hier, le président iranien Ebrahim Raïssi a prévenu encore que «la moindre action» d’Israël contre «les intérêts de l’Iran provoquerait une réponse sévère, étendue et douloureuse» de son pays. La veille, lors d’une visite à la base de Nevatim, dans le sud du pays, touchée par une frappe, le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Herzi Halevi, a déclaré qu’Israël va «riposter au lancement de ces si nombreux missiles de croisière et drones sur le territoire de l’Etat d’Israël», selon des propos recueillis par l’AFP.
Ainsi, le conflit entre les deux puissances du Moyen-Orient qui couve depuis plus de quatre décennies se meut en une belligérance ouverte. Comment les relations entre les deux anciens alliés se sont transformées en une telle confrontation qui rique d’embraser toute la région ? Après la Turquie, l’Iran est le deuxième pays musulman à reconnaître l’État d’Israël en 1950. Les services de renseignements d’Israël, d’Iran et de la Turquie, à savoir le Mossad, la Savak et le MIT, ont constitué une alliance baptisée Trident. L’Iran est devenu un des principaux fournisseurs de pétrole d’Israël à travers l’oléoduc Eilat-Ashkelon. En 1961, le Premier ministre israélien David Ben Gourion s’est rendu en Iran.
En février 1979, est proclamée la République islamique. Téhéran coupe ses relations avec Tel-Aviv. En 1982, Israël envahit le Liban. L’Iran aide à la création du Hezbollah, mouvement qui s’implante dans le sud du Liban et mène une lutte armée contre Israël. En 1998, l’Iran déclare avoir testé pour la première fois le missile sol-sol Chahab-3 d’une portée de 1300 km, capable d’atteindre Israël. La même année, il reprend ses activités d’enrichissement d’uranium. En juillet 2015, il conclut avec le Groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) un accord encadrant son programme nucléaire. «Israël n’est pas lié par cet accord (...) car l’Iran continue à vouloir notre destruction», prévient le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu.
Une confrontation non conventionnelle
Par ailleurs, Israël voit d’un mauvais œil le soutien militaire du Hezbollah et de l’Iran au régime de Damas et mène des centaines de frappes en Syrie qui devient, avec le Liban et le Yémen, un terrain de confrontation entre les deux pays. Les attaques de navires se multiplient dans la région. Elles sont imputées par Israël à l’Iran. Le 25 février 2021, le MV Helios Ray, un bateau israélien transportant des véhicules et qui effectuait le trajet entre la ville saoudienne de Dammam et Singapour, est touché par une explosion au large du sultanat d’Oman.
Le 1er mars, B. Netanyahu accuse l’Iran d’être à l’origine de l’explosion. Téhéran rejette ces accusations. Le 10 mars, un cargo de la compagnie de transport maritime publique iranienne IRISL, l’Iran Shahr-e-Kord, est touché à la coque par un engin explosif alors qu’il naviguait en mer Méditerranée, selon plusieurs médias iraniens. Le lendemain, le Wall Street Journal, citant des responsables américains et du Moyen-Orient, rapporte qu’Israël a ciblé depuis fin 2019, notamment à l’aide de mines sous-marines, au moins une dizaine de navires faisant route vers la Syrie et transportant, dans la plupart des cas, du pétrole iranien. Le 15 mars, le porte-parole des Affaires étrangères Saïd Khatibzadeh déclare que «tout laisse penser que le régime d’occupation de Jérusalem est derrière cette opération».
Le 6 avril, un «navire commercial iranien» est «légèrement endommagé en mer Rouge près des côtes de Djibouti (...) par une explosion dont l’origine fait l’objet d’une enquête», selon le porte-parole des Affaires étrangères. Plus tôt, l’agence iranienne Tasnim a rapporté que le Saviz est un navire utilisé par les forces armées iraniennes et qu’il a été endommagé par des «mines magnétiques».
Le New York Times rapporte que le Saviz a été la cible d’une attaque de «représailles» israélienne après «des frappes de l’Iran contre des navires israéliens». Le 13 avril, des médias israéliens rapportent qu’un navire appartenant à une société israélienne a été la cible d’une attaque près des côtes des Emirats arabes unis, au large de l’Iran.
Citant des sources sécuritaires israéliennes ayant requis l’anonymat, la chaîne israélienne 12 indique que le navire Hyperion Ray a été «légèrement endommagé» par des tirs, probablement iraniens, près du port émirati de Fujairah. Ces informations interviennent, après la publication par la chaîne libanaise Al Mayadeen de données faisant état d’une attaque contre le navire Hyperion Ray, battant pavillon des Bahamas mais exploité par la société israélienne Ray Shipping qui a été la cible en février d’une attaque similaire. Le 29 juillet, le pétrolier Mercer Street, géré par la société d’un milliardaire israélien, est la cible d’une attaque au drone en mer d’Oman, selon l’armée américaine qui dispose de navires dans la région.
L’attaque fait deux morts. Israël, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne accusent l’Iran qui nie toute implication. Aussi, les deux pays usent dans leur guerre de l’ombre des cyberattaques, sabotages et éliminations physiques. En septembre 2010, le virus Stuxnet a frappé le programme nucléaire iranien, entraînant une série de pannes dans leur parc de centrifugeuses utilisées pour l’enrichissement de l’uranium.
En mai 2020, le quotidien américain Washington Post fait état d’une cyberattaque israélienne contre l’un des deux ports de Bandar-Abbas, ville iranienne sur le détroit d’Ormuz, en riposte, selon le journal, à une attaque cybernétique menée contre des installations hydrauliques civiles en Israël. Quelques mois plus tôt, en février, un haut responsable du ministère des Télécommunications iranien a affirmé que Téhéran a contrecarré une cyberattaque ayant mis à mal pendant une heure la connexion de certains fournisseurs d’accès à internet dans le pays. En avril 2021, l’usine d’enrichissement d’uranium du complexe nucléaire de Natanz, dans le centre de l’Iran, subit un «accident».
«Avec cette action, le régime sioniste a bien sûr essayé de se venger du peuple iranien pour la patience et la sagesse dont il a fait preuve (en attendant) la levée des sanctions américaines», a estimé le lendemain le porte-parole des Affaires étrangères iranien, Saïd Khatibzadeh. En juillet, une «cyberperturbation» a rendu inaccessible le portail Internet du système ferroviaire du pays. Le 26 octobre, l’Iran est la cible d’une «cyberattaque» qui a paralysé la distribution de carburant à travers le pays. Un haut responsable iranien a évoqué l’implication probable des Etats-Unis et d’Israël dans la cyberattaque.
Assassinats ciblés
Les auteurs de l’attaque «étaient sans conteste nos ennemis, à savoir les Etats-Unis et le régime sioniste», a déclaré le 30 octobre, à la télévision d’Etat, le chef de la Défense civile, le général des Gardiens de la révolution, Gholamréza Jalali. Entre-temps, plusieurs scientifiques iraniens de haut rang ont été tués. Actes attribués pour la plupart à Israël. En janvier 2010, un professeur de physique des particules, Massoud Ali Mohammadi, est tué par l’explosion d’une moto piégée alors qu’il sortait de son domicile à Téhéran. L’assassinat de ce physicien de renom est attribué aux services du renseignement israéliens et américains par plusieurs dirigeants et médias officiels iraniens.
En novembre, Majid Shahriari, fondateur de la Société nucléaire d’Iran et qui fut chargé d’un des grands projets de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) est tué à Téhéran par l’explosion d’une bombe placée dans sa voiture. Le même jour, un autre physicien nucléaire, Fereydoun Abbassi Davani, est blessé lors d’un attentat dans des conditions identiques. L’Iran accuse les services du renseignement américains et israéliens d’être derrière ces assassinats. En juillet 2011, le scientifique Dariush Rezaïe-Nejad est tué par balles par des inconnus à moto à Téhéran. L’Iran accuse Israël et les Etats-Unis. En janvier 2012, le scientifique Mostafa Ahmadi Roshan, travaillant sur le site de Natanz, est tué dans l’explosion d’une bombe magnétique placée dans sa voiture, près de l’université Allameh Tabatabai, dans l’est de Téhéran. L’Iran accuse de nouveau les Etats-Unis et Israël.
En novembre 2020, le physicien nucléaire Mohsen Fakhrizadeh est tué près de Téhéran dans une attaque contre son convoi. Il est présenté après sa mort comme un vice-ministre de la Défense et le chef de l’Organisation de la recherche et de l’innovation en matière de défense (Sépand), ayant notamment contribué à la «défense antiatomique» du pays. L’Iran a accusé Israël d’avoir commandité l’attentat perpétré, selon Téhéran, au moyen, entre autres, d’une mitrailleuse commandée par satellite.
De son côté, Tel-Aviv accuse Téhéran d’avoir lancé des attaques indirectes contre Israël, hors de son territoire. En 1992, un attentat contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires fait 29 morts, puis en 1994, un attentat est commis contre le bâtiment de l’Association mutuelle israélo-argentine (Amia), tuant 85 personnes. Ces deux attentats sont commandités par l’Iran, a statué jeudi dernier la justice argentine.
En février 2012, une série d’attentats visent des cibles israéliennes en Géorgie, en Inde et en Thaïlande, en utilisant des agents du Hezbollah, selon l’Etat hébreu. Téhéran rejette les accusations. Le 18 juillet, Israël accuse Téhéran d’avoir commandité l’attentat contre un bus de touristes israéliens en Bulgarie exécuté, selon Tel-Aviv, par le Hezbollah. L’attentat a fait sept morts dont cinq Israéliens. L’Iran rejette ces accusations.