Entre progrès et «plafond de verre» : La lente émergence des femmes au Vatican

09/03/2023 mis à jour: 20:10
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Le pape François rencontre des sœswurs lors de son audience hebdomadaire, le 15 février 2023 au Vatican

Une lente «transition» dans le gouvernement de l’Eglise : en nommant des femmes à des postes de responsabilité au Vatican, le pape François fait bouger les lignes, mais ses réformes se heurtent aux mentalités d’un système intrinsèquement patriarcal.

Des uniformes bigarrés des gardes suisses aux rangées de cardinaux place Saint-Pierre, la figure féminine est loin d’être la première image véhiculée par le plus petit Etat du monde. Pourtant, de plus en plus de femmes œuvrent dans son administration. Economistes, secrétaires, historiennes, archivistes : en 2019, la Curie romaine comptait 649 femmes - soit 24% des effectifs - contre seulement 385 en 2010, selon les derniers chiffres disponibles. Si cette inflexion est largement saluée en public, une dizaine de salariées interrogées par l’AFP regrettent, sous le couvert de l’anonymat, la résistance et la condescendance auxquelles elles sont confrontées, notamment chez les clercs. «Il reste beaucoup de chemin à faire», souligne l’une d’elles, en poste depuis 10 ans. Une autre dénonce «un plafond de verre et une attitude globalement paternaliste dans les couloirs», avec une vision passéiste de «la femme sensible, douce, qu’on retrouve dans les discours du pape». «On a parfois l’impression d’être considérées comme des stagiaires. Ce sont des petits gestes, une main sur l’épaule, un manque de considération, des remarques quasi quotidiennes sur le physique et les tenues vestimentaires», ajoute-t-elle. D’autres, parfois mères de familles, regrettent de se voir reléguées à des seconds rôles et dénoncent une injonction implicite au silence et à la docilité.

«Mentalité machiste»

Pour accroître leur visibilité, les femmes ont uni leurs forces en créant en 2016 l’association Donne in Vaticano («Femmes au Vatican»), dont la centaine de membres se réunissent chaque mois. «Le but est de créer un réseau d’échange et de valoriser le rôle des femmes», explique à l’AFP sa présidente, Margherita Romanelli. Dès 2012, la création inattendue d’un supplément féminin mensuel au très sérieux Osservatore Romano, le quotidien officiel du Vatican, avait jeté un pavé dans la mare. Quitte à se frotter à des réticences. Sa fondatrice Lucetta Scaraffia, éditorialiste et historienne, a fini par jeter l’éponge en 2019 en dénonçant un «climat de méfiance». Selon elle, les réformes du pape, essentiellement «cosmétiques», dissimulent en réalité une «mentalité machiste», selon laquelle «les femmes doivent servir sans rien demander en retour». Elle en veut pour preuve «l’esclavage moderne» des religieuses employées au Vatican et ailleurs chez des prêtres, évêques ou cardinaux, pour faire «la cuisine, le ménage, laver les vêtements». Mais aussi les violences sexuelles contre des religieuses à Rome et dans le monde, qui aboutissent souvent à des avortements.

«Accélération»

Malgré ces critiques, beaucoup saluent la nette accélération d’une féminisation amorcée il y a une vingtaine d’années, avec un nombre croissant de laïques recrutées pour des compétences spécifiques. Au milieu des cols romains, le nombre de femmes à des postes à responsabilités a ainsi triplé depuis l’élection de François il y a 10 ans. A l’image de soeur Alessandra Smerilli, devenue en 2021 la première femme nommée secrétaire (n° 2) d’un dicastère, équivalent d’un ministère. Ou encore Barbara Jatta, première directrice des prestigieux musées du Vatican. Laïcisation des postes de «ministres», participation de femmes à la nomination des évêques: le jésuite argentin continue d’avancer par petites touches. «Il y a encore dix ans, il n’aurait pas été possible d’imaginer une telle évolution», relève Gudrun Sailer, journaliste autrichienne à Vatican News et autrice du livre Femmes au Vatican. «Le Vatican a 30 ou 40 ans de retard, mais la femme a une voix aujourd’hui, elle ne se laisse plus marcher sur les pieds», ajoute une salariée laïque âgée d’une quarantaine d’années. Dans une Cité-Etat qui applique une stricte parité salariale, le chef des 1,3 milliard de catholiques a aussi introduit des mesures symboliques, comme l’ouverture aux femmes du rite du lavement des pieds ou de la lecture durant la messe.

«Bouger les lignes»

Face au décalage entre ces réformes et la persistance de comportements misogynes, des femmes s’interrogent sur la position à adopter. «Certaines estiment qu’il faut dire la vérité et dénoncer les comportements, d’autres pensent que cela est contre-productif et qu’il faut se satisfaire de petites avancées», commente ainsi l’une d’elles. «Changer les mentalités est un processus long», rappelle Romilda Ferrauto, membre de Donne In Vaticano. «La méthode de François est de poser des gestes et d’attendre que cela fasse bouger les lignes». Loin d’être cantonné aux frontières vaticanes, le débat rejoint les voix s’élevant contre le patriarcat systémique de l’Eglise catholique romaine, engagée depuis plusieurs mois dans une vaste consultation mondiale sur son avenir. Car les difficultés des femmes au Vatican reflètent aussi l’héritage d’une Eglise deux fois millénaire qui proscrit le divorce, l’avortement et l’ordination des femmes tout en défendant bec et ongles le célibat des prêtres. Bien avant la vague îMeToo et la multiplication des revendications féministes, les Eglises protestantes avaient pris le pli des évolutions sociétales en propulsant des femmes au sommet de leurs instances. Pour la théologienne française Anne-Marie Pelletier, le mouvement «irréversible et heureux» de féminisation doit se concrétiser dans des décisions encore plus fortes, comme l’ordination de femmes diacres... voire la création de femmes cardinales. «Ce serait un geste symbolique fort pour effacer ces stéréotypes.»

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