De Vilnius à Lisbonne, des dizaines de millions d’électeurs ont voté hier pour renouveler le Parlement européen, où la progression attendue de l’extrême droite pourrait orienter le cap politique des cinq prochaines années à un moment crucial pour l’UE.
Le scrutin, destiné à élire 720 eurodéputés, se déroule sur fond d’inquiétudes liées à la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie et de défis de taille pour l’Europe, face à la Chine et aux Etats-Unis.
Les citoyens de 21 des 27 pays de l’UE, dont l’Allemagne, la France et l’Espagne, se sont prononcés au dernier jour d’un marathon électoral entamé jeudi aux Pays-Bas. Au total, plus de 360 millions de personnes sont appelées aux urnes. Les résultats sont attendus dans la soirée. «L’enjeu est de taille», a souligné la Première ministre danoise Mette Frederiksen, deux jours après avoir été agressée à Copenhague, citant notamment «la sûreté et la sécurité avec la guerre en Europe », «le changement climatique», «la pression sur les frontières de l’Europe», et l’influence des «géants de la technologie», selon des propos recueillis par l’AFP.
Si les sondages prédisent une poussée de l’extrême droite dans nombre de pays, la «grande coalition» actuelle droite/socialistes/libéraux, qui forge les compromis dans l’hémicycle européen, devrait y conserver la majorité. Mais elle pourrait voir sa marge de manœuvre réduite, l’obligeant à trouver des forces d’appoint et augurant d’intenses tractations dans les semaines à venir. Les Néerlandais, premiers à voter jeudi, ont confirmé une hausse du parti d’extrême droite de Geert Wilders, même s’il devrait se contenter de la deuxième place derrière la coalition sociale-démocrate et écologiste, selon des estimations. La présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, qui brigue un deuxième mandat de cinq ans, a voté en milieu de matinée à Burgdorf, en Basse-Saxe. «J’espère qu’une majorité pro-paix sortira de ces élections», a déclaré le Premier ministre hongrois Viktor Orban après avoir voté à Budapest. Toujours très critique de Bruxelles, le dirigeant nationaliste multiplie par ailleurs les attaques contre l’Otan, l’accusant d’entraîner les pays de l’Alliance dans une «conflagration mondiale».
Dans les pays voisins de la Russie en guerre contre l’Ukraine, la sécurité est une préoccupation majeure. La mobilisation de l’électorat est l’un des grands enjeux du scrutin. En Espagne, la participation était en baisse à 14H00 (12H00 GMT), à 28,01%, contre 34,74% lors du dernier scrutin en 2019. En France, en revanche, elle était en hausse à 45,26% à 17H00 (15H00 GMT) contre 43,29% en 2019. Dans ce pays où 49 millions d’électeurs sont appelés aux urnes afin de désigner 81 eurodéputés, le président Emmanuel Macron a appelé à faire barrage à l’extrême droite, estimant que le risque était que l’Europe se retrouve
«bloquée». Les derniers sondages placent largement en tête le Rassemblement national, mené par Jordan Bardella, avec plus de 30% des voix, loin devant Renaissance, le parti du président français, puis la gauche sociale-démocrate emmenée par Raphaël Glucksmann. En Allemagne, l’extrême droite rassemblée derrière l’AfD, est aussi en embuscade, en dépit des derniers scandales qui ont éclaboussé sa tête de liste. Si les conservateurs allemands de la CDU-CSU devraient arriver largement en tête, avec 30,5% des voix, selon un sondage, le parti du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, le SPD, devrait connaître un échec cuisant. Le SPD et les Verts bataillent pour la deuxième place avec l’AfD.
En Italie, où le vote a débuté samedi, le parti post-fasciste Fratelli d’Italia (FDI) de la cheffe de gouvernement Giorgia Meloni pourrait envoyer 22 eurodéputés dans l’hémicycle, contre six actuellement. Mme Meloni, qui s’est présentée comme tête de liste à cette élection, a réaffirmé vouloir «défendre les frontières contre l’immigration illégale, protéger l’économie réelle, lutter contre la concurrence déloyale».
Le Premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, a encouragé les électeurs à se rendre aux urnes. «C’est le vote qui décide si l’avenir que nous construisons ensemble pour l’Europe et pour l’Espagne est un avenir de progrès ou un avenir de régression», a-t-il déclaré.
Par ailleurs, le parti d’extrême droite FPO ressort en tête à l’issue de ces élections en Autriche, selon des sondages publiés par les principaux médias après la fermeture des bureaux de vote. Il est crédité de 27% des voix, devenant la plus importante force politique du pays alpin pour la première fois de son histoire. Ils sont suivis des conservateurs (OVP) qui, avec un peu plus de 23%, se trouvent au coude-à-coude avec les sociaux-démocrates du SPO. Les Verts affichent un score de 10,5%. Laminé après le retentissant scandale de corruption de l’Ibizagate, le Parti autrichien de la Liberté (FPO) n’avait décroché que trois sièges au Parlement européen à l’issue du scrutin de 2019, un chiffre qui devrait doubler
dans le nouvel hémicycle. Il a depuis remonté la pente sous la houlette d’un chef radical, Herbert Kickl.
Le FPO triomphe
en Autriche
Arrivé à la présidence du parti en 2021, il a su reconquérir les électeurs, notamment grâce à son discours «anti-vaccins» en pleine pandémie de Covid-19, dans un pays déchiré par les strictes mesures sanitaires qui sont allées jusqu’au confinement des non-vaccinés. Sur la guerre en Ukraine, le tribun de 55 ans défend la «neutralité» de l’Autriche, fustigeant le soutien accordé à l’Ukraine et les sanctions de l’UE contre Moscou. Pendant la campagne, menée par le député européen Harald Vilimsky, le parti a placardé des affiches montrant la cheffe de la Commission européenne Ursula von der Leyen étreignant le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Après ce succès aux européennes, le FPO espère remporter les législatives prévues fin septembre, sans garantie cependant de trouver des partenaires pour gouverner. L’Autriche connaît une extrême droite implantée politiquement depuis les années 1980.
C’est dans ce pays qu’elle a été associée au pouvoir au niveau national, pour la première fois au sein de l’Union européenne, en 2000: 250 000 personnes avaient alors protesté dans la rue contre le succès du tribun Jörg Haider. Le FPO, fondé dans les années 1950 par d’anciens nazis, a de nouveau gouverné entre 2017 et 2019, toujours en coalition avec les conservateurs. Au total, 6,4 millions de personnes peuvent voter dans le pays alpin, qui dispose de 20 sièges dans le Parlement européen de 720 élus. En Allemagne, les sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz ont enregistré un revers, arrivant derrière les conservateurs et l’extrême droite, selon des sondages réalisés par les télévisions publiques. Selon les enquêtes réalisées à la sortie des bureaux de vote pour ARD et ZDF, le SPD d’Olaf Scholz a obtenu 14% des suffrages, tandis que les conservateurs (CDU et CSU) sont arrivés premiers avec 29,5-30% et l’extrême droite AfD, en seconde place, avec 16,5-16%.
Les eurodéputés auront comme première tâche de confirmer ou d’infirmer les choix des dirigeants des pays membres pour la présidence de la Commission. Si les 27, qui se réunissent fin juin en sommet à Bruxelles, optent pour une reconduction d’Ursula von der Leyen, le vote du Parlement, a priori à la mi-juillet, sera scruté avec attention. En 2019, lorsqu’elle a été nommée à ce poste à la surprise générale, le Parlement ne lui a accordé sa confiance qu’à une très courte majorité (neuf voix).