Le bateau humanitaire Ocean Viking transportant 235 migrants, dont une cinquantaine d’enfants, a été autorisé, hier, à jeter l’ancre au port militaire de Toulon, en France. L’Italie, pays le plus proche de la zone de secours des migrants, avait refusé d’autoriser l’accostage du bateau. Par cette mesure jugée, y compris par ses partenaires européens dont la France, contraire au droit maritime international sur l'accueil des naufragés en mer, la nouvelle présidente du Conseil italien d’extrême droite, Giorgina Meloni, vient de donner le ton sur la vision du nouveau gouvernement relative à la politique migratoire et particulièrement sur le traitement de la question des migrants clandestins. Hier, l’actualité du bateau de sauvetage humanitaire Ocean Viking s’est invitée en bonne place dans la célébration d’un événement historique majeur de l’Hexagone, en l’occurrence la commémoration de l’anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918. La France était en effet, hier, au centre du débat sur l’immigration clandestine dans l’espace européen, destination finale de prédilection des migrants clandestins. D’abord en France où les autorités qui ont accepté, pour la première fois d’ouvrir leurs bras à une expédition humanitaire du genre, tout en demeurant,cependant, vigilantes et fermes sur leurs positions face à l’immigration clandestine sous toutes ses formes. L’assistance sanitaire et logistique a été mobilisée pour le débarquement des migrants et leur acheminement vers un site d’hébergement sur la presqu’île de Giens. Ces immigrants d’infortune seront répartis, selon le ministre de l’Intérieur français, Gerard Darmanin, entre neuf pays européens qui ont déjà accepté d’accueillir «deux tiers» de ces migrants : il s’agit de l’Allemagne, la Croatie, la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie, Malte, le Portugal, le Luxembourg et l’Irlande. Toutefois, le ministre de l’Intérieur s’est voulu ferme, assurant qu’aucune tolérance ne sera accordée aux candidats ne répondant pas aux critères du droit d’asile, promettant une reconduite dans leur pays d’origine. Le président français devait se rendre, hier, à Toulon pour témoigner que la France remplit ses obligations internationales humanitaires, contrairement à d’autres Etats européens. Pointée du doigt, l’Italie a réagi hier fermement par l’entremise de la présidente du Conseil italien, qui a dénoncé une réaction française «agressive, injustifiée et incompréhensible». Cette affaire dont le président français, en perte d’audience, selon les sondages, se serait bien passé, intervient alors que le débat sur la loi sur l’immigration divise la société française, comme elle ne l’a jamais été avec ce raccourci du lien quasi systématique établi, aujourd’hui, dans de larges pans de la classe politique française et dans l’opinion publique, entre la violence, l’insécurité et l’immigration clandestine.
Les ONG humanitaires s’insurgent
L’ancien candidat à l’élection française, Eric Zemmour, président du parti d’extrême droite Reconquête, a commenté, hier, avec ses arguments habituels xénophobes cette nouvelle affaire de sauvetage de migrants, affirmant que «la seule façon qu’il n’y ait plus de morts dans la Méditerranée» consiste à faire en sorte «que les migrants (ne) partent (plus) de leur pays». Des mesures de restriction, même à l’égard de l’émigration légale, sont envisagées dans le cadre du nouvel arsenal juridique français, dont la mise en œuvre est prévue début 2023. La droitisation du débat sur les migrants clandestins dans l’espace européen a propulsé des courants de l’extrême droite, dans nombre de pays européens, aux premières loges de la vie politique nationale. L’attitude des nouvelles autorités italiennes face à l’épisode du bateau Ocean Viking inquiète les organisations non gouvernementales humanitaires chargées des secours en mer, qui dénonce l’instrumentalisation politique d’une question humanitaire. «Ces opérations sont et resteront la réponse aux politiques européennes et nationales irresponsables de non-assistance en mer», a martelé l’ONG Médecins sans frontières, qui affirme avoir secouru plus de 37 000 personnes. Plus de 1000 rescapés tentant de rejoindre l’Europe se trouvent actuellement bloqués en mer sur des navires de secours du fait des difficultés de trouver un port pour accoster. En plus des 234 personnes secourues par l’ONG SOS Méditerranée, qui opère en partenariat avec la Fédération internationale de la Croix-Rouge, 572 personnes se trouvent sur le Geo Barents de Médecins sans frontières (MSF) auxquelles s’ajoutent les migrants à bord des bateaux de l’ONG allemande SOS Humanity et le Rise Above de l’organisation Lifeline. Le Fonds monétaire international (FMI) s’est invité, lui aussi, au débat, soulignant hier, par la voix de son directeur adjoint Franck Bousquet, la volonté de l’institution de s’investir dans l’humanitaire. «La paix fait partie de notre identité», a souligné le responsable du FMI indiquant qu’une quarantaine de pays membres du FMI, sont considérés comme «fragiles», des Etats affectés par des conflits. La thérapie classique de réajustement structurel qui a plongé dans le chaos nombre de pays où elle a été administrée ne suffit pas, a -t-il admis. Il préconise des actions «concrètes de coopération avec le programme alimentaire mondial (PAM) ou avec le Haut-Commissariat aux réfugiés ( HCR).
Il reste à savoir ce qu’il en est réellement sur le terrain de cet épanchement de générosité exhibé dans l’espace européen, lorsque des pays sont pointés du doigt pour leur manquement au droit international sur les questions humanitaires face à des tragédies humaines. La politique de «l'immigration choisie», en plus d’assécher les élites des pays pourvoyeurs d’immigration, crée un sentiment d’injustice qui favorise l’émigration clandestine des autres couches de la population non éligibles à l’immigration désirée. Les mesures de restriction de visas adoptées dans l’espace Schengen, excluant même les catégories socioprofessionnelles : médecins, hauts fonctionnaires, étudiants, hommes d’affaires, journalistes…pour lesquelles des facilités étaient accordées auparavant en matière de délivrance de visas, expliquent l’ampleur du phénomène prise par l’immigration clandestine ces dernières années. L’argument mis en avant par les politiques, selon lequel les vagues des candidats à l’immigration clandestine débarquant sur les côtes méditerranéennes sont composées de desperados, de repris de justice pour justifier le durcissement de leur arsenal juridique sur l’immigration ne tient pas la route.