Début à Alger des 8es Journées du film européen : «L’employée du mois», un humour acide au goût du sang

24/02/2024 mis à jour: 09:20
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Scène du film L’employée du mois - Photo : D. R.

Le long métrage belge L’employée du mois de Véronique Jadin a été projeté, dans la soirée du jeudi 22 février, à la Cinémathèque d’Alger, à la faveur des 8es Journées du film européen qui se déroulent pendant une semaine.

Quatorze films sont au programme au niveau des Cinémathèques d’Alger, d’Oran, de Béjaïa, et pour la première fois, Annaba. «Cette année, nous avons choisi les comédies dans toutes les formes possibles, parfois noires. Je note la présence de deux films de deux pays non encore représentés en Algérie, la Slovénie et l’Estonie.

La Slovénie va bientôt ouvrir une ambassade en Algérie», a déclaré lors de la cérémonie d’ouverture, Thomas Eckert, ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Algérie, en présence de l’ambassadeur de Belgique Alain Leroy. Robert Golob, président du gouvernement de Slovénie, devrait se rendre en Algérie les prochaines semaines pour officialiser l’ouverture de la première ambassade de ce pays à Alger.

Thomas Eckert a évoqué le soutien du ministère de la Culture et des Arts, de la Cinémathèque algérienne, de l’Association Project’Heurts de Béjaïa et du média alternatif Cilmastation pour l’organisation de cet événement.

«L’employée du mois», une comédie noire, raconte l’histoire d’Inès (Jasmina Douieb), 45 ans, une femme élégante, habillée en un tailleur parme-lavande, qui travaille dans une société de distribution de produits nettoyants, et qui attend une augmentation de salaires depuis des années. Elle s’occupe du secrétariat,  du contrôle de qualité, des questions juridiques et d’autres tâches.

Élue employée du mois, pour son dévouement et son sérieux au travail, elle sollicite son directeur Patrick (Peter Van den Begin) pour une revalorisation salariale.

Écart de salaires

Patrick avance des arguments peu convaincants pour refuser la demande mais n’hésite pas à décider de hausses salariales pour ses collègues masculins.

En Europe, les écarts de salaires entre femmes et hommes existent à des niveaux variables entre les pays, malgré l’article 157 du Traité de l’Union européenne qui stipule que «chaque Etat membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur».

Selon l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), les hommes belges gagnent 1,2% de plus que les femmes, «à fonction et situation identiques». Le long métrage de Véronique Jardin porte une dénonciation de cette situation d’inégalités qui persiste en terres européennes malgré tous les beaux discours politiques et les promesses des patrons.

Au travail, les collègues d’inès sont misogynes et condescendants qui n’hésitent pas à la traiter comme une femme de ménage ou un agent affecté aux cuisines en lui demandant à chaque fois de leur préparer du café.

Un café dont ils n’apprécient pas le goût à chaque fois. Inès se sent humiliée et écrasée. Elle se réfugie dans les sanitaires pour étouffer sa colère et cacher sa tristesse. Melody (Laetitia Mampaka), une stagiaire, comprend la situation d’Inès et essaie de compatir en assistant aux moqueries des collègues.

Elle lui vient en aide lorsque le patron tente encore d’abuser d’Inès. L’intervention de Melody vire au cauchemar lorsque Patrick est tué accidentellement. Que faire ? Cacher le cadavre ? Fuir? Le premier réflexe d’Inès est de nettoyer la scène du crime. Elle est conditionnée au nettoyage.

Un sentiment meurtrier

Inès dépasse vite sa peur, se métamorphose en un autre personnage, commence à boire de l’alcool, retrouve une autre force. Elle a enfin un pouvoir, peut changer son destin en sang et acide.Inès est prise par un sentiment meurtrier comme pour se venger de l’homme oppresseur, voire de la femme dans l’habit d’un homme, comme cette patronne (Laurence Bibot) qui humilie Inès à cause du café.

Elle semble même trouver goût du meurtre. Elle est aidée par Melody, elle aussi poussée par un sentiment ravageur, après avoir subi un viol, commis par son enseignant à l’université. Le viol des étudiantes est un autre mal caché en Europe et ailleurs.

Le public de la cinémathèque d’Alger a applaudi le film, a ri aux éclats lorsque Inès tuait et se débarassait d’un cadavre. Les spectateurs ont eu de la sympathie pour Inès et Melody. Mais pourquoi donc ? Ce sentiment est presque le même pour le long métrage Joker de  Todd Phillips (2019) qui narre l’histoire d’un homme écrasé par la société qui se transforme en tueur pour prendre aussi sa revanche avec un incroyable sang froid et un malin plaisir. Succès mondial pour ce film.

L’employée du mois, premier long métrage de Véronique Jadin, rappelle aussi le drame américain Chute libre de Joel Schumacher (1993). Ce film suit le parcours dévastateur d’un homme dépressif, réduit au chômage et divorcé, dans un Los Angeles repoussant et indifférent.

Féminisme sanglant

Même plongé dans un certain humour glacial, L’employée du mois  n’échappe pas à l’idée que la réalisatrice est dans une attitude féministe poussée presque à des limites sanglantes.

C’est une critique au vitriol du patriarcat et des attitudes machistes dans les milieux professionnels en présentant l’homme dans la posture du méchant et la femme dans celle de la victime. Une vision manichéenne qui n’amoindrit pas de la qualité d’un film qui se rapproche du slapstick en adoptant aussi le ton d’un thriller psychologique.

Les deux tueuses, Inès et Melody, sont deux femmes d’origine étrangère. Elles ne sont pas européennes. Un hasard ? «C’est plus une métaphore qu’un film réaliste. Il dénonce une triste situation sociale sur le mode du grincement.

C’est cela qui fait que ce film fasse le tour du monde depuis deux ans, passant de l’Uruguay au Japon. Si j’avais réalisé un long métrage triste sur une travailleuse exploitée, il serait passé dans un festival ou deux comme un film féministe. Curieusement, L’employée du mois a été sélectionné dans des festivals de films genre, de films d’’horreur», a souligné Véronique Jadin, lors du débat qui a suivi la projection. 

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