Critiques ouvertes du système et peur pour la démocratie : La Tunisie peine à retrouver son équilibre

17/03/2022 mis à jour: 17:35
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La Tunisie traverse, depuis 2016, une crise socioéconomique qui a déjà nécessité une première intervention de redressement, réalisée avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI). 

La crise Covid a accentué davantage la crise en 2020 et 2021. La flambée des prix des hydrocarbures et des céréales, née du récent conflit russo-ukrainien, a compliqué encore plus la situation. Mais, le plus grave, c’est que les Tunisiens ne sont pas unis face à cette crise. Le président Saïed ne dispose pas de ceinture politique pour porter son projet. 
 

Il suffit de suivre les interventions sur les plateaux télévisés d’El Hiwar, Hannibal TV ou Attassiaa, et entendre les leaders des islamistes d’Ennahdha ou l’universitaire Jawher Ben Mbarek, s’attaquer ouvertement au projet du président Saïed et qualifier le 25 juillet 2021 de putsch, pour conclure que la démocratie se porte encore bien en Tunisie. Cela est également vrai pour les émissions politiques sur les radios Mosaïque Fm ou Shems Fm. 

Les propos critiques du régime en place, après le 25 juillet 2021, l’emportent de loin sur les propos favorables au président Saïed, d’autant plus qu’il n’y a pas de structure organique portant le projet présidentiel et pouvant assumer sa défense. Ces radios et ces télés n’ont pas été poursuivies pour opposition au pouvoir. Et même le problème actuel à la télé nationale est loin d’être une question de démocratie. 

C’est plutôt le clan, proche du syndicat des journalistes, qui a perdu son influence acquise du temps de l’ex-chef de gouvernement, Hichem Mechichi, et son homme de main sur les médias, Mofdi Mseddi. Ils veulent riposter en ventilant le slogan de la démocratie et de l’indépendance de la ligne éditoriale. 
 

L’environnement tunisien de l’information et de la communication est dominé par le désordre et l’absence de professionnalisme. Le public est mitraillé par les fake news, créés sur les réseaux sociaux et repris par les médias professionnels. Les institutions professionnelles, telles que la Haute autorité indépendante de communication audiovisuelle (Haica) ou le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) ne sont pas parvenus à exploiter la sphère des libertés afin de placer de bonnes règles de conduite. 

Du coup, ce monde de la presse et de l’audiovisuel est en pleine crise, aussi bien matérielle que dans les contenus. Ne survivent que les médias supportés par des lobbies, d’où l’alignement politique pro ou anti-Saïed, en fonction de l’orientation du bailleur de fonds et les journalistes ne s’en cachent pas. Pour la presse écrite, la moitié des quotidiens (Assabah, Le Temps, La Presse) est publique. Ils sont déficitaires et ne survivent que grâce à l’aide gouvernementale. Et même les organes privés arrivent difficilement à maintenir leur équilibre budgétaire. Le SNJT demande de maintenir le soutien du gouvernement à la presse écrite pour préserver le secteur, qui risque autrement de disparaître. 
 

Difficultés
 

La Tunisie n’arrive pas encore à trouver un terrain d’entente avec le FMI pour un nouveau plan de redressement économique, parce que l’institution internationale exige qu’il y ait entente tunisienne sur le projet. Le différend porte sur le poids de la fonction publique dans le budget de l’Etat (17,5% du PIB), les déficits endémiques des entreprises publiques comme la STEG, la Sonede ou les sociétés de transports (Tunisair, SNCFT et CTN), ainsi que d’autres, trop endettées et devenant une charge pour les gouvernements successifs. Il y a également la question de la compensation des produits alimentaires et énergétiques. Le FMI recommande de cibler l’intervention de l’Etat. 

L’UGTT demande à préserver le pouvoir d’achat de ses adhérents de la couche moyenne, qui pourraient être touchés par la diminution de la compensation. L’UGTT, très représentée au sein des établissements publics, demande à les mettre à niveau. 
 

Le président Saïed n’a pas encore apporté la moindre réforme au pays, huit mois après son coup de force du 25 juillet. Sa feuille de route comporte une consultation populaire qui se terminera fin mars, pour déboucher sur un référendum le 25 juillet qui décidera du nouveau régime politique. Il y aura également des élections législatives le 17 décembre 2022. Tous ces rendez-vous politiques ne vont pas changer la situation socioéconomique du pays, ni venir en aide aux plus démunis. Donc, la crise va persister, voire s’ancrer davantage. L’universitaire Amine Mahfoudh, connu pour être proche du président Saïed, demande de raccourcir ces délais. Autrement, l’impatience risque de s’accentuer.

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami

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