Tous les acteurs politiques, les islamistes d’Ennahdha compris, ont compris qu’il n’y a pas d’alternative en dehors de celle tracée par le président Saïed. Adieu l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la Constitution d’avant le 25 juillet. Le mieux, si l’on suit les agissements de la direction d’Ennahdha, c’est de se réimplanter dans la rue.
Mais, ce n’est pas chose aisée, puisque Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha, a été hué la semaine dernière à Thala, au Centre-Ouest, alors que son bras droit, Ali Laâreyedh, ex-chef de gouvernement en 2013, a été chassé le lendemain à Sidi Bou Saïd, la banlieue huppée de Tunis. Temps durs pour les islamistes.
Le président tunisien, Kaïs Saïed, est apparemment parvenu en huit mois à mâter l’opposition à son coup de force du 25 juillet 2021, lorsqu’il s’était emparé de tous les pouvoirs, en gelant l’ARP et outrepassant, de fait, ses attributions inscrites dans la Constitution du 27 janvier 2014. Ainsi, quelques manifestations de rue ont certes été orchestrées par les islamistes d’Ennahdha et dirigées par des figures de l’opposition laïque, telles qu’Ahmed Néjib Chebbi, l’ex-leader du Parti républicain, Khalil Ezzaoui du parti Ettakattol ou Jawher Ben Mbarek du mouvement Citoyens contre le putch.
Mais, il y a eu rapidement un effet de désenchantement. Personne ne peut désormais croire les propos que ne cessent d’affirmer ces politiques, à longueur de journée sur tous les plateaux, que c’est la dictature qui s’installe en Tunisie. «De quelle atteinte à la démocratie parlent-ils, alors qu’ils s’expriment librement sur tous les plateaux, plus même que les sympathisants du président Saïed», s’interroge le Tunisien lamda, qui ne leur accorde plus de crédit.
Le président Saïed est même passé à la vitesse supérieure le 7 février 2022 en procédant à la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et son remplacement par une instance provisoire. Plusieurs observateurs avaient cru à un possible blocage de l’appareil judiciaire.
Mais, le décret de l’interdiction de la grève aidant, rien ne s’est vraiment passé. Plusieurs juristes ont trouvé que même «si la forme n’était pas telle qu’il faut, le CSM était une machine lourde et avait besoin d’être éjecté». Le président Saïed a réalisé les vœux exprimés par une large frange des Tunisiens. «Lesquels vœux ne sauraient être exaucés en respectant la discipline sur mesure de la Constitution de 2014», souligne le notaire Sami Ben Slama, ancien membre de l’ISIE de 2011, en attirant l’attention sur le fait que «les Tunisiens demeurent vigilants pour faire face à tout excès d’autoritarisme».
L’universitaire constitutionnaliste Amine Mahfoudh va dans le même sens en soulignant «la nécessité de réviser la Constitution et la loi électorale, tout en sensibilisant les citoyens et citoyennes à la question de l’Etat de droit, ignoré par l’ancienne Constitution». La feuille de route, annoncée par le décret du 22 septembre 2021, par le président Saïed, se compose d’une consultation populaire en ligne, jusqu’au 31 mars 2022, d’un référendum populaire le 25 juillet 2022 et d’élections législatives le 17 décembre 2022.
Contre la Montre
Les islamistes d’Ennahdha essaient de se repositionner dans la rue pour pouvoir avoir de l’influence sur le référendum du 25 juillet et se présenter aux élections du 17 décembre. Le premier rendez-vous donnera les contours de la nouvelle Tunisie, celle voulue par Saïed, alors que les élections pourraient les chasser du paysage politique s’ils n’essaient pas de s’agripper. Les sorties récentes de Ghannouchi et Laâreyedh montrent toutefois que la tâche sera ardue.
Aussi bien à Thala pour Ghannouchi qu’à Sidi Bou Saïd pour Laâreyedh, les réactions spontanées agressives du public montrent que la population continue à associer les islamistes aux échecs constatés durant la dernière décennie. En opposition à ce rejet des islamistes d’Ennahdha, le président Saïed bénéficie d’un large soutien populaire, pour le moment du moins. Saïed se trouve toutefois face à un défi, celui de réussir le redressement socioéconomique souhaité par la population depuis 2011, celui-là même qui n’a pas été réussi par les islamistes durant la dernière décennie.
Et ce n’est pas un hasard si le président tunisien promet d’investir dans les localités démunies, par des fonds obtenus auprès des hommes d’affaires corrompus sous l’ancien régime. Un projet soutenu par la centrale patronale (Utica), qui y voit une manière de tourner la page après la dernière décennie, marquée par du racket de ces hommes d’affaires, selon Samir Majoul, le président de l’Utica, lors du récent congrès de l’UGTT. Toutefois, le président Saïed a-t-il les moyens pour réussir son entreprise ?