Crise politique au Sénégal : La marche contre le report de la présidentielle interdite

14/02/2024 mis à jour: 18:17
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Le Sénégal est en proie à l’une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies depuis que le président Sall a annoncé le report de la présidentielle le 3 février

Les autorités sénégalaises ont interdit une grande marche prévue par la société civile, hier, à Dakar contre le report de la présidentielle et la prolongation du mandat du chef de l’Etat, rapporte l’AFP. Le gouvernement a suspendu l’internet sur les mobiles «en raison de la diffusion sur les réseaux sociaux de plusieurs messages haineux subversifs», pour la deuxième fois en huit jours.

Le nouveau collectif Aar Sunu Election (Protégeons notre élection), qui revendique plusieurs dizaines d’organisations syndicales et de groupes citoyens et religieux, a appelé les Sénégalais à se rassembler massivement pour une marche silencieuse à partir de 15H00 (locales et GMT) dans un quartier proche du centre de la capitale. 

La préfecture a interdit la manifestation parce qu’elle «risque de perturber gravement» la circulation routière, dit une lettre officielle publiée sur les réseaux sociaux et que des représentants du collectif ont confirmé avoir reçue. 

Quatre représentants ont indiqué que la marche est repoussée, peut-être à vendredi, selon certains d’entre eux. «Nous allons reporter la marche car nous voulons rester dans la légalité. La marche a été interdite. C’est un problème d’itinéraire. Donc nous allons changer cela», a dit Malick Diop, un coordinateur du collectif.

Les manifestations sont soumises à une autorisation. Les autorités ont refusé d’autoriser de nombreux rassemblements de l’opposition ces dernières années. Les manifestations non autorisées ont communément dégénéré en heurts, comme cela a été le cas vendredi, quand une contestation d’ampleur a été réprimée par les forces de sécurité. Trois personnes ont été tuées. 

De nombreux Sénégalais ont voulu répondre à un appel, aux auteurs non identifiés, diffusé sur les réseaux sociaux, mais les policiers et les gendarmes les ont empêchés par la force.

Le Sénégal est en proie à l’une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies depuis que le président Sall a annoncé le report de la présidentielle le 3 février, à trois semaines de l’échéance. Il a justifié ce report par les querelles suscitées par le processus de validation des candidatures. Il a dit vouloir une élection incontestable, s’inquiétant du risque de nouveaux accès de violence. Il a affirmé sa volonté «d’apaisement et de réconciliation» et a proposé un dialogue au reste de la classe politique.

Ses partisans à l’Assemblée nationale et ceux de Karim Wade, candidat disqualifié, ont ensuite entériné le renvoi de l’élection au 15 décembre et le maintien du président Sall à son poste jusqu’à la prise de fonction de son successeur, a priori donc début 2025. 
 

L’Assemblée a aussi voté le maintien au pouvoir de Macky Sall jusqu’à la prise de fonction de son successeur, vraisemblablement début 2025. Son deuxième mandat expire officiellement le 2 avril. 

Reporter une élection présidentielle ne relève pas des compétences du président. D’après l’article 29 de la Constitution sénégalaise de 2001, seuls les juges constitutionnels ont ce pouvoir, et pour quelques jours seulement, en cas de décès d’un des candidats après la publication de la liste définitive des candidats par le Conseil constitutionnel.

Celui-ci fixe ainsi une nouvelle date de scrutin et permet le dépôt de nouvelles candidatures. L’article 34 prévoit également une autre possibilité de report des élections présidentielles dans le cas où un candidat décède entre les deux tours. Il n’appartient ni au président de la République ni à l’Assemblée nationale de modifier le calendrier électoral. 

Ce changement provoqué est qualifié par l’opposition de «coup d’Etat constitutionnel». Elle soupçonne le camp présidentiel de s’arranger avec le calendrier parce qu’il est sûr de la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, désigné par Macky Sall pour lui succéder. Elle suspecte une manoeuvre pour que le président Sall, dont le mandat expire officiellement le 2 avril, reste au pouvoir. 

Le chef de l’Etat, élu en 2012 et réélu en 2019, répète qu’il ne se représentera pas. La gravité de la crise fait craindre un nouvel épisode de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023 autour du sort de l’opposant antisystème Ousmane Sonko, aujourd’hui détenu et écarté de la présidentielle. Violences qui se sont soldées respectivement par la mort de plusieurs manifestants. 
 

De Senghor à Macky Sall
 

Ex-colonie française située en Afrique de l’Ouest, le Sénégal a proclamé son indépendance en avril 1960 et s’est doté d’une Constitution en août de la même année. Quelques jours plus tard, Léopold Sédar Senghor est élu président de la République par un collège électoral spécial et Mamadou Dia, président du Conseil. Mais le pays entre en crise en 1962. Le président Senghor entre en conflit avec Mamadou Dia. A l’Assemblée, ce dernier est accusé de tentatives de coup d’Etat. Il est arrêté, jugé et condamné. Il sera libéré et gracié dix ans après.

En mars 1963, une nouvelle Constitution est adoptée. Celle-ci permet au président Senghor de disposer des pleins pouvoirs, permettant ainsi au régime présidentiel de supplanter le régime parlementaire. De 1960 à 1973, le Sénégal n’a connu officiellement qu’un seul parti.

 Il s’agit de l’Union Progressiste Sénégalaise créée en 1958 par L.S. Senghor et Lamine Guèye. Des partis sont dissous ou interdits, entre autres : le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) et le Parti du Regroupement Africain (PRA) intégrèrent l’Union Progressiste Sénégalaise, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) et le Front National Sénégalais (FNS). 
 

Sous la pression des étudiants, des groupes politiques clandestins et de l’opinion internationale, le président Senghor autorise, en 1974, la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) de Abdoulaye Wade. En 1976, le nombre de partis est porté à trois. Ainsi, trois formations politiques sont autorisées à activer : l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) qui devient le Parti Socialiste (PS), le PDS et le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) de Majhemout Diop, fondé en 1957 et interdit en 1960. La révision constitutionnelle de décembre 1978 porte le nombre des partis à quatre. Ainsi est créé, par Maître Boubacar Guèye, le Mouvement Républicain Sénégalais (MRS).

Le pays connaîtra vingt révisions constitutionnelles de 1967 à 1999. En 1963 est organisée la première présidentielle. Election gagnée par Senghor. Il sera réélu de 1968 à sa démission en décembre 1980. 
 

Ceci dit, le pays est loin d’être immunisé contre la violence. En février 1967, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Demba Diop, est assassiné. En mars de la même année, le président Senghor échappe à une tentative d’assassinat à la mosquée de Dakar. 

Il cède ainsi le pouvoir à son ancien Premier ministre Abdou Diouf qui remporte sa première élection en 1983 puis gagna les autres scrutins de 1988 et 1993.

Durant sa première année au pouvoir, il consacre le multipartisme. Après les élections présidentielles et législatives de 1988, Dakar vit des scènes de pillage. En 1993, est assassiné le président du Conseil constitutionnel Maître Babacar Sèye. Le pouvoir accuse l’opposition d’être derrière cette élimination physique. Des leaders politiques, dont Abdoulaye Wade, sont arrêtés et emprisonnés.
 

Diouf restera au pouvoir jusqu’en 2000, année où il perdra le scrutin face à ce dernier qui proposera, un an après, une nouvelle Constitution par voie référendaire. De 2001 à 2009, le texte fondamental connaîtra près d’une dizaine de révisions. 

La victoire de Wade est loin d’atténuer la violence sur la scène politique. En octobre 2003, l’homme politique Talla Sylla, opposant à Wade, est ciblé par une tentative d’assassinat. En 2009, le ministre Farba Senghor appelle au saccage des sièges des quotidiens dakarois «L’AS» et «24 heures chrono».

En janvier 2010, des militants du parti du président attaquent le cortège de Macky Sall qui, en janvier 2012, fera partie des opposants à la candidature de Abdoulaye Wade à un troisième mandat. 

Quand ce dernier a tenté de changer la Constitution pour faire élire dès le premier tour un ticket présidentiel composé de lui et de son fils Karim, la société civile et l’opposition réunie au sein du Mouvement du 23 Juin (M23), se mobilise pour empêcher une telle dérive. 
 

Wade renonce à sa révision constitutionnelle mais n’abandonne pas l’idée de briguer un troisième mandat. Les manifestations de janvier-février 2012 échouent quant à contraindre le président en exercice à revenir sur sa décision et provoquent la mort de dix personnes. Néanmoins, le 25 mars de la même année, Macky Sall le bat au second tour.
 

 

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