Chaque semaine, la docteure Gudrun Schleiermacher participe à une réunion de pédiatres oncologues de toute la France pour analyser les cellules cancéreuses de petits malades.
Le but : choisir, à partir du profil génétique exact d’un cancer, le traitement le plus efficace. Cette réunion est une révolution pour les enfants qui ne répondent pas aux traitements classiques, explique la pédiatre, chercheuse allemande à l’Institut Curie, premier centre français de lutte contre le cancer. Grâce aux technologies d’analyses très pointues du génome, les spécialistes peuvent désormais identifier les altérations moléculaires des cellules cancéreuses. Et orienter le malade vers un traitement en phase d’essai clinique. Depuis vingt ans, la médecine a fait des pas de géants grâce à la génomique, qui est la science du fonctionnement de l’ensemble des cellules, y compris les cellules cancéreuses, à l’échelle des gènes. «Une progression des connaissances exponentielle», décrit Gudrun Schleiermacher. En 2003, la première grande étape fut le séquençage complet du génome humain. «Si on voulait analyser l’ensemble des gènes auparavant, ce n’était pas possible. Depuis, on a cette ressource, et des machines performantes qui permettent d’avoir une vue globale de tous les gènes», souligne l’oncologue. Grâce à cela, «on peut voir aussi ce qui se passe dans les cellules tumorales». Ce progrès fait une énorme différence dans la prise en charge du cancer, qui touche 2500 enfants en France chaque année. Gudrun Schleiermacher travaille en particulier sur le neuroblastome, l’un des cancers pédiatriques les plus fréquents, avec 150 petits malades diagnostiqués en France par an.
«Véritable espoir»
Grâce à la génomique, des enfants chez lesquels une altération d’un gène (dénommé ALK) a été détecté peuvent bénéficier d’une thérapie ciblée, un traitement qui vise spécifiquement la mutation de ce gène. L’essai clinique d’un médicament est en cours, notamment à l’Institut Curie et «les résultats très préliminaires sont très positifs», ajoute l’oncologue. «C’est un véritable espoir.» Plus largement, la génomique a permis le développement de plus d’une centaine de traitements ciblés, visant les mutations de cellules cancéreuses, explique le docteur Pascal Pujol, chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier (Sud) et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée. «Avoir l’information génétique, cela ouvre des possibilités, y compris pour émettre des diagnostics prédictifs de pathologies», souligne le spécialiste, qui cite le cas du cancer du sein. Les patientes porteuses d’une certaine mutation du gène BRCA présentent un risque estimé à 70% de développer un cancer du sein et de 20 à 30% pour un cancer de l’ovaire. Pour ce dernier, diagnostic et prévention sont adaptés, avec ablation des ovaires recommandée à l’approche de la ménopause par exemple. Depuis quelques années, grâce à la connaissance de la mutation BRCA, les femmes atteintes de cancer du sein et de l’ovaire bénéficient en outre d’un médicament ciblant cette altération.
Maladies rares
La génomique aide aussi à traiter les maladies rares. Dans le cadre d’un projet promu par Généthon, médecins et chercheurs de l’Hôpital Necker-Enfants malades et de l’Institut Imagine (AP-HP, Inserm, Université Paris Cité) travaillent sur une maladie rare du système immunitaire, la «granulomatose septique chronique», qui provoque des infections persistantes de divers organes en raison d’un déficit immunitaire. Les chercheurs ont utilisé de nouveaux outils, permettant «d’établir des cartographies, d’analyser des centaines de cellules individuelles», souligne Emmanuelle Six, chargée de recherche Inserm à l’institut Imagine. Ils ont ainsi mis en évidence chez ces patients 51 biomarqueurs permettant de prédire le succès ou non d’un traitement de thérapie génique. La médecine sera-t-elle pour autant personnalisée pour tous? Les spécialistes sont nuancés. Notamment car il ne sera pas possible de développer des traitements personnalisés pour chaque maladie rare. Sans oublier, enfin, des organismes payeurs parfois peu enclins à reconnaître ces nouvelles technologies, déplore Pascal Pujol, ardent défenseur d’une meilleure prise en charge par les autorités sanitaires de ces innovations coûteuses.