Bernard Pivot, le pivot des mots, autour duquel des processions de lettres venaient de différents horizons, de terres lointaines où ces formes aux sons hétéroclites sont transcrites dans des calligraphies jusque-là peu connues aux mortels des communs et d’autres saillantes sur le promontoire de la célébrité ,
car longtemps prisonnières d’ombres et de déni, mais qui portent en leur sein comme ce sein intarissable d’une mère généreusement féconde dans la bouche de ses enfants , perpétuellement renouvelé dans le secret et la pudeur de plumes rudimentaires à leur naissance mais si généreuse dans leur fécondité , certes longtemps restées dans le secret des dieux, cependant jalousement préservées dans l’écrin de la postérité.
Bernard Pivot de par sa célèbre émission a su à travers sa passion offrir au ressenti de la conscience universelle un droit de chapitre pour dire sous la lumière du jour cette richesse linguistique qui, dans son substrat, jusque-là enfoui dans les strates d’une terre intrinsèquement liée à ses semblables du monde, comme des plaques tectoniques qui se s’inter-choquent au moindre mouvement.
Ainsi, sont les lettres de cette incandescente mosaïque du monde : elles sont sensibles aux mouvements de l’âme, mais chacune d’entre elles s’exprime dans une langue différente pour inscrire sur le parchemin de la vie un legs de savoir pour les générations futures et préserver le souvenir d’une vie humaine perpétuellement en proie aux vents de l’amnésie. Et qui nous sauve de l’amnésie ? Les mots qui arrêtent le déferlement de l’oubli et l’endigue dans ses généreuses digues, le temps que le verbe guérisse l’âme en l’inoculant de son encre généreux.
Humble et à l’affût de tout ce qui est beau dans le creuset de l’humanité, Bernard Pivot était de son vivant comme un archéologue des mots sur l’immense étendue de la littérature. Il était un intrépide paysan, muni de son sarcloir défrichant les mots des herbes envahissantes en les nourrissant des rayons du soleil et éclosent ses bourgeons à la lumière du jour naissant.
Apostrophe, interprétation vive, cette figure de style par laquelle un orateur interpelle soit des personnages morts , des vivants absents ou présents, soit même des choses qu’il personnifie. Ainsi est construite l’émission de Bernard Pivot : il avait été durant sa commande au gouvernail du grandiose navire sur l’océan des lettres d’une dextérité proverbiale. Avec ces haltes sur les quais de différents ports culturels, il sut à chaque escale jeter plus profondément son ancre pour explorer sur la terre ferme une nouvelle écriture en le dépoussiérant avec soin et la doter d’ailes pour qu’elle soit visible dans le ciel de la postérité.
Combien d’écrivains et d’hommes de culture ont défilé sur le plateau de Bernard Pivot, du nom de Saint Bernard, ce mystique homme de culte catholique, amoureux de la vie solitaire et dont l’hermétisme était consacré à l’étude du religieux et du profane. Bernard Pivot était de ces hommes ermites qui renfermait dans l’étude de l’homme pour qu’il mette au grand jour des facettes peu ou prou méconnues du grand public en les drapant de la soie vaporeuse à la fois pudique, mais d’une nudité qui attise dans une sorte d’une curiosité enfantine ce corps aux nouvelles formes ensoleillée.
Oui, Bernard Pivot était comme une mère admirant son enfant sur son giron, le caressant avec douceur et l’emmitouflant de ses chants de bon augure. Ainsi était Bernard Pivot, quand il recevait ses invités dans son émission, «Apostrophe», une mère aux doigts fluets titillant les sens de son enfant pour qu’il croisse sur le chemin de la création et qu’il départit du sentiment de la peur. Et d’aucuns les invités de Bernard Pivot, en sa présence affective, se sentaient déchargé du lest de l’hésitation et s’envolaient avec une langue féconde et lyrique.
Incommensurable héritage
Homme de culture, Bernard Pivot est né le 5 mais 1935 à Lyon, une ville pépinière d’homme de cultures au pluriel. Bien qu’il soit médecin de formation, le créateur de l’émission «Apostolique» et «Bouillon de culture», deux émissions phares de son ingéniosité dans le domaine de la télévision, conjuguée à son passion d’écrivain, se passionne à la langue française et le journalisme et décide d’intégrer le Centre de formation des journalistes, à Paris.
Il en sort vice-major de sa promotion en 1957. Après un stage au sein de la rédaction Le Progrès à Lyon, il entre au service littéraire du Figaro en 1958.
Au sein du journal, il apprend les rouages du métier de journaliste, devient chef du service littéraire, puis après plus de quinze ans de bons et loyaux services il quitte Le Figaro pour relever un nouveau défi. En 1975, il fonde avec Jean-Louis Servan-Schreiber le magazine Lire. D’abord directeur de la rédaction, il en devient ensuite l’éditorialiste jusqu’en 1998.
Parallèlement, dès 1973, il fait une incursion sur le petit écran, et co-anime sur l’ORTF avec André Bourin et Gilles Lapouge, l’émission littéraire «Ouvrez les guillemets». L’année suivante, alors que l’ORTF disparaît et que la chaîne Antenne 2 est créée, Marcel Jullian confie à Bernard Pivot les rênes d’une nouvelle émission littéraire baptisée Apostrophes. Le premier numéro lancé le 10 janvier 1975 rencontre rapidement un franc succès. Jusqu’en juin 1990, il reçoit chaque semaine les plus grands écrivains de l’époque : Charles Bukowski, Alexandre Soljenitsyne, Vladimir Nabokov…
En 1991, il lance l’émission culturelle «Bouillon de culture» et la présente pendant dix ans. L’animateur emblématique de France 2, poursuit ensuite avec le magazine Double Jeu qu’il anime entre 2002 et 2005. Créateur des championnats de France puis des championnats du monde d’orthographe, Bernard Pivot devient en 2005 membre de l’Académie Goncourt, et la préside à partir de 2014, en succédant à Edmonde Charles-Roux. En 2019, il annonce son départ de l’Académie Goncourt.
En avril 2023, il révèle que ce départ a été motivé suite à des soucis de santé. Bernard Pivot a marqué de son indélébile empreinte le monde de la télévision et de la littérature. Il était, son vivant, un infatigable semeur de mots et un immense ciseleur du verbe.
Il avait prêté aussi ses champs arables à d’autres cultivateurs de l’écriture pour qu’ils mettent en avant leur moisson intellectuelle au grand bonheur des amoureux des belles lettres qui viennent pressement se ressourcer et s’inspirer dans le verger éternellement verdi de ce pivot infatigable de la culture.
Et comme la vie ne s’arrête pas à la mort pour des hommes de la trempe de Bernard Pivot, son immense œuvre saura nous rappeler de sa présence intellectuelle dans le monde de la culture et gravera irréversiblement son nom en lettres d’or dans «Le monument inoxydable d’hommes et de femmes» qui ont marqué leur époque et laissé un flamboyant héritage aux générations futures.
Arezki Hatem
(correspondance particulière)