Moeko Heshiki n’est pas une tatoueuse ordinaire: son travail à Okinawa consiste avant tout à créer un lien entre ses clients, descendants du peuple autochtone ryukyu au sud du Japon, et le hajichi, un tatouage traditionnel longtemps interdit. Il était autrefois courant pour les femmes du royaume de Ryukyu d’arborer sur leurs mains ces motifs monochromes, en forme de fines flèches allongées ou de gros points, qui marquaient des moments importants de leur vie. Mais lorsque l’empire du Japon a annexé les îles d’Okinawa en 1879, entamant un processus d’assimilation forcée de la population locale, le hajichi a quasiment disparu, associé dans l’esprit des Japonais aux tatouages dont étaient marqués les criminels. «Les gens qui portaient des hajichi se voyaient imposer des amendes et étaient victimes de discrimination», explique Mme Heshiki, 30 ans, selon laquelle ces tatouages traditionnels étaient incompris. Le hajichi semblait voué à disparaître, même si son interdiction a été levée après la Seconde Guerre mondiale. Moeko Heshiki, dont le père est originaire d’Okinawa, a grandi sur l’île principale du Japon, au nord de Tokyo. C’est en cherchant des idées de tatouages rappelant ses origines qu’elle a découvert les motifs du hajichi. «Je mourais d’envie de les avoir sur moi», dit-elle. Après s’être fait tatouer les mains par un artiste spécialisé dans l’art corporel tribal, elle dit s’être sentie «plus connectée» à ses racines : «J’ai senti que j’étais enfin moi-même». Chacun de ses doigts est orné de longues flèches, ce qui signifiait autrefois qu’une femme serait éternellement fidèle à son mari, et d’une série de points, qui étaient considérés comme un sésame pour le paradis. Moeko Heshiki travaille avec une aiguille plutôt qu’avec la traditionnelle tige de bambou et l’encre à base de charbon de bois et d’awamori, la ligueur traditionnelle d’Okinawa. Elle dit prendre le temps de discuter avec ses clientes, venues vers elle via le réseau social Instagram, de la signification des motifs, trouvés dans des livres en raison du peu d’exemples «vivants».