Attaque de drones près d’Ispahan en Iran : Risque d’escalade au Moyen-Orient

20/04/2024 mis à jour: 19:27
2529
Les derniers développements au Moyen-Orient risquent de provoquer un conflit généralisé ( photo : dr)

Tôt hier, trois explosions près d’une base militaire à Qahjavarestan, entre la ville iranienne d’Ispahan (centre) et son aéroport, ont été rapportées par l’agence de presse Fars, relayée par l’AFP. 

Des drones ont été abattus, mais il n’y a pas eu d’attaque par missiles «jusqu’à présent», a précisé le porte-parole de l’agence iranienne de l’espace. S’exprimant devant plusieurs centaines de personnes dans le nord-est du pays, le président iranien, Ebrahim Raïssi, n’a pas évoqué ces explosions. 

Citant des «sources bien informées», l’agence de presse iranienne Tasnim a indiqué qu’«aucune information ne fait état d’une attaque de l’étranger». Selon le journal américain The New York Times, qui cite des responsables iraniens, l’attaque a été menée par de petits drones, possiblement lancés depuis le territoire iranien.

 Cité par le journal américain The Washington Post, un responsable israélien a déclaré, sous le couvert de l’anonymat, que la frappe constitue une riposte à l’attaque du week-end et qu’elle vise à montrer à l’Iran qu’Israël a la capacité de frapper à l’intérieur du pays. 

De son côté, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est accusé de nuire à la stratégie d’Israël face à l’Iran en lui attribuant implicitement la responsabilité des explosions rapportées vendredi en terre iranienne. La publication sur X d’Itamar Ben Gvir a suscité des critiques acerbes. 

Pour le chef de l’opposition de gauche, Yaïr Lapid, «jamais un ministre n’avait autant nui à la sécurité nationale du pays, à son image et à son statut international». «Ben Gvir a réussi à ridiculiser et à faire honte à Israël, de Téhéran à Washington», a-t-il dit sur X. La députée travailliste, Naama Lazimi, a dénoncé une sortie «à l’image» de celui qu’elle qualifie de «pyromane national». 

L’agence de presse iranienne Tasnim a republié, hier, le message de Ben Gvir sur son compte X. Députée du Likoud, le parti de droite de Benyamin Netanyahu, Tally Gotliv s’est pour sa part félicitée de l’attaque israélienne présumée, en évoquant sur X «un matin de fierté» pour Israël. «Israël est un pays fort et puissant», a ajouté cette membre de la commission des Affaires étrangères et de la sécurité du Parlement israélien. 

Les installations nucléaires dans la région d’Ispahan sont «totalement en sécurité», a indiqué l’agence Tasnim dans la foulée de l’attaque. L’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé qu’il n’y a «aucun dégât» sur les sites nucléaires, réitérant ses appels à la retenue. 

Des responsables américains cités par plusieurs télévisions américaines, dont la chaîne ABC News, ont estimé que ces explosions étaient liées à une attaque israélienne contre l’Iran en représailles aux frappes iraniennes contre Israël le 13 avril. 

Washington a été prévenu jeudi de l’attaque israélienne sur l’Iran, mais n’a ni approuvé l’opération ni joué aucun rôle dans son exécution, ont déclaré des responsables cités par les chaînes américaines NBC et CNN. Alliés d’Israël, les Etats-Unis ont indiqué depuis plusieurs jours qu’ils ne veulent pas «d’une guerre étendue avec l’Iran». L’ambassade américaine en Israël a ordonné hier à ses employés et à leurs familles de limiter leurs déplacements à l’intérieur du pays. 

L’ambassade de Chine en Iran a appelé ses ressortissants à prendre leurs «précautions», tandis que les appels au calme se sont multipliés à travers le monde. Un peu plus tard, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a déclaré que les Etats-Unis «n’ont pas été impliqués dans une opération offensive». «Je ne vais pas parler de ces événements rapportés par les médias (...) Tout ce que je peux dire de notre côté et de celui de tous les membres du G7 est que notre objectif est la désescalade», a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse à l’issue d’une réunion des chefs de la diplomatie du G7 (Etats-Unis, Royaume-Uni, Italie, France, Allemagne, Canada, Japon) sur l’île italienne de Capri.


Alliés hier, ennemis aujourd’hui

Par ailleurs, des frappes israéliennes ont visé vendredi à l’aube des sites de la défense aérienne de l’armée dans le sud de la Syrie, selon le ministère syrien de la Défense. Le même jour, l’armée israélienne a dit avoir frappé dans le sud du Liban frontalier du nord d’Israël une «structure militaire» du Hezbollah ainsi que des combattants de ce mouvement libanais soutenu par l’Iran. Israël, qui a dit avoir intercepté avec ses alliés la quasi-totalité des quelque 350 drones et missiles lancés par Téhéran dans la nuit de samedi à dimanche derniers, a affirmé que l’attaque iranienne ne resterait pas «impunie». 

Il s’agit de la première attaque directe jamais menée par l’Iran contre son ennemi. La République islamique a affirmé avoir agi en «légitime défense» après l’attaque qui a détruit son consulat à Damas le 1er avril et coûté la vie à sept de ses militaires dont deux hauts gradés. Téhéran a accusé Israël qui n’a ni confirmé ni démenti.

Les deux pays du Moyen-Orient ont entretenu de bonnes relations durant des décennies. L’Iran est le deuxième pays musulman à reconnaître l’Etat d’Israël en 1950 après la Turquie. Les services de renseignements d’Israël, de l’Iran et de la Turquie, à savoir le Mossad, la Savak et le MIT, ont constitué une alliance baptisée Trident. 

L’Iran est devenu un des principaux fournisseurs de pétrole d’Israël à travers l’oléoduc Eilat-Ashkelon. En 1961, le Premier ministre israélien David Ben Gourion se rend en Iran. Téhéran et Tel-Aviv soutiennent, à partir de mai 1965, la rébellion kurde en Irak dirigée par Mustafa Barzani afin d’affaiblir le régime de Baghdad. Le shah d’Iran autorise une représentation israélienne à Téhéran, sans aller toutefois jusqu’à la reconnaissance officielle. L’écrivain iranien Saeed Nafisi s’est rendu en Israël à plusieurs reprises. 

En février 1979, est la proclamée la République islamique. Téhéran coupe ses relations avec Tel-Aviv. En 1982, Israël envahit le Liban. L’Iran aide à la création du Hezbollah, mouvement qui s’implante dans le sud du Liban et mène une lutte armée contre Israël. Toutefois, Israël ne tourne pas de suite le dos à son ancien allié. Il lui livre des armes au début des années 1980 pour l’aider à mener sa guerre contre l’Irak, dirigé par Saddam Hussein.

 Selon l’Institut d’études stratégiques de Jaffa, Israël a livré pour 500 millions de dollars d’armes à l’Iran entre 1980 et 1983. Tel-Aviv est impliqué dans l’affaire de l’Irangate : scandale militaro-politique qui a éclaté durant le deuxième mandat du président américain Ronald Reagan. En octobre 1984, le Congrès américain a adopté l’amendement Boland qui interdit pour un an «à toute autre agence ou entité des Etats-Unis engagée dans des activités de renseignement» de «soutenir, directement ou indirectement des opérations militaires ou paramilitaires menées au Nicaragua. 

Des responsables du Conseil national de sécurité, entre autres le directeur de la CIA et le conseiller national à la Sécurité, Robert Farlane, ont décidé de contourner cette mesure pour aider les contre-révolutionnaires nicaraguayens. 

Pour ce faire, ils ont recouru à la vente d’armes à l’Iran en guerre contre l’Irak. Les profits tirés de ces transactions iront aux opposants anti-sandinistes. Par l’intermédiaire d’Israël, deux livraisons d’armes américaines à l’Iran ont lieu en 1985. Début octobre 1986, un avion américain chargé d’armes destinées aux «contras» s’écrase au Nicaragua.

 L’un des pilotes survit et, récupéré par l’armée sandiniste, dévoile l’opération. Le 3 novembre, l’hebdomadaire libanais Al Shiraa révèle l’affaire. En 1992, un attentat contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires fait 29 morts, puis en 1994, un attentat est commis contre le bâtiment de l’Association mutuelle israélo-argentine (Amia), tuant 85 personnes. Ces deux attentats ont été commandités par l’Iran, a statué jeudi dernier la justice argentine. 


Une guerre de l’ombre

En 1998, l’Iran déclare avoir testé pour la première fois le missile sol-sol Chahab-3 d’une portée de 1300 km, capable d’atteindre Israël. La même année, il reprend ses activités d’enrichissement d’uranium. En juillet 2015, il conclut avec le Groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) un accord encadrant son programme nucléaire. «Israël n’est pas lié par cet accord (...) car l’Iran continue à vouloir notre destruction», prévient le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.

Les deux pays se livrent une guerre de l’ombre. Israël accuse l’Iran d’attaques de navires, tandis que l’Iran pointe du doigt Israël pour des assassinats ciblés et le sabotage de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz (centre) en avril 2021.
 

En septembre 2010, le virus Stuxnet a frappé le programme nucléaire iranien, entraînant une série de pannes dans leur parc de centrifugeuses utilisées pour l’enrichissement de l’uranium. 

En mai 2020, le quotidien américain Washington Post fait état d’une cyberattaque israélienne contre l’un des deux ports de Bandar-Abbas, ville iranienne sur le détroit d’Ormuz, en riposte, selon le journal, à une attaque cybernétique menée contre des installations hydrauliques civiles en Israël. Quelques mois plus tôt, en février, un haut responsable du ministère des Télécommunications iranien a affirmé que Téhéran a contrecarré une cyberattaque ayant mis à mal pendant une heure la connexion de certains fournisseurs d’accès à internet dans le pays.

En février 2012, une série d’attentats visent des cibles israéliennes en Géorgie, en Inde et en Thaïlande en utilisant des agents du Hezbollah, selon l’Etat hébreu. Téhéran rejette les accusations. Le 18 juillet, Israël accuse Téhéran d’avoir commandité l’attentat contre un bus de touristes israéliens en Bulgarie qui a été exécuté, selon Tel-Aviv, par le Hezbollah. L’attentat a fait sept morts, dont cinq Israéliens.

 L’Iran rejette ces accusations. Les attaques imputées à Israël contre des cibles iraniennes en Syrie se multiplient, tuant un colonel en novembre 2022, puis un commandant en décembre 2023 des Gardiens de la révolution.
 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.