Dans l’entretien accordé à El Watan, Achour Mihoubi, architecte au long cours, nous parle de l’ouvrage publié avec son associé Abderrahmane Mahgoun : Itinéraire d’architectes. Dans cet ouvrage, les deux auteurs présentent les travaux de leur cabinet (MMA). Mihoubi est catégorique : «La place dévolue à l’architecture est totalement désavantageuse pour l’exercice de la profession d’architecte aujourd’hui en Algérie.»
- Vous publiez avec votre associé, Mahgoun Abderrahmane, Itinéraire d’architectes. Vous y répertoriez quelques-uns des travaux réalisés par votre cabinet (MMA) qui boucle ses trente années d’existence. Comment est né ce projet de monographie ?
Ce projet est né à partir du moment où l’on s’est rendu compte que dans un coin de notre agence dort un grand tas de documents graphiques et écrits qui racontent notre parcours professionnel qui dure mine de rien depuis trente ans.
Par envie, parfois, il nous arrive d’ouvrir les chemises de classement de nos anciens documents comme on feuillette un journal intime de son enfance pour constater la présence de beaucoup de jalons qui retracent ce parcours.
Une mémoire qui peut bien servir à quelque chose : comme par exemple restituer la rétrospective d’une carrière professionnelle sous la forme d’un livre.
Mais un livre c’est prenant. Pour le faire, il faut lui consacrer beaucoup de son temps et s’entourer de toute une équipe de photographes, d’architectes pour l’agencement et la mise en forme des plans, d’infographes pour la mise en page du livre suivant vos propres orientations, d’imprimeurs, etc. Pour arriver à nos fins, cela nous a pris deux ans. Il y avait donc matière à faire un livre et nous l’avons fait.
- Quel regard portez-vous sur la corporation après ces années d’ «entêtement» ?
Pas bon du tout. A l’instar du moins des autres professions libérales, sinon je suis encore beaucoup plus sceptique en ce qui concerne les architectes. La place dévolue à l’architecture est totalement désavantageuse pour l’exercice de la profession d’architecte aujourd’hui en Algérie.
Vous avez bien voulu reprendre notre «entêtement» qui est une boutade que nous avons utilisée pour exprimer notre état d’esprit en publiant ce livre dans la mesure où les architectes algériens n’arrivent pas à imposer une présence notable pour donner à l’Algérie une image digne de son rang dans le concert des nations.
Comme ces pays qui font de l’architecture des événements culturels majeurs pour leur rayonnement à l’international. Cela suggère une véritable politique architecturale des pouvoirs publics sans quoi, la profession d’architecte ne risque pas de connaître de meilleurs jours en Algérie.
- En 2012, vous décidez de lancer le Syndicat national des architectes agréés algériens (SYNAA). Votre organisation a réclamé, pour faire court, une meilleure organisation de la profession. La situation de la corporation s’est-elle améliorée ? La relation avec l’administration est-elle plus apaisée ?
Le Synaa a été créé par des architectes dont je faisais partie et qui voulaient donner à leur action une forme organisée et réglementaire dans le cadre d’une organisation syndicale. Le but était de devenir une force de proposition pour les pouvoirs publics et de formuler une série de revendications sur la base d’études mises à la disposition de ces dits pouvoirs.
Le Synna a été, par exemple, à l’origine des textes réglementaires publiés en 2016 sous forme de décrets relatifs à la révision de la rémunération de la maîtrise d’œuvre.
A ce titre, la contribution du Synaa s’est faite sous la forme d’une étude ficelée remise aux ministères concernés qui n’a pas manqué de retenir l’attention de ses destinataires pour sa rigueur et sa pertinence.
Globalement les relations entre la Synaa et ces dits pouvoirs s’améliorent mais il reste beaucoup de choses à faire en matière de maturité et de sérénité sur les relations de l’administration avec les partenaires sociaux qui sont en théorie les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics.
Mais malheureusement la réalité est toute autre. D’un autre côté le Synaa ne s’est pas cantonné au rôle revendicatif, ses trois congrès ont été à ce titre l’occasion de lancer des slogans fédérateurs autour de la question de l’architecture, autant que ses cafés qui sont des rencontres culturelles périodiques lancées dans le but de la promotion de la culture architecturale en Algérie en ouvrant notamment la profession au grand public.
- Qu’en est-il de la formation ?
Un grand chantier qui demande l’effort conjoint de toute la communauté des architectes et des chargés des secteurs concernés par la formation pour rapprocher l’enseignement académique de l’architecture du monde professionnel.
L’université doit impérativement s’ouvrir sur le monde professionnel pour préparer et surtout continuer la formation de l’architecte durant les premières années durant la période post-diplôme du monde du travail avec la collaboration étroite de l’administration et des architectes.
La réalité du marché du travail aujourd’hui impose la formation d’une multitude de profils et de spécialité ayant relation avec le domaine de la construction et de l’urbanisme et forcément donc que l’enseignement de l’architecture se doit se diversifier pour la prise en charge d’une demande de plus en plus pointue et exigeante.
- Que suggérez-vous pour rendre à la profession ses lettres de noblesse ?
La profession d’architecte est en phase de construction en Algérie. C’est une profession jeune. En 1962, je crois savoir qu’il n’y avait aucun Algérien qui portait le titre d’architecte.
A part les architectes français qui étaient organisés dans le cadre d’un ordre dissout en 1966. C’est donc véritablement une construction qui est en train de s’opérer et de s’inscrire dans le temps long et elle se fait comme je l’ai déjà dit dans des conditions difficiles pour les architectes.
Sans prétendre faire l’histoire de l’architecture post-indépendance je retiens que nous sommes quelques-uns après l’entrebâillement politique opéré en de 1989 et la restructuration de l’économie nationale qui s’en est suivie à s’engouffrer dans ce champ pour représenter une génération d’architectes issue de l’école algérienne.
Nous avons travaillé à faire en sorte que notre production crée des référents reconnaissables et identifiables pour exister. Car la profession, et à travers elle l’architecture en Algérie, doit avoir ses représentants reconnus, sans quoi ni la profession et encore moins les organisations qui la représentent ne peuvent être un cadre de référence à même de préserver son lustre de la profession.
- Un programme de conférences est annoncé pour la présentation de votre ouvrage qui est sorti en librairies. Des détails ?
Oui. Nous nous sommes naturellement rapprochés de l’école d’architecture d’Alger et des départements de l’architecture auprès des différentes universités à travers le pays pour verser gratuitement à leurs centres de documentation des exemplaires de notre livre.
Nous avons fait une première conférence à l’EPAU le 1er juin et d’autres sont prévues dans les différents départements d’architecture du pays. Nous organisons une présentation publique le 9 juin à l’hôtel Golden Tulip le Royaume.