Hommage à Nour Eddine Saoudi : Géomorphologue, préhistorien et maître de la musique andalouse

11/02/2025 mis à jour: 07:46
2020
Photo : D. R.

Pr Nadjib Ferhat
Directeur de recherche honoraire en préhistoire et géologie du quaternaire ami de Nour Eddine

Nour Eddine Saoudi est né en 1954 à Alger, ou plutôt à la Boucheraye à Fontaine fraîche sur les hauteurs de Oued Lamghacel, Bab El Oued. C’est dans sa ville natale, El Djazair, cité fondée par Bologhine Ibn Ziri sur les vestiges de l’antique Icosium qu’il fit ses études primaires à l’école Legembre dite «M’cid Labyed» puis secondaires au renommé lycée Emir Abdelkader juste en contre-bas de la Médina d’El Mahroussa, La Casbah.

Après des études de géographie et de géomorphologie à l’Institut de géographie d’Alger où il obtient un DES en géomorphologie, il intégra le mythique Centre de recherche de préhistoire, d’anthropologie et d’ethnographie d’Alger pour ajouter à sa formation de géomorphologue et de géologue du quaternaire une vision de préhistorien en étudiant l’homme fossile, formation qui vient renforcer ses analyses des paysages et de quaternariste.

Il paracheva sa perception de géologue du quaternaire et de préhistorien par un doctorat en géologie du quaternaire qu’il obtient à l’université de Luminy - France suite à des travaux de paléoenvironnements quaternaires le long de la côte ouest algéroise depuis les contreforts de La Casbah d’El Mahroussa jusqu’au massif du Chenoua à l’Ouest.

Ces travaux lui ont permis de caler chronologiquement la mise en place de toute la morphodynamique plio-pléistocène du littoral Ouest algérois tout en y intégrant le comportement de l’homme préhistorique de la région face à tous les changements climato-sédimentaires et tectoniques qui ont affecté les paysages.

Vision de préhistorien

Nour Eddine Saoudi a dirigé de nombreux travaux universitaires et de recherches dans le domaine aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Il est l’auteur de nombreuses publications dans ce cadre, notamment dans la prestigieuse revue Libyca. On lui doit entre autres travaux la découverte et l’étude du plus ancien pavement préhistorique du Maghreb qu’il a mis en valeur dans la fouille qu’il a dirigée du site acheuléen de N'Gaous dans les Belezma au piémont sud de l’Atlas saharien, daté de plus d’un million d’années.

Maitre de recherche, tout en continuant ses travaux de chercheur, il a occupé le poste de directeur du centre de recherche dans lequel il était déjà chercheur pour affirmer encore plus cette vision de préhistorien naturaliste en considérant toute la dialectique que l’homme ancien entretenait avec son environnement.

Ténor de la douceur et de la belle parole

Au-delà de cet aspect de chercheur affirmé, Nour Eddine Saoudi avait plus d’une corde à sa guitare. Ténor de la douceur et de  la belle parole, il est né dans une famille baignée de poésies et de belles lettres. Il est le descendant du célèbre poète Ben Guitoun, connu par la magnifique ode à l’amour Haizia que nombre de chanteurs ont largement popularisée dont Khelifi Ahmed et Rabah Driassa pour ne citer que ces deux grands interprètes parmi tant d’autres.

Nour Eddine Saoudi fut l’élève de grands maîtres de l’école andalouse algéroise ça’naâ. Ce sont Abdelkrim M’hamsadji, Abdelkrim Dali, Abderrahmane Bel Hocine et bien sûr Aberrazak Fekhardji au sujet desquels il disait :
«…ils constituent la mémoire vivante d’une partie de mes racines».

Avec ses maîtres Nour Eddine apprit non seulement l’art et le savoir faire musical ça’naâ dont il deviendra l’un desdépositaires les plus sûrs mais surtout le gardien de la dimension culturelle et civilisationnelle que cette musique transcende et l’importance que revêt sa conservation et surtout la transmission de ce patrimoine immatériel au regard de toutes les agressions qu’il subit.

Il en fût un fervent défenseur comme il l’enseignât et en transmis l’amour à de nombreuses générations dont beaucoup de chanteurs andalous algérois aujourd’hui largement connus du public. Nour Eddine eut le 1er prix du Conservatoire d’Alger en 1974 où il fût nommé professeur dès 1978 avant d’intégrer l’association El Fakhardjia comme professeur de la classe moyenne. Suite à cela, il a été initiateur et membre fondateur de son école Essandousia avec laquelle il obtient le 1er prix aux deux festivals du printemps musical d’Alger en 1987 et 1988.

Dans la même foulée, il enregistre cinq œuvres de musique andalouse : nouba dhil, nouba ghrib, nouba ramel nouba zidane et une aroubi. Comme il a à son actif quatre CD en solo, les noubate en mode zidane, ramel maya, ghrib et h’sine.

Génie musical

Musicologue de par son esprit académique, il a à son actif de nombreux textes, publications et réflexions sur la musique andalouse notamment l’école algéroise. Son génie musical lui a permis d’être à l’origine de la fusion andalou-fado qu’il a magistralement exécuté avec la diva portugaise Filipa Pais en 1998.

Il est aussi et surtout auteur, compositeur et interprète d’une création andalouse audacieuse et totalement inédite «La Nouba Dziria» dans le genre Sahli, connu plutôt chez les maîtres du chaâbi algérois. La nouba Dziria est un intelligent mix entre le chaâbi et les mélodies et structures musicales de la nouba ça’naâ. Son sens des responsabilités a fait qu’il soit nommé directeur du département musique au commissariat de l’Année de l’Algérie en France entre 2002 et 2003.

Tous ces acquis et savoirs de la musique andalouse et du patrimoine culturel qu’elle véhicule ne pouvaient mener Nour Eddine Saoudi qu’à être le premier directeur général du nouvel Opéra d’Alger qu’il dirigea avec brio où il organisa de nombreuses manifestations musicales nationales qu’internationales.

A ce titre, après avoir occupé le poste de chef de projet lors de la construction de l’Opéra, il a été nommé directeur général de cette prestigieuse institution en 2016,  et ce, jusqu’au mois de mars 2020. Dans ce laps de temps, il a eu le temps de réaliser plusieurs événements artistiques de haute facture dont la liste nous a été transmise par les responsables actuels de l’Opéra d’Alger :

Les œuvres réalisées par le maitre nour eddine Saoudi

— Le spectacle  d’envergure internationale Beyond Bollywood, juillet 2016,
- Organisation plusieurs concerts pour l’Orchestre symphonique de l’Opéra d’Alger  - Barbier de Séville, 
- Valses de Vienne, 
- Madame Butterfly, 
- Traviata, 
- Soprano Catherine Manandaza (enoctobre 2018), 
- Opéra Carmen (06 janvier 2018)
- Les solistes Gosha Kowalinska dans le rôle de Carmen, 
- Amadi Lagha dans le rôle de Don José, 
- Anissa Hadjarsi dans le rôle de Micaela et Adel Brahim en Escamillo, 
- Symphonie du nouveau monde (27 Janvier 2019)Symphonie n°9, du compositeur tchèque Antonin  Dvorak. 
- Comédie Arlequin du Piccolo Teatro 28 Octobre 2018 en partenariat de l’Institut culturel Italien.
Le regretté Nour Eddine Saoudi a, en outre, organisé plusieurs concerts pour  les orchestres andalous  de l’Opéra d’Alger dont :
- L’orchestre andalous de Constantine,  
- L’orchestre andalous de Tlemcen,  
- L’orchestre andalous d’Alger  
- L’orchestre andalous féminin. 
Il a aussi organisé plusieurs spectacles pour le Ballet de l’Opéra d’Alger, comme il a organisé plusieurs festivals internationaux tels que :
- Le Festival international de musique symphonique en plusieurs éditions
- Le Festival international de musique andalouse 
- Les musiques anciennes en plusieurs éditions 
- Le Festival international de la danse contemporaine 
- Le Festival international de musique gnawi 
- Le spectacle international du Ballet russe Saint Petersbourg (Lac des cygnes ) 2019
- Le spectacle International du Ballet russe Saint  Pétersbourg (la belle aux bois dormant) 
- Le flûtiste international Juan Leonardo Santillia Rojas (Léo Rojas) les 04, 05 et 06 décembre 2018,  
Ainsi que pour des chanteurs algériens
- Le  chanteur Baaziz les 27 et 28 juillet 2018,  
- Le chanteur Ait Menguellet 08 et 09 décembre 2017, 
- Le chanteur Djamel Laroussi lors de l’ouverture du 20e Festival culturel européen à l’Opéra d’Alger le 10 mai 2019. 
Nour Eddine Saoudi a rendu plusieurs hommages à des maîtres de la musique en organisant des concerts à leurs mémoires:
- L’hommage rendu au grand compositeurs égyptien Mohamed Fawzi, 
- L’hommage rendu à la grande chanteuse arabeFairouz, 
- L’hommage rendu au rand chanteur libanais Wadee Es-safi 
- L’hommage rendu à Khelifi Ahmed pour la chanson sahraouie et le bedoui algérien
Nour Eddine Saoudi a créé au sein de l’Opéra d’Alger un espace culturel qu’il a appelé «Café littéraire». Cet espace était dédié aux artistes créateurs dans le domaine de la littérature, du cinéma, de la musique et des arts lyriques. L’événement à accueilli des noms de haut niveau tels que Wassiny Laredj (romancier), Ahmed Rachedi (cinéaste ) et beaucoup autres personnalités.
Personnalités ayant visité l’Opéra d’Alger :
Nour Eddine Saoudi a ouvert cet espace à des personnalités venues en visite à l’Opéra pour en faire la promotion des activités artistiques de ce nouvel emblème national qu’est l’Opéra d’Alger. Parmi ces personnalités, on peut citer
- L’ancienne présidente de la République d’Indonésie, Mme Megawati Sukarnoputri
- Le grand chanteur libanais Marcel Khalifé 
- Le  surintendant de la Scala de Milan Alexander Pereira octobre 2018
-Le président du Conseil international de la danse (Unesco) Alkis Raftis,
- les chanteurs Ziad Ghersa et Abdelwahab Doukkali le 17 mars 2018
- Le grand chanteur français Julien Clerc le 12 septembre 2019

Autre corde au talent de Nour Eddine et pas des moindres, c’est aussi un homme de théâtre. Il a eu à collaborer, à traduire des textes du français et de l’arabe classique vers la daridja (le parler de tous les Algériens) et même à jouer dans certaines des pièces du metteur en scène Ziani Chérif Ayad.

Acteur infatigable pour la défense et la promotion du patrimoine immatériel algérien et notamment musical, Nour Eddine a animé une émission hebdomadaire à la radio algérienne  Alger Chaîne III intitulée «Nouba andalousia» dès septembre 2020. Cette émission mettait en lumière les grands maîtres de la musique andalouse ainsi que les chanteurs, interprètes et associations.

A l’écouter, on se rend compte à quel point il savourait ces moments passés avec ceux qu’il n’arrêtait pas d’appeler «mes amis…» tout en les valorisant à travers leur travail musical sans omettre à chaque fois de faire revenir l’auditoire sur la scène des maitres de l’andalou, ceux qui sont les fondements de tout ce patrimoine musical tout aussi national qu’il est universel.

Enfin…

Nour Eddine Saoudi était à la retraite depuis quelques mois à peine avant qu’il ne décide de tirer sa révérence en ce mois de juillet 2024 et de laisser un vide sidéral non pas uniquement pour sa famille et ceux qui l’aimaient et le chérissaient, mais pour tout un pays et une société toujours dans le besoin de références scientifiques et culturelles telles que fût Nour Eddine. N. F.

 

 

 

 

 

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