La région de Tamellaht, culminant sur les hauteurs de la commune d’Ahnif, à l’est de la wilaya de Bouira, fut autrefois unincontournable carrefour commercial. Sa renommée, voire son identité, résidait dans l’abondante présence de salines qui parsemaient son territoire.
D’ailleurs, c’est de cette profusion de sel que Tamellaht tirait son nom. Les villageois, quant à eux, sont appelés Imellahen. Depuis plusieurs générations, les villageois extrayaient du sel naturel, «tisent» ou «amellal» en tamazight. Utilisé en cuisine et dans la conservation de certains aliments, le sel a également servi de monnaie d’échange, de troc. «Cette pratique a résisté jusqu’aux années 1980. Le sel a fait vivre des familles entières. Nos parents l’échangeaient contre des denrées alimentaires essentielles, tels le blé et les légumes secs. Ils partaient jusqu’à M’sila et autres régions lointaines pour faire le troc. Par contre, en automne, ce sont eux qui viennent à Tamellaht chargés de leurs produits pour effectuer l’échange», se souvient un septuagénaire. Selon lui, même avec l’entrée en force du sel industriel, les sauniers de Tamellaht continuaient à extraire et commercialiser le sel naturel car ils avaient conscience de sa qualité supérieure et aussi de sa valeur culturelle.
Un abandon forcé
Cependant, cette activité ancestrale, ce symbole de l’identité de Tamellaht, a brutalement cessé au début des années 1990. Les mauvaises conditions sécuritaires qui prévalaient dans la région durant la décennie noire avaient obligé les villageois à déserter leurs terres, laissant tout derrière eux. Même avec le retour de la paix, rares étaient les villageois qui avaient regagné leur maison dans l’immédiat. Il aura fallu des années pour que la confiance brisée soit peu à peu rétablie. Parmi les habitants ayant regagné sa terre natale, HocineAireche, actuellement à la retraite. Il a décidé de ressusciter le métier de saunier qu’il avait hérité de ses aïeuls. Il l’avait exercé pendant 18 ans, de 1972 jusqu’à 1990, avant de partir s’installer à Alger et travailler dans le tourisme. «C’est en 2010 que je suis revenu à Tamellaht. J’avais constaté que la saline était complètement abandonnée. Cela m’avait fait mal au cœur. Tout un héritage s’est effondré», se souvient-il avec amertume.
Peu de temps après, il décide de s’aventurer encore une fois dans l’extraction du sel, lui qui a gardé intact son savoir-faire. Aidé par sa femme, il se lance donc dans la besogne. «Je récupère l’eau des sources salées puis je la verse dans un bassin peu profond que je réalise à l’aide d’une bâche. Je la laisse ainsi pendant cinq jours. Une fois ce délai passé, notamment en été, l’eau se cristallise.
Après assèchement complet, je récupère le sel pur, et je le transporte sur mon dos sur une bonne distance», explique M. Aireche, qui ne cache pas son optimisme de voir un jour les sauniers de Tamellaht réinvestir le terrain. «Autrefois, il y avait des centaines de bassins. Tous les villageois vivaient grâce à cette manne naturelle. J’espère que la jeune génération reprendra en main ce savoir-faire ancestral. Tout ce queje réclame des autorités estde réaliser un chemin carrossable à la saline», insiste à dire le vieux saunier.
A l’initiative conjointe de la direction du tourisme et de l’artisanat (DTA) de la wilaya de Bouira et de l’Assemblée populaire communale (APC) d’Ahnif, un événement d’envergure nationale a été organisé, le Festival national du sel naturel.
La direction du tourisme s’implique
Au-delà de la célébration de la journée nationale du tourisme, cette festivité vise à perpétuer la tradition ancestrale d’extraction du sel naturel et à revitaliser un patrimoine séculaire menacé d’extinction. «Notre rôle en tant que DTA est d’encourager la relance de l’activité d’extraction traditionnelle du sel, ainsi que la création de nouvelles zones d’attraction touristiques capables d’attirer le public et de stimuler le développement économique local», a déclaré Samira Moumen, directrice de la DTA.
Des participants issus d’une trentaine de wilayas du pays ont convergé à Tamellaht pour célébrer le sel, cet élément essentiel à la vie, et toute la symbolique sociale, culturelle et économique qu’il véhicule depuis des générations. Pendant trois jours intenses et festifs, du 26 au 28 juin, le vieux village de Tamellaht a vibré au rythme de cette première. Au menu, un programme riche et varié a été proposé aux participants, allant des activités culturelles aux animations ludiques et sportives en passant par des expositions d’arts traditionnels et un salon du livre. En marge de l’événement, un concours d’art culinaire a vu la participation de grands-mères. Des plats tombés dans les oubliettes et des recettes transmises de génération en génération ont été ressuscités. Parallèlement à ces activités diurnes, les soirées ont été rythmées par des spectacles de chant traditionnel qui ont mis en valeur les talents locaux, notamment ceux des femmes. Une atmosphère qui a baigné les visiteurs dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Les participants ont également bénéficié d’une session de formation sur l’extraction traditionnelle du sel.
Une deuxième édition du festival
Selon Rachid Aknouche, fils de la région et coordinateur du festival, l’idée d’organiser la festivité remonte au mois de février de l’année en cours. «Ce village a tant souffert que ce soit durant la Guerre de libération ou durant la décennie noire. Il est temps de le restaurer. Ce festival est une manière de lui redonner espoir et de valoriser son identité. C’est ce que nous projetons de faire dans le cadre associatif. Cette région recèle d’inestimables sites naturels, archéologiques et culturels», dira-t-il. Un pas semble être franchi dans ce sens. Une importante assiette foncière a été récupérée et sur laquelle sera érigée une auberge de jeunes d’une trentaine de lits. «Cette structure d’accueil permettra d’héberger les visiteurs et de leur offrir un point de départ pour explorer les merveilles de notre région», rajoute notre interlocuteur. Les festivités ont été clôturées avec une vaste campagne de nettoyage du village et ses environs, menée par les participants. En outre, une quarantaine de villageois, ont bénéficié d’un voyage pour découvrir la ville des ponts suspendus, Constantine. «La réussite de cette première édition du Festival national du sel naturel ouvre la voie à d’autres éditions plus importantes et mieux réussies. Nous préparons déjà la deuxième qui aura lieu l’année prochaine…», a fait savoir M. Aknouche.
Reportage réalisé par Omar Arbane