Farid Ferragui, le poète de l’amour ou le chantre de l’amour, comme se plaisent à l’appeler ses milliers d’admirateurs qui se recrutent parmi les différentes générations, a été, dernièrement, l’invité de «Timlilit ducennay» ou «La rencontre avec un chanteur» d’Agouni Fourrou, dans la wilaya de Tizi Ouzou, qu’organise mensuellement l’association culturelle locale Tanekra.
En dépit d’une météo défavorable marquée par un froid glacial et une pluie ininterrompue en ce haut lieu culminant à près de mille mètres d’altitude et qui invitait pourtant à se cloîtrer chez soi et à ne pas mettre son nez dehors, ils étaient nombreux, très nombreux, ceux qui s’étaient rendus à Tamurt Ufella, à Agouni Fourrou, dans la région des Ouacifs, pour ne pas manquer, pour tout l’or du monde, cette rencontre avec Farid Ferragui.
Des villages environnants, de Tizi Ouzou, voire d’Alger, ils étaient venus nombreux, qui en groupes d’amis qui d’autres en famille pour partager ces moments de convivialité et de divertissement volés à la morosité et à la monotonie ambiantes.
En effet, l’ambiance n’a jamais été enregistrée jusqu’ici et une organisation presque parfaite avec, cependant, quelques fluctuations au tout début et, cerise sur le gâteau, des hôtes de marque qui se rajoutent à ceux déjà venus dans ce village dans la foulée des nombreuses précédentes activités initiées par l’association Tanekra. On peut citer parmi les présents, les chanteurs Taleb Tahar, Ahcène Ahres, Ahcène Ath Zaim et les membres de son orchestre et bien d’autres chanteurs de diverses générations.
Les jumelles Délin et Délina, graines de talent
Et l’illustre invité d’Agouni Fourrou, qui s’est volontiers prêté à répondre à des questions sur son parcours, n’a pas résisté à reprendre des chansons à lui, tant il était ravi de l’ambiance conviviale et chaleureuse de cette rencontre mémorable, lui qui n’était pas prévu qu’il chante comme convenu avec les organisateurs.
D’abord en portant secours aux deux charmantes jumelles Déline et Délina Keddam qui ont magistralement repris un de ses nombreux tubes en reprenant le dernier couplet mal mémorisée par les deux sœurettes.
Ensuite, en interprétant trois autres de ses œuvres immortelles, accompagné par son orchestre, des interprétations entrecoupées d’échanges avec l’assistance mais également de chansons à lui reprises par bien d’artistes présents, comme Taleb Tahar et Hacène Ahres qui ont eu également à interpréter des chansons à eux.
A l’occasion, de nouvelles voix de la chanson kabyle, notamment féminines, ont été du rendez-vous comme Katia Ould Amara, âgée tout juste de vingt ans, qui a repris une chanson de Lounes Matoub, Rima Rami et Naima Ramdhani qui ont gratifié le public de leurs belles voix ou enfin, Dahbia Mecefah, la présidente de Tanekra qui a repris une chanson de la défunte Hnifa et Farid Keddam qui a interprété une chanson à lui.
Question inévitable posée à l’invité de la rencontre avec un artiste d’Agouni Fourrou, elle a trait à son prénom d’artiste, lui dont le vrai prénom est Ali. Ferragui remonte, pour expliquer ce choix, au tout début de sa carrière à l’occasion de l’enregistrement de son premier album en 1981. «Nous étions dans un studio d’enregistrement à Paris en train de chercher après un nom d’artiste. Comme j’étais un féru de la chanson orientale et plus particulièrement de Farid El Atrache, nous avons fini par opter pour celui de Farid. Ainsi, mon premier album est sorti avec ce nom et avec le succès qu’il avait connu, j’ai fini par l’adopter en lui ajoutant après mon nom de famille.»
Des seuls luth et derbouka à un orchestre
Ferragui est réputé par une autre facette qui le distingue nettement des autres chanteurs : jusqu’à il y a quelques années, il se contentait du seul luth qu’il affectionne depuis sa tendre enfance et d’un accompagnateur à la derbouka.
Une «orchestration minimale» qui va avec sa voix «innée» qui n’est pas, par ailleurs, le propre de Ferragui, dont la voix suave et si singulière reprenant une poésie allant droit au cœur, n’a pas été pour déplaire à ses nombreux admirateurs qui se recrutent dans diverses générations. Un style ou une démarche dont, cependant, il finira par se départir non sans beaucoup de «craintes» et de «réserves» qui ont fait que cette transition a été longue à s’effectuer. Car l’homme estimait que l’introduction de tout autre instrument de musique devait se justifier par une plus-value et un enrichissement à ses œuvres.
Ce dont il finira par être convaincu puisque depuis près de quinze ans, le chanteur est accompagné d’un orchestre dirigé de main de maître par le chanteur-musicien Ahcène At Zaim et composé de Belaid au violon, dda Moh à la percussion, dda Said au luth, Ghanou au piano et Rima Rami au chant. Un orchestre qui a tenu à lui faire une belle surprise à l’occasion de cette qaâda à Agouni Fourrou.
Une dizaine de duos
En effet, les organisateurs qui avaient eu l’accord du chanteur pour cette rencontre non sans que celui-ci ne leur ait affirmé qu’il ne puisse chanter mais juste se contenter d’échanges avec le public, avaient, en parallèle, pris attache avec son orchestre qui avait tenu à lui tendre un bien «heureux traquenard».
Une «astuce» qui n’a pas été sans susciter un immense plaisir au concerné qui était tout heureux de revoir ses accompagnateurs chez Slimane Kaloun, chanteur et un des responsables de cette rencontre artistique, après des mois de «séparation». Ferragui était tout simplement fou de joie en s’introduisant dans une chambre où At Zaim et ses pairs de son orchestre l’ont accueilli en interprétant un de ses airs fétiches.
Un geste qui est allé droit au cœur de Ferragui qui n’a pas tari d’éloges à l’égard des membres de son orchestre auxquels il n’a pas manqué de témoigner toute sa gratitude et sa reconnaissance.
S’il a souvent interprété ses chansons en solo, Ferragui est également réputé pour avoir associé à l’interprétation nombre de voix féminines et pas des moindres. Elles sont, en effet, une dizaine, huit chanteuses exactement, qui ont eu à accompagner l’illustre chanteur dans une bonne vingtaine de ses œuvres qui nécessitaient l’apport de ces voix féminines.
Il s’agit, dit-il, de Nadia Hadj Arab qui a eu également à chanter avec deux autres ténors de la chanson kabyle, le défunt Lounes Matoub et Lounis Aït Menguellet, de Katia avec laquelle il a chanté trois chansons, Soraya Bouchama qui a eu à collaborer aussi avec Takfarinas, Zakia, Djidji, Yasmina, Malika Yami et, enfin, Nouara. A propos de cette dernière, qui a eu à interpréter nombre de tubes immortels avec le défunt chanteur-compositeur Chérif Kheddam, Ferragui a tenu à partager avec l’assistance les conditions ayant marqué cette collaboration.
«Il était question initialement que c’est Drifa qui devait m’accompagner dans l’interprétation de la chanson ghas Hemlagh-k, mais comme j’ai au final opté pour Nouara, avec laquelle j’ai eu à répéter ladite chanson une quiznane de jours avant de repartir en France. De retour au pays, après trois, quatre ou sept mois, j’ai repris attache avec elle pour l’enregistrement.
Celui-ci s’est effectué avec seulement un essai, Nouara se devant de rejoindre son domicile tôt en raison de la conjoncture de l’époque, en pleine décennie noire», se souvient Ferragui. Et d’ajouter avoir jugé utile d’apporter des «retouches» à cette chanson qui pêchait, avoue-t-il, par des «manques», mais «comme elle a plu aux gens, j’ai fini par m’y renoncer».
Le nom de Farid Ferragui est intimement lié à la chanson d’amour à tel enseigne qu’il collectionne bien de surnoms comme «le chantre de l’amour», «le chanteur-psychologue» ou encore «le poète de l’amour» tant ses chansons mélodieuses et mélancoliques dont il a le secret nourrissent les cœurs déchirés et ressuscitent bien d’âmes meurtries.
C’est que le fils de Takka, dans la commune de Mkira, dans la région de Tizi Ghennif, entretient avec l’amour une relation «intime». Un amour pas dans sa conception «réductrice» puisqu’il s’agit d’un concept qui se décline sous une variété de facettes. Et au concerné de s’expliquer : «Un chanteur qui n’a pas et ne chante pas l’amour ne va pas loin. Un artiste plus que tout autre citoyen a besoin d’amour qui constitue l’espoir et l’essence de la vie.»
Ceci avant d’ajouter qu’en ce qui le concerne, «nos parents n’avaient pas beaucoup de temps pour nous témoigner de l’affection et de l’amour, préoccupés qu’ils étaient par la rudesse de leur quotidien en cette période coloniale. Peut-être que c’est à cause de cela que je chante l’amour comme je le ressens et comme je le vis». Un amour que Ferragui a décliné et chanté à travers des chansons d’une profondeur inouïe et dans toutes ses facettes comme aucun chanteur ne l’a fait.
«Les associations comme digue face à la mondialisation»
L’artiste est connu également pour ne jamais hésiter, quand son agenda le lui permet, à répondre favorablement aux invitations des associations culturelles. Une démarche que Ferragui explique par le fait que ces associations culturelles qui activent avec le cœur et sans «aucun calcul», sont la digue contre la mondialisation envahissante qui agit, selon lui, tel un «rouleau-compresseur» pour venir à bout des «cultures minoritaires comme la nôtre qui n’ont pas de moyens pour se défendre».
Et d’ajouter qu’«en ce qui me concerne, je pense avoir accompli ma mission, aux générations futures d’accomplir le reste avec d’autres moyens». Ceci non sans préciser répondre avec un énorme plaisir aux sollicitations des associations culturelles comme c’est le cas aujourd’hui.
Et si tu n’étais pas un artiste, qu’aurez vous venir devenir ? A cette question d’un présent, Ferragui n’a pas été loin et n’a pas usé de paraboles pour trouver la réponse. «Je suis gâté par le sort. Tous mes vœux ont été exaucés. J’aimais l’enseignement, j’ai exercé comme instituteur durant trois années, j’ai également voulu être journaliste, j’ai suivi une formation dans le domaine en France sans pour autant l’exercer, car, entre temps, j’ai entamé ma carrière de chanteur que je voulais depuis que j’étais enfant.»
Déjà riche de près de deux cents chansons étalées sur près de 45 ans de carrière, le répertoire de Farid Ferragui sera renforcé incessamment par d’autres chansons.
L’artiste dit en cours de préparation d’un album constitué de cinq chansons qui sortira cette année. Avec, ajoutera-t-il, des tournées prévues aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. M.K.