Par Benaouda Lebdai (*)
Grâce à un père ouvert et tolérant qui tenait à ce que ses filles réussissent leurs vies, Fadéla M’rabet a toujours été de l’avant, toute sa vie.
Fadela M’Rabet vient de nous quitter ce 14 mai 2025. A son actif d’écriture, de nombreux textes publiés comme «La femme algérienne» en 1965, «Les Algériennes» en 1967, «Une enfance singulière» en 2003, «Une femme d’ici et d’ailleurs» en 2005 aux éditions de l’Aube, en France.
Ses derniers romans comme «La piscine» ou «La salle d’attente» furent édités chez Dalimen. Pour honorer sa mémoire j’aimerai me concentrer sur «Une femme d’ici et d’ailleurs» qui se situe entre deux espaces comme la mémoire et le présent, l’Algérie et la France, l’Europe et l’Afrique, la nostalgie et l’espoir.
La nostalgie d’une époque révolue est fortement présente lorsqu’elle y évoque sa vie d’étudiante à Strasbourg, celle d’une des premières algériennes à étudier au-delà des mers, alors qu’elle était issue du milieu traditionaliste de Skikda. Grâce à un père ouvert et tolérant qui tenait à ce que ses filles réussissent leurs vies, elle est toujours aller de l’avant, toute sa vie.
Durant la guerre de libération, Fadéla M’Rabet a connu les premiers moments du militantisme pour l’indépendance de l’Algérie. Elle a fait la grève des étudiants algériens en France et elle a milité pour la liberté. Elle a participé à des réunions de militants FLN à Strasbourg. Pour ses activités nationalistes elle fut renvoyée du collège où elle était maîtresse d’externat à Strasbourg.
Elle raconte ses péripéties, ses coups de cœur, ses déboires avec certains indics qui n’avaient aucun respect pour leurs sœurs algériennes et d’autres qui n’avaient aucun respect pour les femmes, les traitant avec mépris, ce qui la révoltait. De cette expérience de vie d’étudiante loin du pays natal, elle se remémore l’apprentissage de son individualité en tant que femme se sentant libre : «En Algérie je me percevais comme une figurante. A Strasbourg, auprès de mes camarades d’études, je me suis sentie sujet … Je les ai tous perçus, les filles surtout, comme des personnes uniques.
Alors que je venais d’un pays où les hommes comme les femmes semblaient interchangeables». Le Strasbourg de l’époque était une nouvelle naissance pour la jeune étudiante, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan politique et militant. Elle raconte sa prise de conscience dans un texte qui n’est ni une autobiographie, ni un essai sur le traitement de la femme par des hommes machistes, mais une autofiction pour ses prises de conscience politiques.
Dans le registre mémoire, elle dit la construction de la femme qu’elle est devenue grâce à sa rencontre avec Maurice Maschino, son futur mari devenu Tarik Maschino, qui fut un militant pour la cause algérienne. En 1972, elle publie avec Tarik L’Algérie des illusions, qui fut une critique sans concession d’une certaine prise en charge des problèmes de la nouvelle nation, y compris la question des femmes algériennes et de leur liberté. Leur histoire d’amour fut vécue comme un défi contre l’intolérance, la stupidité sectaire, le racisme.
L’opinion politique, l’attitude politique, les idées et les opinions de l’un et de l’autre, la manière d’y être fidèle, d’avoir des principes et d’y tenir, tout cela fut fondamental dans leur union qui a duré jusqu’à leur décès. Fadela n’aura pas survécu longtemps après la mort de Tarik Maschino ! Elle s’est en effet isolée. Néanmoins, sa volonté de toujours surmonter les obstacles lorsqu’elle était certaine de ses sentiments et de ses combats pour la liberté de l’être furent son leit-motive.
Repère pour la lutte des femmes algériennes
Avec les montées du sectarisme et de l’intolérance, Fadéla M’Rabet ne s’est pas tu, elle a dénoncé ce retour en arrière quant à la situation des femmes. En cela elle restera un repère pour la lutte des femmes algériennes pour leur liberté. Par exemple, lorsqu’elle évoquait l’Union des femmes algériennes des années 70, elle décrivait ces représentantes comme étant des bourgeoises qui ne s’occupent que d’elles mêmes. Elles étaient ces «dames patronnesses qui manifestaient pour la libération du Mozambique et de l’Angola, mais pas pour celle des algériennes».
Cette Union des Femmes avait tout fait pour la discréditer lorsqu’elle avait publié son premier ouvrage sur la condition de la femme en Algérie. A l’époque, il ne fallait pas trop critiquer les traditions. Elle en a souffert. Même si depuis, de grands progrès ont été faits au niveau individuel, au niveau social global il reste beaucoup à faire, comme elle l’a répété ces derniers temps lors de ses rencontres avec ses lectrices au stand Dalimen.
Fadéla M’Rabet s’en est toujours pris aux intégrismes de tout bord et n’a jamais hésité à accuser les femmes qui portent le ‘hidjab’ de capituler, de cesser de se battre, elle a écrit sans hésiter : «Ce sont des capitulardes». Pour elle, ce voile devient un ghetto. Double ghetto, dans les banlieues françaises, alors que des filles de la génération de leurs mères se sont suicidées parce qu’on les retirait du lycée «pour les voiler et les marier» !
L’ignorance de la lutte des algériennes pour leur liberté est souvent à la base de cette régression. Fadéla M’Rabet a également dénoncé le sort réservé aux africaines qui sont maltraitées par des hommes qui se sentent forts et assurés dans leur supériorité.
Elle a dénoncé la bigamie et a revendiqué la solidarité des femmes africaines entre elles. La lutte pour la liberté, pour l’émancipation reste une lutte de tous les instants disait-elle, car les idées intégristes ne cessent pas de proliférer. Fadéla M’Rabet a abordé de nombreuses questions liées à la femme et son devenir par le prisme de sa propre expérience dans tous ses textes. Je soulignerai que la colère et la révolte sont restés intacts chez cette féministe de la première heure jusqu’au bout. La liberté fut son pays et son pays fut l’Algérie ! Repose en paix Fadéla - romancière engagée ! B. L.
(*) Professeur des Universités et critique littéraire