Escapade dans le Fahs algérois : Hussein dey ou l’histoire étonnante du dernier dey d’Alger (*)

30/04/2023 mis à jour: 23:10
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La cour intérieure de la villa du Dey Hussein

Hussein Dey (*), une commune située à 5 km de la capitale, établie au centre de la baie d’Alger. Sa fondation remonte au 23 mai 1835, alors simple quartier de la ville d’El Qûbba. Elle décroche son autonomie administrative au moment même où elle fut distraite de la commune mère le 20 mai 1870, suite aux requêtes de ses administrés qui avaient sollicité l’érection de leur petite bourgade en municipalité distincte. La petite agglomération primitive, qui se développa à cet endroit, était constituée de quelques maisons coloniales, des fabriques et des fermes environnées de jardins potagers. 

 

Son territoire, jadis propice au maraîchage et à l’arboriculture, s’est transformée en quelques décennies en une banlieue industrielle prospère avec l’apparition entre autres de moulins à vapeurs, usines à gaz, à papier, biscuiterie et chocolaterie. Il y a plus d’un siècle, la ville d'Hussein dey n’était qu’un petit hameau occupant une position magnifique dans la plaine du littoral algérois comprise entre oued El Harrach et Oued El Kniss, tandis que sa partie nord s’étend sur les coteaux qui terminent la chaîne collinaire du Sahel algérois. Son espace géographique faisait partie des terres fahs, c’est-à-dire des environs immédiats ou campagne proche d’Alger, selon l’ancien modèle d’organisation administrative, en vigueur sous la régence turque. Cette partie de la banlieue est d’Alger est plus particulièrement renommée pour ses longues plages évoquant le souvenir du débarquement de nombreuses flottes étrangères, dont celles qui avaient été commandées successivement par Diego de Vera en 1516 à l’instigation du fils de Salim Ben Toumi, refugié alors à Oran, de Charles Quint en 1541 et d’ O’Reilly en 1775.

O’Reilly, voulant suivre les traces de son prédécesseur, résolut sept jours après avoir mouillé dans la baie d’Alger, de débarquer son armée sur les plages de Hussein Dey. A l’époque, les autochtones désignèrent ce malheureux événement sous le terme de «Aâm Ermal», qui se traduit littéralement par l’année du sable. Acculés de toutes parts, les envahisseurs, qui ne s’attendaient point à une riposte vigoureuse, abandonnent la partie et regagnent à la hâte leurs voiliers en laissant derrière eux des centaines de morts et de blessés.
 

Le souvenir de ces combats se perpétuait jusque dans les années 1830 grâce à un ancien lieu armé de canons auquel on attribua le nom de batterie n°10, localisé naguère à environ 1500 mètres à droite de l’embouchure de Oued el Kniss nommée pour cette raison toppanet Oued el Kniss, dite également batterie Charles Quint.  

Entre les vagues et ce vieux fort se voyait par le passé un site historique tristement célèbre où reposaient deux cents combattants algériens tombés au champ d’honneur lors de cette bataille. Ce champ funéraire, dont on ne retrouve désormais plus aucune trace, possédait par le passé, son mur d’enceinte et un haut palmier planté en son milieu. Il existait très probablement en bordure des plages qui s’étendent dans le voisinage immédiat de la station de taxi interwilayas et le cimetière chrétien d'Hussein Dey.  

Le site, où s’érigea la ville d'Hussein Dey, était en ce temps-là si agréable que le dernier dey d’Alger songe de construire un pied à terre à quelque 470 mètres des premières vagues et à moins de 400 mètres du fameux cours de l’Oued el Kniss. Effectivement, en 1821, celui-ci édifia dans un site quasiment vierge, une superbe résidence de villégiature au milieu d’un grand jardin abritant deux puits destinés en partie à l’arrosage des plantes de diverses variétés qui embaumaient de leur parfum tout l’espace alentour. La villa était agrémentée de magnifiques panneaux de faïences, avec grande cour intérieure, bassins de marbre, jets d’eau, portes de cèdres et galeries soutenues par des arcades et des colonnes torsadées.

Le terrain, qui devait accueillir en 1815, ce château de rêve oriental, avait été acquis pour la somme de 2500 boujous, puis agrandi en 1820 par une parcelle attenante achetée aux héritiers de Sidi Mohammed, l’agha des spahis, en échange de la maison n° 11 de l’ex-rue Annibal à Alger. Cette maison de plaisance, qui se trouvait ces dernières années dans un état critique,  a fait l’objet de restauration. Elle est composée d’un rez-de-chaussée et d’un étage coiffé de jolies coupoles. 

En dépit des transformations et des adjonctions qu’elle avait subies, celle-ci a beaucoup conservé de son charme pittoresque. 
L’armée royale française occupa la villa et son parc où elle fit établir dès 1839 un quartier de cavalerie qui nécessita l’aménagement de baraquements pouvant héberger 290 hommes et des écuries pouvant abriter 280 chevaux. L’ensemble avait été construit tout autour de la charmante demeure mauresque. 

Aux alentours de 1853 ce remarquable djenane accueille un entrepôt des tabacs puis une caserne de police coloniale, remplacée à l’indépendance par l’école de police nationale. Depuis 1966, ce jardin historique abrite jusqu’à nos jours le lycée Aïcha qui fut scindé en 1974, en deux lycées dénommés respectivement Athaâlibia I et Athaâlibia II.

 

Hussein dey et Bidjikou, deux noms pour désigner le même personnage

A une certaine époque, cette sublime maison de campagne, établie au bord de la mer, se faisait appeler Bidjikou, une dénomination qui s’est étendue par la suite au petit hameau qu’elle représentait primitivement. En réalité, le nom Bidjikou qui signifie khodja en langage proche du turc, est emprunté à la fonction exercée alors par le propriétaire turc Hussein auprès du dey d’Alger. Plus tard, par glissement sémantique ce vocable a changé pour devenir Bentchicou.

Cette résidence n’était pas la seule que possédait le dey Hussein, lorsqu’il était khaznadji, celui-ci amassa une grosse fortune ce qui lui avait permis d’acquérir d’autres jardins mauresques dont celui qui existait à Dély Ibrahim ou encore celui qui se faisait appeler le jardin du dey, djenane Eddey dans l’enceinte de l’hôpital maillot, à Bab El Oued.Le lieu et les dates de naissance et de mort de ce haut dignitaire d’origine turque sont imprécises, né en 1767 à Vourla, disent les uns, né en 1773 à Smyrne petite ville située à 53 km de la première, disent les autres. 

Engagé  par son père dans une corporation de tobjis, canonniers dans l’artillerie du sultan Selim à Constantinople. Grâce à sa persévérance, il réussit à gravir les échelons dans ce corps d’arme. Rattrapé dans son élan par ses défauts disciplinaires, il est sanctionné, mais il échappe à la bastonnade que voulait lui infliger son chef, c’est alors qu’il décide de fuir à Alger.

En cours de route, le bateau qui le transportait fut piraté, il est contraint de séjourner à Naples avant d’être échangé avec un captif. Notre déserteur se retrouve ultérieurement à Alger, où il s’enrôle en tant que janissaire. Pour arrondir les fins de mois, il passait son temps dans sa boutique où il vendait du tabac, des essences, des pipes dans la rue de Beb Lahzoun, un nom inspiré du grand porche où les cadavres des suppliciés étaient généralement exposés.

Son accession à de plus larges responsabilités commence d’abord par sa nomination au poste de secrétaire de la Régence, puis Khoudjat el Kheïl : secrétaire de la cavalerie, l'équivalent de poste de ministre des Domaines et des Haras. A la mort d’Ali khoudja qui fut enlevé par la peste en 1818, Hussein devint à son tour dey d’Alger sans savoir qu’il allait clôturer cette longue série des deys d’Alger. C’est à ce moment-là que le toponyme du fameux quartier  Bidjikou est remplacé définitivement par celui de Hussein dey.

Renversé le 5 juillet 1830 de son trône le dey et le trésor de La Casbah furent au cours de la semaine qui suivit, expédiés par bateau l’un à Naples et l’autre à la banque de Paris. Le 10 juillet 1830, vers 20 heures, le dey Hussein quitte la villa Dar el Hamra, la maison rouge dans la basse Casbah qu’il avait occupée après avoir abandonné son palais pour se diriger à pied vers le port d’Alger. On le fit embarquer à bord de la Jeanne d’Arc qui leva l’ancre le 11 juillet 1830. 

A l’issue d’un bref séjour à Mahon, ce dernier arrive à Naples le 31 juillet 1830, où il ne sera autorisé à débarquer que le 03 août 1830 sur le sol du lieu de son exil qu’il avait lui-même choisis. En 1831 à l’issue d’un séjour de trois mois à Paris, il retourne à Livourne où il occupait la maison de campagne des juifs Bacri ceux-là mêmes qui étaient à l’origine de l’incident de l’éventail. Le dey Hussein quitte l’Italie en 1833 pour se réfugier à Alexandrie où il trouve la mort en 1838.La commune, qui perpétue encore aujourd’hui son souvenir, compte de nombreux anciens et nouveaux quartiers autours de son centre-ville tels que Bel Air, Léveilley, Hanin, Oued Ouchayah, la Cité Mer et Soleil, Maya, Côte Rouge, Brossette, Amirouche, La Montagne, La Cressonnière, Panorama, Côte Blanche et Les Eucalyptus.

Le cœur historique de cette localité est reconnaissable par les vieux bâtiments de manufacture des tabacs qui avaient au fil du temps trouvé place dans l’enceinte même de la sublime demeure du dey Hussein.

En ville, la vie le jour est rythmée par le son de cloche du tramway dont la ligne traverse l’artère principale. Les rails monopolisant une partie de la chaussée, seule une petite voie sert à présent à la circulation des véhicules. En 1895, le petit bourg comptait déjà quelques stations de train et de tramway.
 

 

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