Escapade dans le fahs algérois / El Biar ou les puits des jardins mauresques

02/04/2023 mis à jour: 17:31
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Avec l’aimable concours de l’auteur de la série d’ouvrages monographiques intitulée Le Sahel algérois, Ahmed Karim Labèche, nous présentons au lecteur, à travers des escales dans l'ancien fahs algérois, un condensé exaltant de son travail sur l'histoire des villes qui s'y sont implantées au fil des siècles.

Tout comme Bir Mourad Raïs et Hydra, El Biar faisait partie au temps de la Régence d’Alger du territoire de Birkhadem. La dénomination El Biar que les autochtones prononçaient «Lebyer», signifie les puits. Elle désigne le lieu agréable où jadis les bourgeois aimaient se retirer loin du centre de la médina d’Alger. Notons, cependant, que cette appellation aurait été sans doute acquise en raison du nombre très élevé de puits qui existaient autrefois sur son territoire. Cet avantage naturel était souvent considéré, à la fois, comme un critère de choix et de distinction des fermes qui s’y trouvaient alors. Celles-ci étaient à juste titre surnommées, au vu de la quantité de puits qu’elles pouvaient abriter, à l’instar du domaine des quatre puits, dit «Djenane Raba’e Byer». La plus renommée de toutes ces propriétés était connue chez les Algérois sous le nom de domaine des Sept puits ou des Sept fontaines, Djenane Saba’e Byer en arabe. Elle s’implantait dans le voisinage du grand carrefour de Châteauneuf, à l’entrée d’El Biar par Dély Ibrahim et Chéraga.

 

Les jardins qu’on appelait communément djenayene dans le parler local étaient disséminés dans le fahs algérois et rivalisaient les uns avec les autres par leur splendeur et leur style oriental exceptionnel. On comptait à El Biar, nombre de palais d’été qui se blottissaient au milieu de ces somptueux jardins.  
 

A l’époque ottomane, les représentations des nations européennes considéraient cet endroit comme un lieu de villégiature. Hormis les consuls et les officiers de l’odjak, seules les riches familles algériennes pouvaient s’offrir un tel luxe. Au nombre de ces propriétaires autochtones, l’on peut citer le bach agha Ben Ali Chérif de Chellata, El Mokrani de la Medjana, Ould Kadi de Frenda, le cheikh de Ferdjioua, Ahmed Bou Akkez, les Chekiken, les Ben Redouane et les Mouhoub.
 

Les premiers jours de l’occupation, les luxueuses demeures mauresques qui se trouvaient aux abords de la route principale d’El Biar sont prises d’assaut par l’armée française, à l’instar de la villa Errais H’midou dans l’actuelle annexe de Birtraria transformée pour l’occasion en quartier général. L’on pourrait citer aussi la villa Dar Ennâma, maison de la Grâce où résidait le consul d’Espagne, à Saint-Raphaël, autrefois élevée en face de l’ancien consulat de Hollande. 

Le soir du 29 juin 1830, les troupes françaises se sont installées dans l’ancien consulat de Suède, dont le palais mauresque occupait l’emplacement du Belvédère Ezzahira, ex-balcon Saint Raphaël, au-dessus de l’ancien consulat du Danemark et en-dessous de l’actuel siège du ministère de la Justice.
 

Cette superbe maison du consul de Suède, qui n’est malheureusement aujourd’hui qu’un vague souvenir, se dressait au bout de la rue Dziri Khodja Fatiha, au milieu de son jardin intime, surplombant la falaise dite Sidi Oulid Adda. Une grande partie de la bâtisse principale et de la terrasse s’est effondrée lors de l’éboulement de l’année 1845. De cette situation élevée, comme tant d’autres lieux qui couronnent les hauteurs d’El Biar, on peut jouir d’une vue spectaculaire sur Alger avec la Méditerranée en guise de toile de fond.  
 

La fondation de la commune d’El Biar avait été consacrée par arrêté du 22 avril 1835 ; cinq km la séparent du chef-lieu d’Alger-Centre. Son espace faisait au temps des ottomans partie de la ceinture du fahs, dont l’étendue correspondait à la proche banlieue d’Alger, c’est-à-dire plus ou moins le Sahel algérois. En 1848, El Biar est soustraite de l’ancien fahs algérois, annexée à Alger par ordonnance du 31 janvier de cette même année ; elle ne sera, cependant, une commune de plein exercice que le 14 septembre 1870. Elle y demeura une municipalité de l’Algérois rattachée maintenant à la circonscription administrative (daïra) de Bouzaréah.
 

A peine vingt ans après sa création, des voyageurs rapportaient qu’El Biar ne ressemblait pas du tout à un village, elle avait plutôt l’allure d’une charmante résidence qui réunissait villas riches et élégantes, ainsi que maisons aussi luxueuses que coquettes, avec coupoles blanches et jardins clôturés débordant de parfums.

La colonie pionnière européenne, qui s’est installée à El Biar, était composée de gens venus d’Espagne, de Mahon, des Baléares, de Malte, d’Italie, de la Moselle et de la Meurthe en France. Des Anglais sont venus par la suite grossir les rangs de cette population.
 

Parsemée de somptueux hauts palmiers, l’esplanade Kennedy est un incontournable au centre-ville d’El Biar. Elle s’est fait d’abord appelée place Carnot, avant d’être rebaptisée à l’Indépendance sous le nom d’un illustre président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy (1917-1963). 

Ce dernier avait ouvertement soutenu la cause algérienne lors de la campagne présidentielle américaine de 1961.
 

L’hôtel de ville est l’un des plus remarquables bâtiments entourant cet espace public, sa façade et son élégante structure ont été réalisées dans un style d’architecture qui n’est pas du tout banal. Il occupe une position offrant une perspective séduisante dans la direction du boulevard Bougara (ex-Gallieni). 

Cette construction aux allures de palais mauresque avec patio, arcades, colonnes torsadées, galeries voûtées, balustrades de même qu’un abri et une entrée spéciale en sous-sol pour animaux. Son toit est couronné d’un vaste dôme percé de huit petites ouvertures vitrées qui laissent pénétrer la lumière du jour à l’intérieur. 
 

L’esplanade de la mairie est environnée de plusieurs autres édifices publics, à l’image de l’hôtel des postes qui a été érigé en 1932,  ainsi que la resplendissante mosquée qui a vu le jour en 1967 et qui porte le nom des Khoulafa Al Rachidine.

El Biar est réputée pour ses quartiers de l’époque ottomane, dont celui des Tagarins qui tient sa dénomination d’une ancienne tribu issue du nord d’Espagne ou celui de Bir Traria, de son vrai nom Bir Trilye en référence à la ville turque de Trilye implantée sur le bord de la mer de Marmara, dont sont originaires deux officiers turcs qui exerçaient autrefois au fort l’Empereur.
 

La ville d’El Biar est composée aujourd’hui de nombreux autres quartiers parmi lesquels Saint Raphaël, La Scala, Dar Ennaâma, Châteauneuf, Mont Frisquiet, Cheval Blanc, Mont d’or, Gai Soleil, Rachid Mimouni, Carrefour, El Bakri, Cité Evolutive et El Feth.
 

Une nouvelle localité non moins importante a fait son apparition ces dernières années à la sortie de la ville, à mi-chemin entre les communes de Ben Aknoun et d’El Biar, sur l’espace qui faisait jadis la prospérité d’un vieux domaine turc. Il s’agit d’une zone placée sous l’autorité administrative d’El Biar, qui connaît actuellement un accroissement rapide de la population et une augmentation à une vitesse fulgurante des surfaces bâties. 

Bien qu’il soit de création toute récente, ce quartier a pris des proportions assez considérables. Ce dernier est localisé dans une aire limite entre les deux communes d’El Biar et de Ben Aknoun, lesquelles ont respectivement leur chef-lieu à seulement 2 km de là.
 

Le temps passant, ce lieu s’est révélé être un véritable pôle administratif où se côtoient diverses infrastructures et services d’utilité publique. Depuis quelques décennies, le paysage de la commune d’El Biar a profondément changé avec l’apparition de zones urbaines toujours nouvelles. 

Quoi qu’il en soit, nous osons espérer, en dépit de cet essor effréné, que son patrimoine et ses vestiges historiques soient préservés pour la postérité, car la Cité-jardin garde encore jalousement, de nombreux secrets à nous révéler..

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