Escapade dans le fahs algérois : Dély Ibrahim ou le haouch du dey Ibrahim le fou

30/03/2023 mis à jour: 18:53
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Avec l’aimable concours de l’auteur de la série d’ouvrages monographiques intitulée Le Sahel algérois, Ahmed Karim Labèche, nous présentons au lecteur, à travers des escales dans l'ancien fahs algérois, un condensé exaltant de son travail sur l'histoire des villes qui s'y sont implantées au fil des siècles.

En cette journée du 14 août 1710, le corps sans vie de Dély Ibrahim fut découvert parmi 117 cadavres qui jonchaient le sol du palais. La dépouille de Dély Ibrahim fut traînée dans la rue puis suspendue, un temps, à un crochet fixé près de la porte de Bab Azzoun (étymologiquement bab Lahzoun, ou «porte des lamentations»). Cinq mois seulement après son accession au trône, il rejoignit ses prédécesseurs au cimetière de l’ancien fort des Vingt-quatre heures à Bab El Oued. Son tombeau fut couronné d’une espèce de qûbba, comme l’exigeait la tradition pour tous les souverains turcs. Il eut pour successeur le dey Ali Chaouch, (1710-1718). Tout comme Dély Ibrahim, les deys Baba Hassen, et Baba Ali alias Bousbaâ (1755-1766), vont léguer leurs noms à de grands haouchs des environs d’Alger, devenus aujourd’hui trois grandes villes.

 

Le célèbre souverain turc Dély Ibrahim, dont le nom survit dans celui de la ville éponyme, était déjà un vieux janissaire quand il accéda au trône. Il avait acquis en ce temps-là la réputation d’être un cruel et débauché. On dit de lui qu’il fit égorger, en moins de huit jours, plusieurs personnes qui auraient eu un lien avec son prédécesseur, ce qui lui valut, au demeurant, le surnom bien mérité de Dély Ibrahim, qui veut dire «Ibrahim le fou» ou «Ibrahim le diable».

Son règne fut subitement écourté à cause de ses dévergondages amoureux. Sa passion favorite consistait à s’introduire la nuit en toute discrétion, dans des résidences où l’accès lui serait plus facile. Il choisissait généralement les femmes dont le mari était l’un de ses subordonnés, qui serait absent en raison de son métier qui l’obligeait à séjourner fréquemment loin de son foyer. 

Pour atteindre son objectif, ce dernier avait mis au point un stratagème qui fonctionnait grâce aux renseignements qui étaient recueillis à travers un réseau d’informateurs qu’il avait tissé autour de lui. Les femmes domestiques juives, qui travaillaient dans les bains maures d’Alger, étaient ses plus proches confidentes.
 

Lors de l’une de ses multiples visites nocturnes inopinées, la femme favorite d’un raïs bien connu, nommé Mahmoud, le repoussa avec audace, le poignard à la main. Elle informa son mari à son retour, mais celui-ci craignant pour sa vie, décida de passer sous silence ce fâcheux incident.
 

Contrairement à lui, son épouse ne comptait pas en rester là, voulant coûte que coûte venger l’outrage qu’elle venait de subir. Cette dernière prit alors la résolution de partager ce lourd secret avec toutes les femmes qui, comme elle, étaient mariées à des capitaines de vaisseaux. Le raïs Mahmoud était un renégat d’origine portugaise renommé pour son courage, il avait acheté sa compagne qui était de confession chrétienne, toute jeune au Bajestān en Perse.
 

Dès lors, un complot fut orchestré par les familles dont les femmes avaient été abusées par Ibrahim le fou, et bientôt leur choix s’arrêta sur un ancien employé de maison qui avait facilité l’incursion du souverain dans la résidence de son maître. Ce dernier se dissimula derrière une porte d’où il pensait pouvoir atteindre Ibrahim le fou avec son arme. Au premier coup de fusil, le dey et sa suite qui rentraient de l’Amirauté furent alertés, sans que personne ne soit touché.
 

Arrivé avec ses khoudjas et ses chaouchs à hauteur de l’endroit où se tenait naguère le marché d'esclaves, non loin de l’actuelle esplanade des martyrs, il tenta une seconde fois de l’abattre  et de nouveau, il manqua sa cible. C’est à cet instant précis que des cris appelant à la justice populaire se firent entendre «charaâ Allah ! charaâ Allah !», «La justice de Dieu !» «La justice de Dieu !» Les raïs qui avaient organisé cette attaque craignant sans doute que leur plan n’échouât, décident au dernier moment de prendre les choses en main. 

Dans un premier temps, ils encerclèrent promptement le palais de la Djenina qui se situait près de la mosquée Ketchaoua, dans lequel le dey et sa suite s’étaient retranchés. Ils grimpèrent par la suite par-dessus les murs et parvinrent à balancer des grenades enflammées à travers des ouvertures.
 

En cette journée du 14 août 1710, le corps sans vie de Dély Ibrahim fut découvert parmi cent dix-sept cadavres qui jonchaient le sol du palais. Sa dépouille fut traînée dans la rue puis suspendue, un temps, à un crochet fixé près de la porte de Bab Azzoun (étymologiquement bab Lahzoun, ou «porte des lamentatons». Cinq mois seulement après son accession au trône, il rejoignit ses prédécesseurs au cimetière de l’ancien fort des Vingt-quatre heures à Bab El Oued. Son tombeau fut couronné d’une espèce de qûbba, comme l’exigeait la tradition pour tous les souverains turcs. Il eut pour successeur le dey Ali Chaouch, (1710-1718). Tout comme Dély Ibrahim, les deys Baba Hassen et Baba Ali alias Bousbaâ (1755-1766) vont léguer leurs noms à de grands haouchs des environs d’Alger devenus aujourd’hui trois grandes villes.
 

Voici ce qu’on pouvait également lire à propos du dey Dély Ibrahim, dans un autre extrait tiré d’une monographie intitulée Histoire de l’Afrique septentrionale, éditée en 1905 par Faure Biguet : «En 1710, le bey de l’Est prit la fuite avec le produit de tous les impôts. 

A cette nouvelle, les janissaires furieux se révoltèrent massacrèrent le dey Mohamed Baktache ainsi que son gendre Ouzen Hassen. Ils nommèrent Dey, l’un d’entre eux, nommé Dély Ibrahim. Celui-ci, était un homme grossier et violent, qui donna l’exemple de la licence. Au bout de quelques mois, comme il avait voulu séduire la femme d’un janissaire, les camarades du mari outragé se soulevèrent et le tuèrent en 1710.»
 

Qu’est devenu le bordj de Dély Ibrahim

La ville qui porte aujourd’hui son nom fut créée à l’endroit même qui avait auparavant servi aux janissaires à l’établissement d’une grande ferme désignée sous le nom de l’haouch Dély Ibrahim. A l’intérieur de son immense clôture se dressait autrefois un bordj, une espèce de château fortifié exposé jadis à tous les vents. Ce dernier représentait le noyau originel de la cité autour duquel sont venus, le temps passant, s’agglutiner de nouvelles constructions. 

Aujourd’hui, cette belle maison de campagne n’est plus qu’un lointain souvenir, les terres qui l’entouraient et qui formaient autrefois le grand haouch turc du même nom se sont vu graduellement transformées en une grande banlieue de la capitale qui ne cesse de s’étendre en tous sens.
 

Entre le XVIIe et XVIIIe siècles, une corporation de janissaires se chargeait régulièrement de l’entretien de cette propriété qui était à l’état rural.  Le bey de Constantine venait comme à l’accoutumé chaque année livrer le tribut qui lui était imposé par la Régence d’Alger, laquelle lui assignait comme résidence temporaire le bordj de Dély Ibrahim. Cette charmante villa turque se faisait aussi appeler «Djenane Hussein dey» du nom du dernier dey qui gouverna la ville d’Alger.
 

Le 24 juin 1830, l’haouch Dély Ibrahim fut le théâtre de violents engagements lors de la bataille de Sidi Khalef par référence au saint personnage, dont le dôme est toujours visible à l’ouest de l’agglomération de Chéraga. Un des généraux du corps expéditionnaire français trouve refuge dans le bordj de Dély Ibrahim, où il fut durant cette même journée cerné avec toute sa compagnie par un millier d’insurgés autochtones.  
 

Bien avant sa démolition, elle servira autour de 1852 de caserne de gendarmerie, devient en 1855 centre d’accueil des filles orphelines qui étaient jusque-là installées dans un douar tout proche. La structure de cette jolie demeure ottomane fut sérieusement ébranlée lors du tremblement de terre de 1862 qui l’a fragilisée davantage. La place venait d’y manquer et sa vétusté s’était de plus en plus aggravée au point de menacer de tomber en ruine, provocant le départ précipité de tous ses occupants.
 

On a dû alors reloger ses locataires dans une nouvelle bâtisse avec jardin dépourvu de clôture, érigée dans une ferme voisine. Cet endroit juché au sommet d’une butte située tout près du centre-ville, abrite jusqu’au jour d’aujourd’hui le centre de vieillesse. Ce foyer d’hébergement des personnes âgées est installé dans un vaste édifice datant de 1948, implanté au bout d’une allée bordée d’une rangée de superbes palmiers. Le bâtiment actuel fut réalisé en remplacement de celui qui existait primitivement.
 

Au-dessus de son entrée principale, on peut encore voir un cadran solaire verticale qui était à l’origine composé d’un bâton, une espèce d’instrument appelé gnomon, qui servait à indiquer le temps solaire par le déplacement de l’ombre. Les heures matinales étaient marquées, à gauche, et celles de l’après-midi, à droite. 

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