Enquête militaire sur l’exécution des 15 humanitaires palestiniens à Ghaza : Israël évoque un «malentendu opérationnel» !

22/04/2025 mis à jour: 18:33
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Funérailles des secouristes assassinés par l’armée d’occupation israélienne - Photo : D. R.

Alors que des médecins légistes ont affirmé que les 15 humanitaires «ont été tués pour la plupart par des balles dans la tête et le torse, ainsi que par des blessures causées par des explosifs», Israël a évoqué, dans un rapport, un «malentendu opérationnel» des forces israéliennes qui les a conduites à «tirer sur les ambulances».

Après être revenu sur sa première version des faits, à travers laquelle, il reconnait avoir tué 15 personnes présentées comme des combattants du Hamas, qui se dirigeaient, selon lui, en pleine nuit, vers les troupes à bord de véhicules, feux éteints, Israël a reconnu que les 15 humanitaires qui étaient en mission,  ont été tués  à Rafah, à la suite de «manquements professionnels» et «une violation des consignes» pour lesquels un  commandant et un adjoint responsable, «ont été limogés».

Les faits remontent à l’aube du 23 mars dernier, lorsque huit ambulanciers du Croissant-Rouge palestinien, six agents de la Défense civile et un membre du personnel de l’agence onusienne Urwa, sortis pour porter secours à leurs collègues, pris pour cibles plutôt, dans la zone de Tel Soltan, à Rafah, au sud de Ghaza, ont été surpris par des tirs nourris et ininterrompus des troupes israéliennes embusquées à quelques mètres, alors que les gyrophares et les feux de leurs véhicules étaient allumés.

Prés d’une semaine après, leurs corps ont été déterrés d’une fosse commune, avec leurs ambulances et camions écrasés par des engins. Pour Jonathan Wittall, directeur de l’Ocha (Bureau onusien des affaires humanitaires), pour la Palestine, les secouristes ont été tués un à un et enterrés puis enfouis dans une fosse commune. «Un à un, les ambulanciers et les agents de la défense civile ont été touchés. Leurs corps ont été rassemblés et enterrés dans cette fosse commune.

Nous les déterrons en uniforme, avec leurs gants. Ils étaient là pour sauver des vies. Au lieu de cela, ils ont fini dans une fosse commune. Ces ambulances ont été enfouies dans le sable. Il y a un véhicule de l’ONU, ici, enfoui dans le sable. Un bulldozer – un bulldozer des forces israéliennes – les a ensevelis», a déclaré le responsable dans une vidéo en direct des lieux.

Israël a vite réagi en affirmant que les ambulances et les camions n’étaient pas dotés de gyrophares et circulaient à feux éteints lorsqu’ils ont été pris à partie par les tires des troupes. Une version vite démentie par un enregistrement vidéo effectué par un médecin avec son téléphone (retrouvé sur lui), qui montre, durant sept minutes, l’arrivée des ambulances avec feux et gyrophares allumés, les tirs incessants d’armes à feu ciblant les secouristes, descendus de leurs véhicules.

«Ils se sont rendu comptes qu’ils ont tiré sur des personnes désarmées»

Israël a annoncé une deuxième enquête, après avoir authentifié l’enregistrement vidéo d’une des victimes. Ce n’est que tard dans la journée de dimanche, que les conclusions de cette enquête ont été redues publiques. Elles font état de «plusieurs manquements professionnels, des violations des consignes et un manquement à signaler complètement l’incident». Selon le rapport, les soldats de Golani, «avaient été alertés, vers 5 heures du matin, Golani par des opérateurs de drones qu’un convoi de véhicules suspects s’approchait d’eux.

Les opérateurs de drones n’ont pas pu déterminer s’il s’agissait d’ambulances. Les véhicules : des ambulances et un camion de pompiers, se sont arrêtés à une vingtaine de mètres de certains des soldats qui attendaient dans l’embuscade, et plusieurs suspects, dont il a été confirmé plus tard qu’il s’agissait de médecins et de secouristes, sont sortis en courant, apparemment pour soigner ceux qui se trouvaient dans le premier véhicule qui avait essuyé des tirs.

Le commandant de l’embuscade,  le commandant adjoint de l’unité de reconnaissance de la brigade Golani, étaient positionnés de telle manière qu’il ne pouvait pas voir les ambulances, mais seulement le camion de pompier, qu’il a identifié à tort comme un camion normal». Toujours selon l’enquête, le commandant «n’a pas non plus pu voir complètement les phares du camion de pompiers. Il a ouvert le feu en premier, pensant que la couverture de l’embuscade avait été découverte et que les membres du Hamas se préparaient à les attaquer.

Les soldats ont chargé vers les véhicules, ouvrant le feu sur les suspects pendant environ trois minutes. Ils ont cessé de tirer en atteignant la route où les ambulances s’étaient arrêtées et, une fois arrivés près des véhicules, ils ont réalisé qu’ils avaient tiré sur des personnes non armées». L’enquête a précisé que les soldats sont restés «environ quatre minutes sur les lieux avant de retourner à leur lieu d’embuscade». Néanmoins, l’enquête a écarté totalement le fait que les soldats aient menotté les secouristes avant ou après les avoir tués, ni qu’ils les aient exécutés.

Un des ambulanciers, qui a survécu à cette horrible tuerie, Assad al-Nsasrah, a été, selon l’enquête, découvert le lendemain par les soldats. Il a été emmené pour interrogatoire et depuis, il n’est plus rentré chez lui. Sur les tirs ayant visé le véhicule de l’Onu, clairement identifié, l’enquête a révélé que les soldats tentaient de faire quitter la zone au véhicule, mais ont tiré directement sur lui, tuant un employé de l’Unrwa, en soulignant qu’au total «15 Palestiniens ont été tués, bien que six d’entre eux aient été identifiés à titre posthume par l’armée israélienne comme étant des membres du Hamas», a affirmé l’enquête sans avancer de preuves.

Le rapport d’enquête a révélé en outre «qu’au matin, les troupes ont décidé de rassembler les corps au même endroit et de les recouvrir de sable pour empêcher les chiens sauvages et autres animaux de les dévorer,  marqué le lieu d’inhumation et prévenu l’ONU pour venir récupérer les corps. De plus, un bulldozer blindé D9 a poussé les ambulances et autres véhicules hors de la route pour l’ouvrir, les écrasant au passage».

«Écraser des ambulances était une erreur»

Il a souligné tourte fois, que «recouvrir les corps de sable et marquer le lieu d’enterrement était une pratique approuvée, mais écraser les ambulances était une erreur qui n’aurait pas dû être commise». Pour l’enquête, «il n’y avait aucune tentative de dissimuler l’incident, et que celui-ci avait été discuté peu après avec l’Onu pour coordonner la récupération des corps et expliqué que les deux premiers tirs, contre les ambulances et le camion de pompiers, avaient été déclenchés parce que les troupes se sentaient en danger, alors que le troisième, ciblant le véhicule de l’Onu était contraire protocole».

En conséquence,  l’armée a décidé de limoger le commandant adjoint de la sinistre brigade Golani, rendue célèbre par la publication de ses membres,  sur les réseaux sociaux,  de vidéos et de photos, sur les enlèvements de Palestiniens, les actes d’humiliation de ces derniers, les opérations de destruction des maisons, mosquées et écoles, de saccage, de vol des vêtements et des objets de valeur trouvés sur les lieux. «Le commandant adjoint sera démis de ses fonctions en raison de ses responsabilités en tant que commandant sur le terrain (… ) et pour avoir fourni un rapport incomplet et inexact lors du débriefing».

L’armée a aussi «mis fin aux fonctions du commandant responsable de l’unité qui dirigeait l’opération à Rafah lorsque les humanitaires ont été tués». Selon l’armée, il a été «formellement blâmé pour sa responsabilité globale dans l’incident y compris la gestion de la scène par la suite». Le rapport d’enquête ne suggère aucune poursuite pénale contre les unités incriminées dans cette grave affaire.

Le communiqué israélien sur le rapport de l’enquête a conclu en affirmant que «l’armée regrette les dommages causés aux civils non impliqués». Mais sur la question de savoir les faits constituent un problème généralisé au sein de l’armée, le général de division Yoav Har Even, qui a dirigé l’enquête, a répondu : «Nous disons que c’était une erreur, nous ne pensons pas que ce soit une erreur quotidienne».

Pourtant, ces conclusions ne concordent pas avec les révélations glaçantes d’un des médecins légistes palestiniens, Dr Ahmed Dhair, qui avait procédé à l’autopsie des 14 corps sur les 15 déterrés de la fosse commune. Dans son témoignage au journal britannique The Guardian, il avait affirmé avoir découvert «des lacérations, des blessures par balle et des blessures résultant d’explosions» en précisant que «celles-ci étaient principalement concentrées au niveau du torse : poitrine, abdomen, dos et tête».

«La plupart des victimes sont mortes par balles»

Selon lui, la plupart des victimes sont mortes des suites de blessures par balles, y compris de balles explosives, autrement appelées «balles papillon», qui explosent dans le corps à l’impact, déchirant la chair et les os. «Nous avons trouvé des restes de balles explosives», a souligné le médecin légiste, avant de poursuivre : «Dans un cas, la tête de la balle avait explosé dans la poitrine, et les fragments restants ont été retrouvés dans le corps.

Il y avait également des restes ou des éclats de balles éparpillés dans le dos de l’une des victimes». Dhair a toutefois souligné que «les conclusions ne suggéraient pas que les ambulanciers avaient été touchés à bout portant» avant de faire remarquer qu’il n’était pas expert en munitions. Selon lui, «les éclats d’obus retrouvés dans les corps suggéraient également qu’ils avaient été touchés par des engins explosifs et dans certains cas, les blessures semblaient être un mélange de blessures par explosion et par balles».

A la question de savoir si les victimes avaient été déterrées les mains ligotées, le médecin légiste a répondu qu’il n’avait vu «aucun signe visible de contrainte», a écrit le journal britannique. «Dans un seul cas, il y avait une décoloration et des ecchymoses aux poignets, probablement dues aux entraves», a souligné le médecin, avant de préciser que «tous les hommes portaient leur uniforme de travail et leurs corps commençaient à se décomposer». En outre, la première réaction à ce rapport d’enquête a été celle du ministre israélien de la Sécurité nationale d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir, qui a qualifié le  limogeage du commandant adjoint de «grave erreur» avant de demander à l’état-major de revenir sur cette décision.

Pour sa part, le Croissant-Rouge palestinien a rejeté formellement les conclusions de l’enquête qui selon lui, étaient «truffées de mensonges». «Il est invalide et inacceptable car il justifie le meurtre et impute la responsabilité à une erreur personnelle du commandement sur le terrain, alors que la vérité est tout autre», a déclaré à  l’AFP Nebal Farsakh, porte-parole de l’organisation. Lui emboitant le pas, la Défense civile palestinienne a accusé hier l’armée israélienne d’avoir commis «des exécutions sommaires» lors de la fusillade tout en rejetant les conclusions de l’enquête militaire.  S. T.

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