En raison des enquêtes de la cour pénale internationale sur Israël : Khan et des juges sous le coup de lourdes sanctions américaines

20/05/2025 mis à jour: 01:40
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Karim Khan, procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI) - Photo : D. R.

Alors qu’une enquête interne a été ouverte sur des «allégations d’inconduite sexuelle» au moment où il a requis des mandats d’arrêt internationaux contre les dirigeants israéliens, le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, fait l’objet de lourdes sanctions américaines, allant de sa privation d’accès à ses mails, de ses comptes bancaires, de soutien financier, matériel et technologique et de l’aide des ONG, nécessaires pour son travail, jusqu’aux menaces d’arrestation aux Etats-Unis.

Les lourdes pressions exercées sur le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, à cause de son enquête sur «les crimes de guerre et contre l’humanité» commis par l’armée israélienne à Ghaza, et qui ont abouti à l’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant, se sont aggravées depuis l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche, en février dernier, et la promulgation par ce dernier de sanctions contre la CPI, dont ni les USA ni Israël ne sont Etats parties.

Pris en étau entre une enquête interne sur des allégations de «harcèlement sexuel», faites par une de ses assistantes, et les sanctions de l’administration Trump qui ont entravé les enquêtes de son bureau au point d’être instruit de ne pas rendre publiques ses demandes sur de nombreux dossiers et pas seulement sur celui d’Israël, Karim Khan a fini par se mettre «en congé» depuis vendredi dernier.

Dimanche en fin de journée, la CPI a rendu publique sa décision mais en l’imputant à l’enquête interne sur l’affaire «d’allégations d’inconduite». La présidence de la CPI a annoncé qu’elle «prend acte» de cette «mise en congé jusqu’à l’issue de la procédure menée par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) des Nations unies» et a ajouté que «la gestion du bureau du procureur sera assurée par les procureurs adjoints».

Dans son communiqué, la présidence de la CPI a exprimé, en outre, sa «ferme conviction que le travail de la Cour dans l’intérêt de la justice, sous la houlette de sa présidence, du greffier et des procureurs adjoints, se poursuivra de manière normale et sans aucune interruption», en soulignant que «l’enquête portant sur les allégations d’inconduite imputée au procureur (…) vise à garantir une procédure indépendante, impartiale et équitable, en conformité avec le cadre juridique de la CPI et dans le respect des droits de toutes les parties concernées». Elle a également affirmé qu’elle «continue d’appeler au respect de la vie privée et des droits de toutes les parties concernées ainsi qu’à la préservation de l’intégrité de l’enquête».

La Cour sanctionnée comme s’il s’agissait d’une organisation terroriste

Khan a rejeté les accusations selon lesquelles il aurait tenté, pendant plus d’un an, de contraindre une assistante à avoir une relation sexuelle. Une affaire qui avait fait la une des médias, notamment israéliens, britanniques et américains, qui, citant des groupes de défense des droits des femmes, avaient appelé Khan à remettre sa démission, alors qu’il s’apprêtait à requérir des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens, dans le cadre de son enquête sur les crimes commis à Ghaza.

Selon la presse américaine, deux employés du tribunal, auxquels la présumée victime a fait des confidences, avaient révélé les faits reprochés au BSCI, l’organisme indépendant de surveillance interne de la juridiction, au début du mois de mai 2024, soit quelques semaines seulement avant l’annonce par Khan de ses demandes de mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens.

Selon toujours les mêmes sources, le BSCI avait affirmé avoir entendu la présumée victime et mené des investigations, avant de clore son enquête au bout de cinq jours, sans déterminer l’inconduite sexuelle. Si la femme a choisi de ne pas engager une plainte officielle contre le procureur, ce dernier a néanmoins été destinataire d’une note du BSCI, qui lui recommande de «minimiser les contacts» avec la présumée victime, afin «de protéger les droits de toutes les personnes impliquées et de préserver l’intégrité du tribunal».

Après l’annonce, au mois de novembre 2024, par la CPI de l’émission de mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant, la juridiction et particulièrement le procureur en chef ont fait l’objet d’une violente campagne politico-médiatique israélienne, mais aussi américaine, suscitant la réaction inédite de la présidente de la CPI, lors de l’Assemblée générale annuelle des Etats parties au Statut de Rome, au mois de décembre 2024.

«La Cour est menacée de sanctions économiques draconiennes par un autre membre permanent du Conseil de sécurité, comme s’il s’agissait d’une organisation terroriste», avait déclaré la juge Tomoko Akane dans son discours, en faisant allusion aux propos du sénateur américain du camp républicain Lindsey Graham, qui avait présenté la CPI comme une «blague dangereuse», avant de demander au Congrès d’infliger des sanctions au procureur en chef de la juridiction.

«A tous nos alliés, Canada, Grande-Bretagne, Allemagne, France : si vous essayez d’aider la CPI, nous vous sanctionnerons», avait menacé le sénateur. Lors de cette assemblée générale, Akane avait évoqué l’ouverture d’une enquête externe sur les allégations d’inconduite sexuelle contre Karim Khan qui, quant à lui, a parlé de «défis sans précédent» auxquels la juridiction est confrontée.

Deux mois plus tard, Donald Trump a entamé son mandat en signant un décret présidentiel portant sur des sanctions contre la CPI, accusée de s’engager dans «des actions illégitimes et sans fondement ciblant l’Amérique et notre proche allié Israël», mais aussi «d’abuser» de son «pouvoir» en «émettant des mandats d’arrêt sans fondement» contre Netanyahu et Gallant.

Profitant de la présence de Netanyahu, premier dirigeant à être invité à la Maison-Blanche, Trump a estimé que la CPI «n’a aucune compétence sur les Etats-Unis ou Israël, (…) elle a créé un précédent dangereux» avec ses actions dirigées contre les Etats-Unis et son allié Israël.

L’ordonnance de Trump stipule que les «actions de la CPI contre Israël et les Etats-Unis créaient un dangereux précédent, mettant directement en danger le personnel américain actuel et ancien, y compris les militaires en service actif des forces armées» et précise que la «conduite malveillante» de la Cour menaçait «la souveraineté des Etats-Unis et compromettait le travail crucial du gouvernement américain en matière de sécurité nationale et de politique étrangère».

Elle prévoit un éventail de sanctions allant du blocage des biens et des comptes et de tout autre actif, jusqu’à l’interdiction d’entrée aux Etats-Unis pour les fonctionnaires, les employés et les proches de la CPI. Des sanctions qui visent à paralyser la juridiction, avait écrit l’agence américaine Associated Press (AP), en rendant plus difficiles les déplacements de ses enquêteurs et en compromettant la technologie développée aux Etats-Unis pour protéger les preuves.

«Une atteinte à l’indépendance et l’impartialité de la Cour»

Pour la présidente de la juridiction Tomoko Akane, le décret vise à «porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la Cour, et à priver de justice et d’espoir des millions d’ innocentes victimes d’atrocités». Dans sa déclaration, en au début de février de l’année en cours, Akane a déclaré : «Alors que des atrocités continuent de sévir dans le monde, affectant la vie de millions d’enfants, de femmes et d’hommes innocents, la Cour est devenue indispensable.» Selon elle, la CPI «représente l’héritage le plus significatif des immenses souffrances infligées aux civils par les guerres mondiales, l’holocauste, les génocides, la violence et les persécutions».

Akane a affirmé que «le décret annoncé n’est que la dernière d’une série d’attaques sans précédent et croissantes visant à saper la capacité de la Cour à administrer la justice dans toutes les situations. De telles menaces et mesures coercitives constituent des attaques graves contre les Etats parties à la Cour, l’ordre international fondé sur l’Etat de droit et des millions de victimes».

Elle a rejeté «fermement toute tentative d’influencer l’indépendance et l’impartialité de la Cour ou de politiser notre fonction judiciaire. Nous nous sommes toujours conformés à la loi, et nous nous conformerons toujours à la loi, en toutes circonstances», et exprimé le «soutien» de la juridiction «à son personnel», tout en s’engageant «à continuer de rendre justice et d’apporter de l’espoir à des millions d’innocentes victimes d’atrocités à travers le monde, dans toutes les situations dont elle est saisie, dans le seul intérêt de la dignité humaine».

Une déclaration qui n’a pas pour autant fait fléchir l’administration Trump, qui a tout de suite mis en exécution les sanctions contre les fonctionnaires de la CPI. Depuis la mi-février, le procureur en chef a été privé d’accès à sa messagerie professionnelle et ses comptes ont été gelés, alors que «les membres américains de la juridiction ont été informés que s’ils se rendaient aux Etats-Unis, ils risquaient d’être arrêtés», a écrit, la semaine écoulée, AP en précisant que «certaines ONG ont cessé de travailler avec la CPI et les dirigeants de l’une d’entre elles ne répondent même pas aux courriels des responsables de la Cour».

Ce ne sont que quelques-uns des obstacles auxquels est confronté le personnel de la CPI, depuis la mise à exécution des sanctions imposées par Donald Trump au procureur en chef, Karim Khan. 
Pour de nombreux avocats et ONG des droits de l’homme qui se sont confiés à AP, les sanctions «empêcheront les victimes d’avoir accès à la justice (…) et il est de plus en plus difficile pour le tribunal de mener à bien ses tâches de base, sans parler de la recherche de justice pour les victimes de crimes de guerre ou de génocide».

Entrée en exécution, l’ordonnance de Trump a interdit à Khan et aux autres non-Américains parmi les centaines de fonctionnaires de la CPI d’entrer aux Etats-Unis et a menacé toute personne, institution ou entreprise d’amendes et de peines de prison si elle fournit un «soutien financier, matériel ou technologique» au procureur en chef ou à la Cour.

«Ce qui entrave lourdement le travail sur un large éventail d’enquêtes, et pas seulement celle sur les dirigeants israéliens», a écrit l’agence américaine. En effet, la CPI mène des enquêtes sur les crimes commis au Soudan et avait émis des mandats d’arrêt contre l’ancien président soudanais Omar El Béchir, notamment pour génocide.

«Cette enquête est au point mort, alors même que les informations faisant état de nouvelles atrocités au Soudan se multiplient», a révélé, au média, un avocat représentant le procureur de la CPI, Eric Iverson, qui «conteste les sanctions devant les tribunaux américains» à travers une plainte devant la justice fédérale contre l’administration Trump «pour obtenir une protection contre ces sanctions».

Gel des comptes

Citant des «responsables de la CPI», sans les nommer, AP a affirmé que «des employés américains de l’organisation, comme Iverson, ont été avertis par ses avocats qu’ils risquaient d’être arrêtés s’ils retournaient chez eux pour rendre visite à leurs familles. Six hauts fonctionnaires ont quitté la Cour en raison de préoccupations concernant les sanctions».

En fait, l’une des raisons pour lesquelles la Cour est paralysée «est sa forte dépendance à l’égard des entrepreneurs et ONG qui ont réduit leurs activités pour le compte de la Cour par crainte d’être ciblés par les autorités américaines», ont déclaré, à AP, des membres actuels et anciens du personnel de la CPI, sous le couvert de l’anonymat. C’est le cas de Microsoft, par exemple, qui «a supprimé l’adresse e-mail de Khan, l’obligeant à se tourner vers Proton Mail, un fournisseur de messagerie électronique suisse».

A cela s’ajoute le gel de ses comptes bancaires au Royaume-Uni, son pays d’origine. Selon l’enquête menée par le même média, des membres d’une ONG, qui joue un rôle essentiel dans les efforts du tribunal pour recueillir des preuves et trouver des témoins, ont déclaré que le groupe avait transféré de l’argent hors des comptes bancaires américains parce qu’il craignait qu’il ne soit saisi par l’administration Trump.

Les hauts dirigeants de deux autres organisations de défense des droits de l’homme basées aux Etats-Unis ont affirmé que leurs organisations avaient cessé de collaborer avec la CPI. Un cadre de l’une d’elles a indiqué que «les employés avaient cessé de répondre aux courriels des responsables de la Cour, de peur de déclencher une réaction de l’administration Trump».

L’impact des sanctions sur la Cour a été tel que le personnel de cette juridiction se demande si la CPI peut survivre à l’administration Trump. Mais, trois procédures en justice intentées par des membres du personnel judiciaire et des consultants américains contre l’administration Trump et contre ces sanctions du fait qu’elles portent atteinte à leur liberté d’expression, sont en cours.

Il y a plus d’une semaine, Me Iverson, l’avocat qui enquête sur le génocide au Soudan, a révélé à AP avoir «obtenu une protection temporaire contre les poursuites. Mais si d’autres citoyens américains comparaissant devant la Cour souhaitent une garantie similaire, ils devront déposer leur propre plainte».

Ces sanctions ont, par ailleurs, impacté négativement la coopération entre la Cour et des pays, y compris parmi ses partisans. «La CPI ne dispose pas de mécanisme d’exécution propre et dépend des Etats membres. L’année dernière, trois pays – dont deux de l’Union européenne – ont refusé d’exécuter des mandats d’arrêt émis par la Cour», a écrit AP.

Khan interdit d’annoncer ses demandes

Des révélations qui interviennent au moment où des informations, fuitées dans la presse britannique, ont fait état d’une note adressée par les juges de la CPI à Karim Khan, lui demandant de s’abstenir de rendre publiques ses demandes de mandats dans le cadre de plusieurs enquêtes.

«La première interdiction, imposée en février», et obtenue par AP, «visait les mandats d’arrêt dans le cadre de l’enquête du tribunal sur les crimes de guerre en Afghanistan». D’autres ordonnances incluent l’interdiction de publier les demandes de nouveaux mandats d’arrêt dans le cadre de l’enquête sur les crimes commis dans les Territoires palestiniens occupés.

Toutes ces pressions et toutes ces sanctions ont poussé le procureur en chef à se retirer, provisoirement, en prétextant l’achèvement de l’enquête sur sa présumée inconduite sexuelle. Ce n’est pas la première fois que la CPI fait l’objet de sanctions américaines. Lors de son premier mandat de Donald Trump, la Cour avait été la cible de sanctions américaines.

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait sanctionné l’ancienne procureure en chef Fatou Bensouda, par une interdiction de voyager et un gel de tous ses avoirs pour avoir ouvert une enquête sur la conduite des troupes et des agents des services de renseignement américains en Afghanistan. Mme Bensouda ainsi que les membres de sa famille ont été la cible de nombreuses mesures coercitives, annulées par le président Biden, lors de son élection en 2020.

Si Trump avait décidé de sanctionner la CPI à la fin de son mandat, cette fois-ci, il a encore 4 années devant lui, qui risquent, au rythme où vont les sanctions, d’annihiler le travail des magistrats de la CPI, au moment où le génocide se poursuit à Ghaza et en Cisjordanie occupée, que des crimes de guerre sont commis en Afghanistan, en Libye et au Sud-Soudan, pour ne citer que ces pays. S. T.

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