Une nouvelle ère de turbulences commerciales est née d’une instrumentalisation des droits de douane avec des conséquences multiples sur les Etats-Unis et le reste du monde.
La guerre commerciale, lancée par l’administration Trump, présentée comme un moyen de réduire le déficit commercial américain et de revitaliser l’industrie manufacturière, a accentué l’instabilité mondiale. Elle a entraîné une dépréciation paradoxale du dollar malgré la hausse des taux, perturbé les chaînes d’approvisionnement, provoqué une inflation modérée et fragilisé les marchés des matières premières, ouvrant la voie à des pénuries ponctuelles et à un recours massif aux actifs refuges.
A moyen terme, ce protectionnisme freine la productivité et l’innovation, se révèle un choc systémique sapant la coopération internationale et menaçant la croissance, les investissements et la stabilité financière. Dans ce contexte turbulent, l’Algérie serait avisée de déployer un programme de redressement global, combinant une loi de finances complémentaire adaptée aux nouvelles priorités avec des politiques monétaire et de change calibrées pour rétablir les équilibres macroéconomiques, et des réformes structurelles destinées à diversifier la production et les exportations, réindustrialiser le pays et améliorer le climat des affaires.
Ces réformes doivent renforcer la productivité par l’innovation et soutenir les secteurs à forte valeur ajoutée, notamment le numérique et les activités vertes et bleues. Discutons de ces questions.
L’instrumentalisation des droits de douane ne répond pas au défi de l’économie américaine qui consomme plus qu’elle ne produit. Le déséquilibre commercial des Etats-Unis résulte principalement d’un déficit d’épargne nationale par rapport à l’investissement, et non uniquement de politiques commerciales inefficaces.
En effet, les Etats-Unis importent bien plus qu’ils n’exportent, ce qui engendre un déficit commercial qui s’ajoute au déficit du budget et fragilise les équilibres macroéconomiques. Tenter de combler ce déficit uniquement par des droits de douane élevés est une approche inefficace, voire contre-productive. Bien que les droits de douane puissent être un outil utile pour protéger certains secteurs, lutter contre les pratiques commerciales déloyales ou renforcer la sécurité nationale, leur application généralisée entraîne une hausse des coûts d’importation, des représailles commerciales et une appréciation du dollar, ce qui nuit à la compétitivité des exportations.
Ainsi, les droits de douane ne doivent pas être considérés comme une solution unique, mais plutôt comme un élément d’une stratégie industrielle plus large, comprenant des investissements couvrant la recherche et le développement, les infrastructures et les chaînes d’approvisionnement.
En outre, leur utilisation comme source majeure de recettes publiques serait régressive, car elle pèse principalement sur les consommateurs. Pour être efficaces, les droits de douane doivent être intégrés dans une politique commerciale plus cohérente et complémentée par des mesures économiques structurelles. Tout le contraire de ce qui se fait.
Les consommateurs américains commencent à perdre confiance et les grosses entreprises multinationales ne sont pas épargnées par le mur protectionniste. Malgré un récent ralentissement de l’inflation globale, les hausses de droits de douane d’avril 2025 risquent d’alimenter de nouvelles pressions inflationnistes.
En mars, l’inflation annuelle atteignait 2,4%, avec une inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) à 2,8%, son plus bas niveau depuis quatre ans. Toutefois, des tensions persistent sur certains prix (comme ceux des œufs, dont la hausse est le résultat d’un choc de l’offre) et sur certains produits importés qui ont augmenté suite la répercussion des hausses des droits de douane de la part des distributeurs et détaillants.
Ce que de nombreuses études, y compris de la part de la FED (la banque centrale fédérale) ont confirmé. Par ailleurs, l’expiration de l’exception de minimis — qui exemptait de droits les importations de moins de $800 — soumet désormais près de 4 millions d’envois quotidiens, souvent issus de plateformes chinoises bon marché (Shein, Temu ou Ali Express) à des droits pouvant atteindre 145%. Ce durcissement douanier risque d’aggraver considérablement la guerre commerciale avec la Chine.
Pour sa part, le PIB des Etats-Unis à fin mars 2025 a reculé de 0,3% sur une base annualisée, marquant la première baisse en trois ans. Cette contraction reflète principalement une forte augmentation des importations de la part de nombreuses entreprises qui ont stocké des biens étrangers avant l’imposition de nouveaux droits de douane. Bien que les impacts du choc douanier ne soient pas encore entièrement capturés au niveau statistique, Le ralentissement de la croissance du PIB est un premier signe clair et sans équivoque de la guerre commerciale qui risque d’exacerber encore plus les incertitudes économiques au cours des prochains trimestres et dégrader davantage le cadre macroéconomique. Notons également que d’ores et déjà les chiffres montrent que les entreprises les plus puissantes sont en train de souffrir également du mur protectionniste de Trump.
Les chaînes d’approvisionnement mondiales sous pression. Bien qu’encore en phase initiale, la guerre commerciale livrée par l’administration Trump à tous ses partenaires exerce déjà une pression notable sur les chaînes d’approvisionnement américaines.
Même si les tensions s’apaisaient rapidement, les dommages structurels continueraient à se faire sentir au cours des années prochaines, avec des conséquences similaires à celles observées lors de la pandémie de la Covid-19. Cependant, contrairement à cette dernière, les problèmes actuels découlent de la combinaison de l’instabilité économique mondiale et de l’imprévisibilité des politiques commerciales.
Cette incertitude engendre des pénuries potentielles, avec des entreprises qui annulent ou reportent leurs commandes liées à des périodes clés, comme la rentrée scolaire ou Noël. Cette situation ne manquerait pas de compromettre la stabilité du commerce de détail et éroder davantage la confiance des consommateurs.
La dépendance des États-Unis vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement mondiales, accentuée par les tensions géopolitiques, et l’ambiguïté des politiques commerciales de nombreux pays compliquent les prévisions à long terme des agents économiques. Dans un tel contexte, les Etats-Unis risquent de faire face à des défis majeurs pour assurer des approvisionnements généralisés en temps opportun ce qui se traduira par une hausse de l’inflation et perturberait la consommation et la croissance économique, notamment à la lumière d’un recul de l’activité manufacturière dans toute l’Asie.
Un marché pétrolier international à la baisse résultant de l’incertitude et de la déstabilisation de l’économie mondiale. En imposant des droits de douane massifs, notamment vis-à-vis de la Chine, et en perturbant les chaînes d’approvisionnement mondiales, l’administration Trump a ralenti le commerce international, réduit les perspectives de croissance mondiale, affaibli la demande en pétrole et fait chuter le prix du baril (---).
De plus, la récente révision a la baisse des projections économiques mondiales et la prudence accrue des entreprises ont restreint la consommation d’énergie. Parallèlement, les pays producteurs, membres ou non de l’OPEP+, sont confrontés à des dilemmes complexes : la baisse des prix qui met en péril leurs budgets ne peut être compensée par une réduction coordonnée de la production en raison des tensions croissantes actuelles. La volatilité des prix complique les prévisions et affectera les investissements à long terme.
De plus, la faiblesse relative du dollar a accentué la tendance à la baisse en rendant le pétrole moins cher pour les pays hors zone dollar, bien que cette dynamique reste fragile et susceptible de se renverser.
A court terme, le marché pétrolier devrait continuer de faire face à des pressions baissières dans la mesure où toute trajectoire future des prix du pétrole reste liée aux évolutions commerciales, aux réponses politiques et aux ajustements de l’offre face à une demande mondiale en phase de faiblesse.
Une crise du dollar à l’horizon du fait que les investisseurs fuient les actifs américains en raison de l’incertitude économique et de l’anticipation d’une politique monétaire plus souple.
Malgré la hausse des rendements des bons du Trésor, la chute du dollar reflète un risque croissant pour les actifs américains, alimenté par les politiques commerciales erratiques de Trump, le creusement des déficits budgétaires et l’affaiblissement de la crédibilité institutionnelle. Avec une dette publique nette proche de 100% du PIB et des réductions d’impôts faisant partie du programme économique de Trump, les perspectives budgétaires des Etats-Unis sont clairement insoutenables.
Cette situation alimente la méfiance des investisseurs étrangers, menaçant le rôle du dollar en tant que monnaie refuge. Une crise du marché obligataire pourrait rapidement déstabiliser le système financier, ce qui placerait la FED dans une situation délicate pour stabiliser les marchés sans provoquer une monétisation de la dette publique. La perte de confiance vis-à-vis du dollar risquerait de provoquer une instabilité financière mondiale en l’absence de toute alternative viable offrant les mêmes conditions de liquidité et de stabilité que le dollar.
Un choc majeur impactant les Etats-Unis n’est pas à écarter au cours des prochains mois. L’imposition de droits de douane prohibitifs sur les importations chinoises fragilise l’économie américaine. Si les volumes d’importation restent encore stables, des signes préoccupants apparaissent, comme la diminution des liaisons maritimes Chine–Etats-Unis, qui préfigure retards de livraison, ruptures de stocks à court terme, voire gel des investissements et suspension des recrutements à moyen terme. Même si des négociations contribuaient à un apaisement, elles prendraient du temps et ne dissoudraient pas totalement la méfiance ni l’instabilité économique qui en résultera.
Par ailleurs, la baisse des investissements et les représailles étrangères réduiront les recettes douanières nettes : une augmentation de 20 points de droits de douane pourrait rapporter moins qu’une hausse de 15 points, en raison des dommages économiques plus lourds. Les secteurs dépendants des exportations — agriculture, mines et industrie manufacturière — seraient particulièrement touchés.
Une guerre commerciale non souhaitée par les deux grandes superpuissances sur fond de tensions élevées et de rivalité géostratégique (le cœur du problème sino-américain). Les Etats-Unis et la Chine se livrent à une guerre commerciale non souhaitée, nourrie de reproches mutuels, avec des tarifs allant jusqu’à 145% sur les produits chinois importés et 125% sur les biens américains.
Sans exemptions, leurs échanges bilatéraux de $700 milliards pourraient s’effondrer de 80% en deux ans avec un découplage coûteux pour les deux partenaires. Washington reproche à Pékin son excédent commercial, le vol de propriété intellectuelle, les transferts forcés de technologie, les subventions publiques massives, le dumping et la manipulation du yuan, ainsi que le non-respect des normes sociales et environnementales. Pékin, de son côté, dénonce le protectionnisme américain — droits de douane et restrictions à l’exportation de technologies clés (semi-conducteurs, 5G) —, le «découplage» économique, l’ingérence sur Hong Kong, le Xinjiang et Taïwan, et le rôle hégémonique des États-Unis dans les instances internationales.
Algérie : Répercussions des chocs douaniers américains sur l’Algérie, enjeux macroéconomiques et orientations de politique économique sur le court et moyen termes.
Répercussions macroéconomiques à court terme : Les chocs douaniers américains auront des effets négatifs sur l’économie algérienne. La dépréciation prolongée du dollar, utilisé dans les contrats d’exportation d’hydrocarbures, pourrait réduire les recettes en devises, affectant les réserves de change, la capacité d’importation et la marge budgétaire.
De plus, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales risquent de limiter l’accès à des biens essentiels, notamment dans les secteurs de la santé, de l’agriculture et de l’industrie manufacturière, mettant en péril la sécurité économique.
L’augmentation des droits de douane mondiaux renchérirait les coûts des importations, aggravant ainsi les déséquilibres commerciaux et réduisant la compétitivité du pays.
Cette situation impacte aussi les recettes fiscales provenant du commerce extérieur, exerçant une pression sur le budget de l’État, notamment dans les secteurs sociaux et d’infrastructure. La politique monétaire pourrait également être affectée, avec une hausse de l’inflation importée et des tensions sur le taux de change, incitant la Banque d’Algérie à intervenir pour stabiliser le dinar, ce qui limiterait la liquidité. Enfin, l’aggravation du déficit commercial et la détérioration de la balance des paiements risqueraient de fragiliser davantage l’économie.
Grands axes des politiques publiques à mettre en œuvre : Dans un contexte marqué par des perspectives macroéconomiques défavorables en 2025 et à moyen terme, l’Algérie est appelée à mettre en œuvre un mix de politiques macroéconomiques cohérent et adapté.
Cela suppose l’adoption d’une loi de finances rectificative tenant compte des nouvelles contraintes, ainsi que la mise en place de politiques monétaire et de change appropriées afin de préserver la stabilité macroéconomique.
En parallèle, des réformes structurelles d’envergure s’imposent pour accélérer la diversification de la production et des exportations.
Ces réformes devront porter sur l’amélioration du climat des affaires, la modernisation du cadre financier et monétaire, le renforcement de la productivité et de la compétitivité externe, ainsi que le déploiement de stratégies sectorielles ciblées, notamment dans les domaines du numérique, des activités vertes et des secteurs à forte valeur ajoutée.
Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international