Démantèlement des réformes des années 1990 : Le moteur de la fragilité économique algérienne depuis 2000

26/06/2025 mis à jour: 02:43
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Photo : D. R.

Après un effort de réformes ambitieux mais partiel entre 1994-1998 soutenu par les institutions internationales, l’Algérie a opéré un revirement stratégique dès 2001, abandonnant l’agenda de transformation structurelle au profit d’un retour à un modèle rentier étatique inefficient. Cette stratégie, facilitée par la hausse des recettes pétrolières, a interrompu la dynamique de diversification, recentralisé l’économie et privilégié la stabilité sociale à court terme. Ce repli a découragé l’investissement privé, affaibli les institutions économiques et maintenu une faible productivité hors hydrocarbures.

Malgré d’importantes dépenses publiques, les résultats économiques ont été limités, accentuant la vulnérabilité structurelle du pays face aux chocs externes, notamment celui de 2014. A fin 2019, l’économie algérienne présentait de nouveaux déséquilibres majeurs, aggravés par l’absence de réformes, une dépendance persistante aux hydrocarbures et une insertion faible dans l’économie mondiale.

Cet article, deuxième d’une série couvrant la période 1986–2025, analyse les conséquences macroéconomiques et structurelles du recul réformateur entre 2000 et 2019. Le prochain volet portera sur la gestion du choc de 2014, établira un diagnostic à fin 2019 et proposera des pistes pour relancer un agenda de réformes crédibles. Discutons de ces points. 

Le démantèlement des réformes entre 2000-2019 a causé des dommages macroéconomiques et structurels à long terme. Après son élection en 1999, le président Bouteflika avait fait préparer une seconde génération de mesures macroéconomiques et structurelles qu’il a abandonnée très rapidement à partir de 2001 pour des raisons politiques et électorales, avant d’entamer un démantèlement systématique des réformes des années 1990, revenant à un modèle étatique fondé sur une redistribution expansive de la rente pétrolière. 

Cette approche passéiste avait été articulée autour d’un mix macroéconomique expansionniste (politique budgétaire procyclique, conditions monétaires accommodantes et laxistes, taux de change surévalué en dépit de réserves de change abondantes) et des mesures structurelles restrictives en faveur d’un contrôle renforcé de l’Etat (remise en place de toutes les rigidités structurelles éliminées par le programme de réformes de 1994-1998).

Le contre-choc pétrolier de 2014 allait de nouveau montrer l’absence de vision des autorités de l’époque qui avaient opté pour le financement du choc (avec un recours aux marges budgétaires disponibles et au financement monétaire direct) au lieu et place d’un plan d’ajustement global et cohérent, ce qui a aggrave les dégâts structurels à l’économie nationale qui mettra des années à se relever vu le contexte difficile et complexe sur les plans domestique et international.  

Des politiques macroéconomiques orientées vers une redistribution sociale (2000-2019) favorisée par une rente pétrolière cumulée de 883 milliards de dollars au détriment de la productivité Un allégement significatif du stock de dette extérieure en 2005 : La flambée des prix des hydrocarbures et l’essor de la production ont généré un excédent courant record (18% du PIB), permettant un remboursement anticipé de la dette extérieure dès 2004–2006. 

Une mesure bienvenue qui a réduit le ratio stock de la dette/PIB de 17 milliards de dollars en 2005 à 5,6 milliards en 2006 et 2,2 milliards en 2019, grâce à des paiements anticipés au profit de la BEI, la BAD, le FMI et les Clubs de Paris et de Londres. Cette stratégie souverainiste, cohérente avec la méfiance envers les conditionnalités extérieures, s’est toutefois accompagnée d’un affaiblissement du cadre macroéconomique hérité des réformes des années 1990.

Un modèle économique centré sur la consommation, défavorable à la diversification. Entre 2000 et 2014, la rente pétrolière a essentiellement financé la consommation finale (plus de 75% du PIB), au détriment de l’investissement productif et de la diversification. Ce modèle de redistribution immédiate a marginalisé de grands pans du secteur privé, pénalisé par un climat des affaires peu incitatif et entraîné une productivité stagnante.

Le décalage croissant entre absorption et production a renforcé la dépendance aux hydrocarbures et fragilisé la soutenabilité du modèle, dans la mesure où l’économie s’est structurée autour de dépenses publiques peu efficaces, tandis que l’emploi public est devenu l’instrument central de redistribution, au détriment de l’investissement (souvent extensif, peu sélectif et faiblement évalué en termes de rendement économique, générateur de productivité et de postes de travail avec une croissance économique bloquée à 3,3% entre 2000-2019).

Une politique budgétaire expansionniste à visée sociale et politique. Portée par la hausse des revenus pétroliers, la dépense publique a fortement augmenté, notamment via les subventions, transferts sociaux, salaires publics et grands projets. Malgré cette manne, le déficit budgétaire hors pétrole a atteint une moyenne de 35,7% du PIB hors pétrole entre 2000-2019 (par rapport à une norme de 10% du PIB hors pétrole), reflétant une trajectoire insoutenable de dépenses publiques. 

La règle budgétaire, introduite en 2000, imposait que les dépenses soient calculées sur la base d’un prix de référence du baril inférieur au prix de marché pour lisser les chocs ; elle a été contournée par un usage extrabudgétaire du Fonds de régulation des recettes (FRR), devenu un outil politique plutôt qu’un stabilisateur. La coordination économique a été marginalisée. Dès 2017, le financement monétaire a pris le relais sans contrôle effectif. La gestion des dépenses, redevenue discrétionnaire et clientéliste, a affaibli leur efficacité et accru la vulnérabilité aux chocs pétroliers.

Une politique monétaire d’abord passive, puis excessivement expansionniste, aux résultats limités : Entre 2000 et 2013, la politique monétaire reste passive, dans un contexte de surliquidité lié à la rente pétrolière, se limitant à la stérilisation sans action sur les taux ni le crédit. A partir de 2014, elle devient fortement expansionniste pour soutenir les besoins quasi budgétaires via le financement non conventionnel. Sur la période 2000-2019, la croissance monétaire moyenne était de 12,4% (excédant une inflation moyenne de 3,9% et une croissance réelle de 3,3%).

Le crédit bancaire passe de 24,1% du PIB à 37,8% du PIB en 2014 et 49,2% du PIB en 2018, majoritairement dirigé vers des secteurs peu productifs. La croissance reste modérée (~3,3%), la productivité stagne, et l’inflation repart à la hausse, dépassant 6% en moyenne entre 2016 et 2018. L’absence de réformes structurelles et l’allocation inefficiente du crédit limitent l’impact de la politique monétaire sur la stabilité des prix et la croissance durable.

Une politique de change privilégiant la stabilité nominale au détriment de la flexibilité maintenant le taux de change officiel entre 75 et 85 dinars pour un dollar de 2000 à 2015. Cette gestion a limité la volatilité et préservé la capacité d’importation, mais a conduit à une surévaluation réelle de 15 à 25%, réduisant la compétitivité des exportations hors hydrocarbures. En conséquence, la diversification économique a été freinée, renforçant la dépendance à la rente pétrolière et augmentant la vulnérabilité aux chocs externes. 
Un marché des changes en plein essor. Le marché des changes en Algérie connaît une forte expansion, marqué par un important marché parallèle malgré des réserves de change initialement élevées. Après le choc pétrolier de 2014, le marché parallèle s’est intensifié (6-8 milliards de dollars et prime autour de 50%), alors que les réserves chutèrent à 61,5 milliards de dollars fin 2020. 

Deux réformes majeures adoptées par les autorités en septembre 1997 – création de bureaux de change agréés et convertibilité du dinar algérien – ont été abandonnées, institutionnalisant ainsi le marché parallèle comme principale source de devises pour de nombreux agents économiques. 

Ce marché parallèle, alimenté par des restrictions sur les changes, la fraude et des pratiques commerciales douteuses, a provoqué des distorsions de prix, une mauvaise allocation des ressources, une transmission monétaire affaiblie et une baisse de compétitivité hors hydrocarbures, renforçant la dualité entre secteurs formel et informel. 

Des politiques sociales importantes manquant de ciblage. Entre 2000 et 2019, les politiques sociales algériennes ont visé à renforcer la cohésion sociale à travers des programmes en éducation, santé et logement, dépassant la simple redistribution budgétaire. Toutefois, leur impact à long terme a été limité par des rigidités structurelles et une faible capacité institutionnelle, freinant les progrès sociaux et l’inclusion économique. Sur la période 2000-2018, hors subventions, l’Algérie a consacré en moyenne 12,2% de son PIB aux dépenses sociales — principalement santé (4,5%), éducation (4,1%), appuis sociaux divers (1,8%) et sécurité sociale (1,8%) —, un niveau inférieur à la moyenne de 13,8% des pays émergents. En incluant subventions et transferts (8% du PIB), les dépenses sociales totales approchaient 20% du PIB, révélant des défis persistants en termes de ciblage, couverture et efficacité par rapport aux pays comparables.

Réformes abandonnées, Etat renforcé : la régression structurelle en Algérie (2000-2019). Le programme de réformes ambitieux mais incomplet des années 1990, mis en œuvre sous la contrainte du choc d’ajustement de 1986–1994, a été inversé sous la présidence de Bouteflika, notamment après 2001 avec la hausse des revenus pétroliers.  Citons : 
Le retour aux subventions généralisées et contrôles des prix. A partir des années 2000, les subventions supprimées dans les années 1990 ont été réintroduites, financées par la rente pétrolière croissante. Ce système, couvrant alimentation, énergie et logement, visait à préserver la paix sociale et l’image d’un Etat protecteur. 
Cependant, ces subventions ont fortement alourdi les dépenses publiques (12-15% du PIB), créé des distorsions économiques majeures — inefficacités, marché informel, désincitation à la production locale — et fragilisé la stabilité budgétaire.

Parallèlement, un contrôle administratif des prix a été rétabli pour contenir l’inflation et protéger le pouvoir d’achat, mais cette mesure a généré pénuries, accentué le marché informel et pesé sur les finances publiques. Cette gestion politique de la rente, bien qu’efficace à court terme pour apaiser les tensions sociales, limite la durabilité économique et freine l’investissement.

Un accord d’association avec l’Union européenne (AAUE) défavorable au pays. Signé en 2002 et appliqué depuis 2005, l’AAUE visait à intégrer l’Algérie à l’économie mondiale via le commerce, l’investissement et les réformes structurelles. En l’absence d’une mise en œuvre effective des réformes nécessaires (compétitivité, libéralisation, institutions renforcées), l’ouverture du marché s’est traduite par une hausse des importations, une faible diversification des exportations, un creusement du déficit commercial, une perte de recettes fiscales, une montée du chômage et une désindustrialisation. L’accord n’a donc pas favorisé la transformation économique escomptée.

Renforcement du rôle de l’Etat et affaiblissement du climat des affaires : Le rôle central de l’Etat dans la planification économique s’est renforcé avec l’investissement public et les marchés publics comme moteurs principaux de l’activité économique. Le développement du secteur privé, national et étranger, a été freiné par des obstacles administratifs, une réglementation incertaine et un environnement des affaires défavorable. Des lois restrictives, telles que la règle 51/49% limitant la propriété étrangère ont découragé les investissements directs étrangers et réduit les perspectives économiques du pays. 

Politique commerciale restrictive et une adhésion à l’OMC qui piétine depuis 1997. Après des réformes libéralisatrices des années 1989-1996, la période post-2014 a vu un retour aux restrictions commerciales avec la multiplication de barrières non tarifaires, des interdictions temporaires d’importation et des droits de douane élevés (30 à 200% sur plus de 1000 produits). 

L’Algérie est bloquée dans son processus d’adhésion à l’OMC depuis 2014, en raison d’un modèle protectionniste centré sur l’Etat, qui privilégie la protection des industries locales et de l’emploi au détriment des règles de l’OMC. Ce blocage limite la transparence, la concurrence, l’accès aux marchés et la capacité de négociation de l’Algérie, renforçant son isolement dans les chaînes de valeur mondiales. Sans réformes stratégiques axées sur la transparence, la compétitivité et l’ouverture, l’Algérie risque de rester dépendante des hydrocarbures et de voir sa croissance économique durable freinée.

Une coupure par rapport aux marchés financiers internationaux :  Une rupture nette avec les marchés financiers internationaux : malgré des ressources naturelles représentant près de 95% des exportations et une dette extérieure extrêmement faible, à seulement 1,3% du PIB, la faible exposition de l’Algérie à l’épargne étrangère — moins de 5% du financement total — limite sévèrement l’accès aux capitaux internationaux.

Cette situation bride la capacité d’investissement, estimée en moyenne à 20% du PIB, et freine la diversification économique indispensable. Il est impératif de mobiliser davantage les financements externes pour renforcer la résilience macroéconomique, améliorer l’efficacité de l’allocation des ressources et réintégrer l’Algérie dans le système financier mondial, condition sine qua non d’une croissance durable et soutenue.Pour conclure, le pouvoir d’achat qui a évolué de 12,2% entre 2000-2012 a fortement chuté pour se situer à 1,4% entre 2013-2019.
 

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