Dès l’introduction de son livre, Le 8 Mai 1945 en Algérie (OPU-ENAP, 2e édition, 1987), Redouane Ainad Tabet précise qu’avant les manifestations du 8 Mai 1945 qui seront réprimées avec une sauvagerie inouïe, il y avait eu celles du 1er mai 1945 qui avaient ébranlé plusieurs villes.
«La tentative d'insurrection nationale a commencé dès le 1er Mai 1945, lui-même préparé par toute une action politique, une prise de conscience aiguë qui s'est affirmée durant toute la Seconde Guerre mondiale pour aboutir à ce point culminant», relève-t-il. L’historien attire l’attention sur le fait qu’avant le déclenchement de ces manifestations du 1er mai, il y avait un «climat de tensions» et des «symptômes d'une confrontation généralisée entre les deux communautés». Et ces signes, dit-il, «remontaient, dans l'immédiat, au mois d'avril de cette même année (1945)».
«La fraction dure du PPA l’emportait»
L’ancien directeur des Archives nationales fera remarquer que dans ce climat tendu, c’est la tendance radicale pro-PPA qui l’emporte au sein de l’association Les Amis du Manifeste et de la Liberté qui fédère toutes les tendances du nationalisme algérien de cette époque.
«Dès le 4 mars, au congrès des AML, la fraction dure, constituée par les militants du PPA, l'emportait et faisait adopter son point de vue radical», écrit-il, avant d’ajouter : «Alarmée, l'administration réagissait en frappant à la tête : Messali est éloigné le 19 avril à El Goléa.» Il poursuit : «La veille, 4 militants arrêtés à Ksar Chellala avaient été délivrés de force par 200 autres environ, bousculant les forces de l'ordre, et, surtout, portant un grave coup au respect de l'autorité en place.» «Au cours de ce même mois, une trentaine de nationalistes sont emprisonnés», précise-t-il encore.
Redouane Ainad Tabet s’est évertué ensuite à expliquer comment les manifestations du 1er mai 1945 ont constitué un «prélude au 8 Mai». «Le PPA, profitant de la fête du travail, décide l'organisation de manifestations purement musulmanes selon les circonstances et donc patriotiques afin de sensibiliser les masses, démontrer l'appui populaire et créer la pression et les conditions nécessaires devant aboutir à la satisfaction des revendications nationalistes. Telle est l'idée maîtresse ayant présidé à ces premières manifestations et que l'on retrouvera à la base de celles du 8 Mai», affirme l’historien.
Des manifestions dans tout le pays
Répondant à l’appel du PPA, des manifestations vont ainsi se répandre à travers toute l’Algérie. «Ces manifestations eurent lieu dans les principales villes du pays, à Alger, Oran, Bougie, Tlemcen, Constantine, Mostaganem, Guelma, Relizane, Sétif, Batna, Biskra, Aïn Beïda, Khenchela, Sidi Bel Abbès, Souk Ahras, Cherchell, Miliana, Philippeville (Skikda), Oued Zenati, Saïda, Bône (Annaba), Tébessa, Aumale (Sour El Ghozlane)...
Elles embrassèrent donc tout le territoire, montrant ainsi la force du nationalisme algérien, impatient et descendant dans la rue où des milliers suivirent les cortèges, brandissant des banderoles scandant les mots d'ordre : ‘’Libérez Messali’’, ‘’Algérie indépendante’’», rapporte l’auteur.
Sur la foi de témoignages d’acteurs du Mouvement national, l’historien a reconstitué le défilé du 1er Mai 1945 tel qu’il s’est déroulé dans plusieurs centres urbains. A Alger, les marches du 1er Mai ont réuni «plus de 50 000 personnes», affirme le moudjahid Benali Boukort cité dans le livre.
Alors que le cortège investit la rue d’Isly, à Alger-Centre, «des soldats français, qui avaient pris position devant le siège de la Xe Région militaire, ouvrirent soudainement le feu», se remémore Benali Boukort. L’historien prend le relais : «Une violente échauffourée s'ensuivit, d'autres coups de feu furent tirés par des policiers et, semble-t-il, par des Européens à partir des balcons.» Quatre manifestants sont tués sur le coup, dont un jeune militant qui tenait le drapeau algérien.
«Libérez Messali», «Algérie indépendante»
En dépit cette répression féroce, le PPA est conforté dans l’idée que le peuple algérien était prêt pour en découdre avec le colonialisme. «Le PPA a réalisé concrètement la détermination des masses, leur volonté de continuer la lutte malgré les arrestations et les mesures policières», souligne Redouane Ainad Tabet. «Son bureau politique considérera qu'il a remporté une victoire éclatante ce 1er mai 1945.
L'épreuve de force semble dès lors inévitable, et ce, d'autant plus que l'agitation continue», observe-t-il. La large adhésion à l’appel du PPA, estime l’auteur, montre qu’«il est possible d'affirmer que les manifestations du 1er Mai ont bien été le prélude et la préfiguration de celles qui auront lieu quelques jours plus tard.
Elles présentent les mêmes caractéristiques. Elles ont été décidées et organisées par le PPA, les AML se contentant de rester à l'écart. Elles ont eu lieu à l'échelle nationale, entraînant des milliers de manifestants dans les principales villes du pays.»
Redouane Ainad Tabet s’est intéressé aussi aux slogans qui ont été mis en avant durant ces marches de la Fête des travailleurs : «Les cortèges ont scandé partout les mêmes mots d'ordre et brandi les mêmes banderoles ou pancartes : ‘’Libérez Messali’’, ‘’Algérie indépendante’’…
Leur caractère politique, patriotique et non syndicaliste est indéniable. Messali fait vraiment figure de leader incontestable», relève l’historien, avant de noter : «Le PPA, en sortant dans la rue, se révèle un parti structuré à travers tout le pays, ayant des militants disciplinés, capables de mobiliser les masses algériennes derrière ses mots d'ordre.»