Cinquantenaire de l’école nationale vétérinaire d’Alger : L’épopée de la médecine vétérinaire et son parcours en Algérie

05/05/2022 mis à jour: 05:45
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A propos de ces travaux, le célèbre écrivain de l’époque, Voltaire, a écrit, en 1775, une lettre sensationnelle à Claude Bourgelat (qui était son ami) dans laquelle il lui témoigna sa reconnaissance, notamment sur ses expérimentations en pharmacologie et en pathologie animales. 

Une lettre qui reste gravée en or, tant dans l’histoire de la médecine vétérinaire que dans la littérature française, particulièrement dans la partie où il lui déclare : «J’étais étonné qu’avant vous les bêtes à cornes ne fussent que du ressort des bouchers, et que les chevaux n’eussent pour leurs Hippocrates, que des maréchaux-ferrants. Les vrais secours manquent dans les pays les plus policés. Vous avez seul mis fin à cet opprobre si pernicieux. Les animaux, nos confrères, méritaient un peu plus de soins, surtout depuis que le Seigneur fit un pacte avec eux, immédiatement après le déluge.» Bourgelat surfera durant quatorze années sur les deux écoles (Lyon et Alfort) en mettant en place les bases pédagogiques et techniques de l’enseignement vétérinaire, jusqu’à sa mort.

 En reconnaissance à son engagement pour l’institution de la médecine vétérinaire en tant que branche de la science médicale, mais aussi, pour l’essor de la santé animale qui était, durant des siècles, confiée aux personnes en contact avec les animaux (maréchaux-ferrants, hippologues, pasteurs, bergers...), le «serment de Bourgelat», fut institué, à partir de 1780, dans toutes les écoles vétérinaires. 

A l’instar du «serment d’Hippocrate» pour les internes en médecine humaine, les diplômés en médecine vétérinaire devaient obligatoirement prononcer le «serment de Bourgelat», avant la remise de leur brevet. 

Par ailleurs, tout en restant dans la sphère de la santé animale, on ne se lassera jamais d’évoquer l’épopée pastorienne qui a donné, un siècle plus tard (le XIXe), du crédit aux vétérinaires. En effet, après avoir vaincu la rage transmise à l’homme par le chien, en mettant au point le vaccin antirabique et permettant, par-là même, à l’humanité d’accéder à la vaccination, Louis Pasteur exhiba sa passion pour la médecine vétérinaire en déclarant que «si mes études étaient à refaire, c’est sur les bancs d’Alfort que je m’inscrirais !», révèle le Pr André-Laurent Parodi, vétérinaire diplomate en bactériologie et sérologie de l’Institut Pasteur de Paris et qui, faut-il le signaler, est natif de Sidi Bel Abbès, en Algérie, d’une part. 

D’autre part, il n’est pas sans intérêt de rappeler que durant ce siècle, la médecine (humaine) a connu un grand bouleversement. La physiologie a dans les faits pris le-dessus sur l’anatomie, ouvrant ainsi le champ des sciences expérimentales, notamment avec la découverte de l’effet du curare sur la jonction neuromusculaire supplantant l’éther éthylique, longtemps utilisé en tant qu’anesthésique depuis sa synthèse, pour la première fois, en 1540 (XVIe siècle).

 Cette révolution «physiologique», initiée par Claude Bernard, le grand physiologiste qu’a connu l’humanité, a permis à la médecine vétérinaire de connaître son apogée, dix années après sa reconnaissance par Pasteur. Et là aussi, par le biais des recherches d’un autre grand physiologiste qu’a connu ce siècle, Ivan Pavlov en l’occurrence, lorsqu’il lança après sa grande découverte, chez le chien également, du réflexe conditionnel (dit aussi réflexe pavlovien) : «Si le médecin soigne l’homme, le vétérinaire soigne l’humanité.»

 A travers cette citation, Pavlov a contribué, pour sa part, à l’amélioration de la profession, notamment sur le plan de sa perception par la société, à tel point qu’elle fut hissée au rang des métiers les plus nobles de l’époque, entre médecins, avocats et autres notaires et banquiers. Ainsi, le vétérinaire est devenu ce professionnel qui a les mains en médecine et les pieds en agriculture avec la tête ajustée vers la microbiologie et l’esprit tournée vers l’économie. 
 

Des premiers médecins vétérinaires algériens à l’ENV d’Alger Bien que l’apport de la période arabo-musulmane à la médecine vétérinaire soit indéniable, il reste souvent occulté par certains auteurs occidentaux. Tout autant, le siècle des Lumières, marqué par l’essor scientifique des Européens et en même temps par leurs émulations dans le domaine des grandes découvertes, a été des plus bénéfiques sur le plan de l’académie vétérinaire. 

En vérité, les Français, connus pour leur rivalité scientifique (et impériale) avec les élites de l’autre puissance mondiale de l’époque, l’Angleterre, ont dès le début de la révolution scientifique devancé les Britanniques dans le domaine de la médecine vétérinaire. En effet, la première école du Royaume-Uni, le Royal Veterinary College de Londres, n’a ouvert ses portes qu’en 1791. Alors qu’entre temps, plusieurs établissements d’enseignement de la médecine vétérinaire ont vu le jour dans d’autres villes européennes, à l’instar de Bologne, Milan, Vienne, Munich, Leipzig et Copenhague. T

andis que l’actuelle puissance mondiale (et scientifique), les Etats-Unis, pourtant pays de l’élevage et des cowboys, n’a eu sa première école, le New York State College of Veterinary Medicine at Cornell University, qu’à partir de l’année 1894, soit plus d’un siècle après les écoles vétérinaires européennes. 
 

A tout le moins, les écoles vétérinaires françaises, qui commençaient dès le début du XIXe siècle à recevoir un grand nombre d’étudiants venus des quatre points du globe, eu égard à leur réputation, ont vu la sortie des premiers docteurs vétérinaires algériens qui, faut-il le préciser, ont été diplômés durant la période coloniale française de l’Algérie. Il s’agit des docteurs Ahmed Benkourdel et Bouâzza Zinai, récipiendaires tous les deux du diplôme de docteur en médecine vétérinaire respectivement, en 1936 et 1937, de la 3e école vétérinaire de France, à savoir celle de Toulouse qui a été fondée en 1828. 

A ce sujet, si pour le Dr Bouâzza Zinai, originaire d’Oran, ce sont quelques anciens vétérinaires qui font ressortir son nom, après 75 ans d’éclipse, en révélant qu’il a exercé à titre privé, et donc des recherches approfondies devraient être menées sur son portfolio ; en revanche, pour le Dr Ahmed Benkourdel, des recherches documentaires tracent son cheminement professionnel qui s’étend, de la fin des années 1930 jusqu’au début des années 1960. 

En effet, le Dr Claude Milhaud indique dans une publication, parue dans le Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France, que le Dr Ahmed Benkourdel a d’abord exercé au Maroc où, souligne-t-il, «il s’illustre dans le service des remontes». Il révèle, en outre, qu’«après avoir exercé en tant que praticien quelques années, il est appelé, en 1956, à la direction du service de l’élevage dont il est écarté en raison de son ascendance algérienne lors du conflit frontalier qui oppose, en 1963, le Maroc à l’Algérie». Cela dit, ces deux premiers vétérinaires algériens seront suivis par un troisième, le Dr Anwar Pacha Rahal en l’occurrence, sorti dix-huit ans plus tard, en 1956 plus précisément, de la célèbre école vétérinaire d’Alfort. 

Aussi, il paraît judicieux de préciser qu’avant les années 1950, il n’y avait qu’une trentaine de vétérinaires, tout au plus, qui exerçaient en Algérie. Ils étaient, bien évidemment, tous français (et/ou européens) dont le Dr Raymond Ismer, médecin vétérinaire qui fut admis au conseil municipal d’Alger dès 1897 et bien plus tard, le Dr Lucien Balozet, un vétérinaire métropolitain qui s’est distingué par ses activités au département vétérinaire de l’Institut Pasteur d’Alger, après avoir rejoint, en 1951, l’équipe de recherches que dirigeait le célèbre biologiste Edmond Sergent en Algérie sur le paludisme et la leishmaniose. Une mission qui prendra fin en 1962. 
 

Après l’indépendance du pays, plus exactement entre les années 1962 et 1970, un premier groupe de sept médecins vétérinaires de l’Algérie indépendante sortira, à son tour, des écoles françaises. Il sera suivi d’un autre groupe qui a été formé, entre 1965 et 1971, dans les pays de l’Europe de l’Est, dont l’URSS, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. De même, suivant les traces de leurs aînés, quelques jeunes Algériens partiront, entre 1972 et 1978, poursuivre des études vétérinaires en Irak. 
 

A suivre   (2e partie)

La reconnaissance de la profession par Pasteur, Pavlov et…Voltaire !
 

 

Par Dr Salim Kebbab

- Médecin vétérinaire
- Master en journalisme scientifique
 


 

 

 

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