Célébration du 5 juillet 1962 / Le moment 1962 vu par Malika Rahal : Un narratif de l’indépendance «démocratique et populaire»

05/07/2025 mis à jour: 03:25
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( Dessin : Le Hic )

Ce samedi 5 juillet 2025, nous célébrons le 63e anniversaire de l’Indépendance. Cela nous renvoie forcément à cette année prodigieuse de l’Istiqlal : 1962. Et pour prendre la mesure de l’extraordinaire densité de cette année de tous les possibles, il faut lire Malika Rahal. Il faut lire son ouvrage magistral,   Algérie 1962, une histoire populaire. 

Sorti en 2022 aux éditions La Découverte, à Paris, et aux éditions Barzakh, à Alger, le livre a été récompensé du Grand Prix des Rendez-vous de l’Histoire, en France. Nous le proclamons avec ferveur: Algérie 1962, une histoire populaire est le travail le plus complet, le plus fouillé, le plus singulier et le plus généreux qu’il nous ait été donné de lire sur cette séquence fondatrice qu’est le Moment 1962. Une fresque mémorielle vertigineuse, avec, à la clé, une narration chorale où Malika Rahal s’est employée habilement à faire entendre la voix de tous les «invisibilisés» de l’Histoire. 

Si on vous dit «1962» et qu’on vous demande de citer les événements les plus marquants auxquels cette date vous fait penser, que répondriez-vous ? Non, ceci n’est pas un sondage. C’est un simple constat. Sans attendre le verdict d’une enquête d’opinion sur les évènements associés couramment à cette date et les représentations que l’on se fait de l’année matricielle de nos grandes espérances, il y a fort à parier que trois faits saillants au moins figureront au palmarès des événements «soixante-deuxards» les plus cochés, à savoir (par ordre chronologique) : les Accords d’Evian, le 18 mars 1962 ; la proclamation de l’indépendance, le 5 juillet 1962 ; et la naissance officielle de la RADP, la République Algérienne Démocratique et Populaire, le 25 septembre. Cela dit, ce à quoi tout le monde pensera spontanément en premier, c’est bien sûr l’Istiqlal. Le Jour de L’indépendance. 63 ans, ce samedi. Une date que nous chérissons, qui nous émeut et nous donne aujourd’hui encore des frissons. Parce que ça n’a pas été simple. Parce que les Chouhada. Parce que Ghazza. Le colonialisme en vampire insatiable à sept têtes, jamais repu du sang des peuples qu’il croit soumettre. 


Du Cessez-le-feu à la naissance de la RADP

1962, c’est aussi d’autres faisceaux d’événements qui ne sont pas forcément adossés à une date précise, et qui disent la formidable accélération de l’histoire à laquelle nous allons assister en cette année de tous les possibles. Dans le désordre : la mise en place de l’Exécutif provisoire au lendemain du cessez-le-feu pour gérer la période transitoire ; le terrorisme de l’OAS, l’Organisation armée secrète qui redoublera de férocité à mesure que le mythe de «l’Algérie française» s’effondre ; le référendum d’autodétermination du 1er juillet qui sera le prélude à la proclamation de l’indépendance. 1962, c’est aussi le Congrès de Tripoli, du 27 mai au 5 juin, dont les travaux n’ont jamais été clôturés, et qui va acter les fractures au sein du leadership de la Révolution annonciatrices de la crise de l’été 62 et de la «guerre des wilayas», dans le sillage du conflit qui oppose le GPRA à l’EMG, l’état-major général, dirigé par Houari Boumediène. 

Dans le prolongement de ces luttes fratricides, le coup de force de Ben Bella, qui annonce le 22 juillet, depuis Tlemcen, la constitution d’un bureau politique, au nom du FLN, soutenu par Boumediène, avant de former le premier gouvernement de l’Algérie indépendante le 20 septembre après l’élection de l’Assemblée constituante. 

Voilà brossé à grands traits le bouquet d’évènements-types qui forment traditionnellement le socle du «référentiel 1962». Mais la séquence, on s’en doute bien, est beaucoup plus épaisse et plus complexe. Et pour prendre la mesure de l’extraordinaire densité de cette année charnière, il faut lire Malika Rahal. Il faut lire son ouvrage magistral, Algérie 1962, une histoire populaire. Le livre est paru en 2022, aux éditions La Découverte, à Paris, et aux éditions Barzakh, à Alger. Il a été récompensé peu après sa sortie du Grand Prix des Rendez-vous de l’Histoire, en France. Nous le disons avec une conviction ardente : Algérie 1962, une histoire populaire est le travail le plus complet, le plus fouillé, le plus singulier et le plus généreux qu’il nous ait été donné de lire sur cette période pleine d’effervescence. Sur plus de 400 pages, la brillante historienne s’est livrée à un travail colossal de «dépliement» comme elle dit, d’une année riche en rebondissements. 

Dans ce travelling arrière, elle propose une radioscopie rigoureuse de «l’évènement 1962» en élargissant la focale. Car pour l’autrice, «il s’agit de considérer l’année 1962 à la fois comme événement et comme durée, ou plutôt comme un événement complexe qu’il convient de déplier pour révéler d’autres événements imbriqués».

                                                            (Scène de liesse à Alger)

«Les gens de 1962 »

L’un des ingrédients qui font l’originalité de ce travail, c’est sa narration chorale, autrement dit, sa polyphonie. Tout au long de son enquête palpitante, Malika Rahal s’est en effet attachée à faire entendre la voix d’un large panel d’acteurs et de témoins de cette époque tumultueuse en accordant une attention particulière aux «gens de 1962», c’est-à-dire les Algériens et les Algériennes «ordinaires». «Le présent livre est né de (…) la nécessité de plonger aux racines de l’événement, dans les expériences des gens ordinaires, ou exceptionnellement normaux, et du désir de proposer une histoire des gens en 1962», écrit-elle. Et de souligner : «En réponse à l’invisibilisation qui rendait la population colonisée ‘‘hors sujet’’, les témoins de l’indépendance racontent 1962 comme l’irruption d’un acteur central : le peuple». Elle observe : «Le peuple est partout en 1962 : dans le titre du premier journal légal du FLN, Al Chaâb, dans l’évocation par l’anthropologue Jacques Berque (cinquante-deux ans à l’indépendance) des journées de l’indépendance au cours desquelles, dit-il, le «peuple danse sa liberté», et dans la République, proclamée en septembre comme une République algérienne démocratique et populaire». 

Un autre trait distinctif qui fait la singularité de ce livre si on l’examine à l’aune de la question posée au début de cette recension : c’est le fait qu’il dévoile des péripéties ayant entouré l’avènement de l’indépendance qui sont peu connues ou peu abordées dans les récits dominants. 

L’autrice qui vient de sortir Mille histoires qui diraient la mienne (éditions de l’EHESS, Paris, 2025), va fouiller dans les interstices des récits mémoriels pour exhumer des expériences peu mises en lumière, regarder dans les angles morts, soulever des questions nouvelles, interroger la mémoire des lieux, ou faire l’autopsie d’événements traumatiques racontés de façon biaisée comme le massacre de Petit-Lac, à Oran, du 5 juillet 1962. Au final, ce Chrononyme Soixante-Deux comme le nomme l’historienne, laisse entrevoir le chevauchement de deux mondes. 

Il y a l’ordre ancien qui se retire dans le fracas des bombes de l’OAS, comme on éructe son dernier souffle, et il y a l’ordre nouveau qui prend furtivement sa place dans une effervescence folle. La transition sera tout sauf douce, et cela n’a rien d’étonnant puisqu’il est question de démanteler une infrastructure coloniale vieille de 132 ans. 

En dernière analyse, c’est ce mouvement total de démantèlement de l’infrastructure d’un empire colonial en fin de vie que Malika Rahal s’est attelée à documenter et à disséquer avec une précision d’horloger, en s’intéressant à ce que cette dislocation fait au territoire, aux communautés, aux corps et au temps. «L’année est classiquement scandée par trois moments principaux, les mieux connus»,  note-t-elle. Sur une frise chronologique, la chercheuse a inscrit les temporalités nodales qui forment le fil rouge calendaire de cette révolution. Mars, juillet, septembre. «Ces trois moments délimitent quatre périodes distinctes et esquissent l’histoire la mieux connue de l’année 1962, principalement institutionnelle et politique. 

Cette histoire cache toutefois des expériences largement ignorées : celles du quart de l’ancienne population colonisée qui vivait dans des camps de concentration de population dont les portes s’ouvrent à partir du cessez-le-feu ; celles des quelque 300 000 réfugiés algériens au Maroc et en Tunisie qui rentrent, en mai et juin 1962, au cours d’une opération humanitaire de grande ampleur, en franchissant les frontières minées. Et nous ignorons encore presque tout des modalités de la démobilisation de l’ALN ou de la recherche des disparus à partir du cessez-le-feu. Même les festivités de l’Indépendance, pourtant photographiées, filmées et racontées par de nombreux témoins, demeurent mal connues, de même que les expériences des combattants algériens liées à la sortie de guerre, phénomène très étudié dans d’autres contextes», explique l’historienne. 

La violence furieuse de l’OAS

Ce qui frappe d’emblée à la lecture du livre de Malika Rahal, c’est qu’il nous fait prendre conscience que si, sur le papier, la temporalité immédiate de 1962 signe l’épilogue de la Guerre de libération nationale et avec elle le crépuscule de l’ordre colonial, cette fin s’est paradoxalement accompagnée d’une violence inouïe. 

Le terrorisme de l’OAS est d’une ampleur telle qu’on a le sentiment que c’est une autre «guerre d’Algérie» qui commence après le Cessez-le-feu, de quoi menacer sérieusement cette «si jeune paix» pour paraphraser le film de Jacques Charby. «La lecture des rapports d’observateurs étrangers présents en Algérie durant cette période est édifiante : pour le consul des Etats-Unis comme pour les délégués du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), il ne fait aucun doute que le phénomène majeur et le plus angoissant dans l’ensemble de l’Algérie, en 1962, est la déferlante de l’OAS. Aux yeux de ces observateurs, le plus inquiétant est que cette vague risque de faire échouer le processus de paix et de faire sombrer de nouveau le pays dans une guerre dont il n’est pas encore sorti», rapporte l’autrice. 

Le livre nous fait découvrir en même temps l’organisation exceptionnelle qui se met en place dans les quartiers pour contrer le déchaînement de violence des Ultras de l’Algérie française et la discipline épatante dont les Algériens vont faire preuve. Dans une section du livre intitulée La petite Algérie de Fontaine Fraiche, Malika Rahal cite l’exemple de ce quartier qui surplombe Climat de France, sur les hauteurs de Bab El Oued, où les habitants se prennent en charge de façon remarquable, que ce soit pour assurer la sécurité du quartier, distribuer le ravitaillement, prodiguer des soins, donner des cours aux écoliers ou encore en mettant sur pied un atelier de confection de chaussures ou de mécanique auto «pour occuper les gens». 

Elle a évoqué longuement aussi les cliniques clandestines qui ont été créées pour échapper aux tueurs de l’OAS qui poursuivaient les Algériens jusque dans les hôpitaux pour les achever. «Dans les quartiers ou les zones délaissés par les autorités françaises, les initiatives visant à l’auto-organisation se multiplient dans le contexte d’urgence créé par la violence : outre les exploitations agricoles et les usines, la santé, la sécurité et l’éducation, dans ces quartiers désormais isolés, sont organisées par les habitants eux-mêmes. Les témoins mentionnent tous la bonne volonté, l’impression d’être collectivement capables de réaliser des miracles au milieu du chaos grâce à l’organisation et la discipline», fera-t-elle remarquer. 

La directrice de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS) a répertorié patiemment un grand nombre de gestes civiques qui vont participer de cette façon à la restauration de l’Etat algérien par le bas. «Tout se passe comme si les Algériens créaient leurs autorités avant-même que le GPRA ne rentre en Algérie. Et c’est assez beau à voir, car cela signifie qu’à ce moment-là, l’Etat algérien pouvait être tout le monde», nous dira-t-elle dans l’entretien qu’elle nous a accordé (voir interview). 

Parallèlement à cette formidable aventure sociale, l’historienne n’oublie pas de rendre compte de façon toute aussi méticuleuse de l’architecture institutionnelle qui se dessine progressivement, sans omettre de signaler les tensions auxquelles cette édification exaltée va se heurter, en raison notamment des rivalités de pouvoir entre frères de la même cause. 

        ( Une délégation du GPRA à Beni Maouche (Béjaïa)

 

De l’ALN à l’ANP

L’autrice de Ahmed Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne va s’intéresser en outre à la manière dont sera organisée la «sortie de guerre» pour des milliers de combattants qui reviennent des maquis. Les évaluations divergent quant aux effectifs de l’ALN en 1962. «Le politiste William Zartman évalue les moudjahidine de l’intérieur à 15 000, auxquels il ajoute 50 000 à 100 000 mousabbiline et fidayyine, alors que, rappelle Amar Mohand-Amer, en septembre 1962, Ben Bella estime l’ALN de l’intérieur à 8000 à 10 000 hommes avant le cessez-le-feu ; le commandant Ahcène Mahiouz, membre du conseil de la wilaya 3 évoquant, pour sa part, moins de 12 000 hommes pour tout l’intérieur. Malgré une marge d’erreur significative, le chiffre de 10 000 combattants de l’ALN de l’intérieur constitue une approximation grossière, mais plausible, alors que le nombre de fidayyine est plus incertain encore», indique l’historienne. 

Décryptant les raisons profondes du conflit armé qui allait opposer une partie des wilayas ALN de l’intérieur à l’armée des frontières du colonel Boumediène, l’historienne insiste sur le fait que l’un des enjeux majeurs de ce conflit, c’est les conditions de la démobilisation des moudjahidine et le devenir des combattants qui aspirent à une vie digne, et dont une bonne partie demande une reconversion honorable dans les rangs de la nouvelle armée en construction : l’ANP. Pour apaiser les tensions et désamorcer le spectre de la guerre civile qui menace la nation fraîchement libérée des griffes du colonialisme, des négociations sont engagées avec les wilayas frondeuses. 

«Durant le mois d’août, la presse algérienne se fait l’écho des négociations entre les wilayas et le bureau politique (soutenu par l’état-major général de Boumediène) : la reconversion, désormais entendue comme l’intégration des unités des wilayas dans le corps de l’armée, est au centre des discussions et se négocie wilaya par wilaya » assure l’autrice. «Le 10 août, dans une conférence de presse, Mohamed Khider affirme, au nom du bureau politique, l’urgence de cette reconversion. L’ALN doit devenir, selon lui, le noyau de l’armée populaire à venir, «après la démobilisation de tous ceux qui ne veulent pas faire carrière», ajoute-t-elle. «Les affrontements du mois de septembre à Alger, poursuit Malika Rahal, ont pour enjeu les conditions de la reconversion de la wilaya 4. 

Les conflits parfois durs, notamment lorsque la colonne menée par Houari Boumediene arrive à Boghari, aboutissent à des négociations entre la direction de la wilaya 4 et Mohamed Khider en vue du démantèlement de la wilaya». «La poursuite de la reconversion fait partie des priorités du nouveau gouvernement investi fin septembre. Alors que l’État est désormais «rétabli dans la plénitude de ses droits» et que «le travail d’édification va commencer, la liste des urgences comprend, outre l’organisation de la rentrée des classes, l’alphabétisation des masses, le rétablissement de la sécurité, la relance économique, et la reconversion de l’armée», énumère la chercheuse.  

La première rentrée scolaire de l’indépendance

Cette restructuration de l’ALN sur fond de tensions fratricides, si elle accapare l’énergie des nouvelles autorités, d’autres chantiers autrement plus urgents attendent le jeune Etat algérien. Un défi majeur va se poser d’emblée au gouvernement Ben Bella : comment faire tourner le pays alors que l’Algérie manque cruellement de personnel, dans tous les secteurs, après le départ massif des cadres français ? 
Dès lors, un effort colossal va être consenti en matière de formation, nous dit Malika Rahal, pour créer de la ressource humaine, et ce, dans tous les domaines. 

C’est une aventure épique qui est étrennée, presque aussi ardente que celle du combat libérateur. Alors que les départements ministériels n’ont pas fini de prendre leurs marques en ce mois de septembre 62 qui déboule comme une tempête, la première rentrée scolaire de l’indépendance est déjà aux portes. 

C’est le premier grand test du gouvernement, et c’est un symbole fort. Il n’est donc surtout pas question de rater cette épreuve. Malika Rahal relate cet épisode en ces termes : «A la rentrée 1962, l’Etat qui vient à peine de naître doit faire la démonstration de sa capacité à accueillir les élèves et les étudiants. 

La rentrée scolaire, finalement fixée au 15 octobre, constitue un premier défi. Tant que le caractère définitif de l’exode n’est pas établi, les appels en direction des enseignants français se multiplient pour qu’ils restent ou reviennent. Le rattrapage des examens s’organise pour tous ceux dont les épreuves ont été annulées en juin. En octobre, les écoles utilisent la presse pour communiquer avec leurs élèves au sujet des modalités d’inscription. 

Les inspections académiques recrutent à toute force des enseignants alors que le stage de formation accélérée de la Bouzaréah qui prépare d’urgence des instituteurs se termine par la tenue d’une cérémonie en présence de Ferhat Abbas et plusieurs ministres. Cinq cents stagiaires ont été formés, hommes et femmes à parité dont la moitié sont arabophones.

 La rentrée de l’automne 1962 est symbolique, car la revendication d’accès à l’enseignement public avait été centrale dans le mouvement nationaliste depuis plusieurs décennies. L’enjeu principal est de trouver suffisamment d’enseignants formés. A la veille de la rentrée, on estime que 18 000 instituteurs sur 23 500, 1400 professeurs sur 2000 et presque tous ceux de l’enseignement supérieur ont quitté le pays».

Dans cet autre passage, l’historienne résume toute la frénésie de cette époque chaotique et enivrante à la fois où tout était à reconstruire : «A partir de l’indépendance, à l’instar de la reconversion opérée par l’armée, il s’agit de créer une santé publique et un système d’enseignement à partir d’initiatives locales et de ce qui reste des structures coloniales. 

Pour cela, il faut recruter et former une population d’agents du service public. Ces intégrations rapides d’anciens membres d’associations, d’anciens combattants, de tous ceux qui disposent d’un minimum d’instruction au corps des fonctionnaires, posent la question de savoir qui est cet Etat qui s’arroge le pouvoir que donne la politique des corps. La reconversion, cette sortie de la guerre et de la clandestinité vers la légalité de l’Etat, et l’insoluble difficulté posée par le manque de formation, obligent ceux qui travaillent et travailleront dans les secteurs clés et qui constituent l’Etat à continuer de réaliser des miracles».

Quand le deuil se mêle à l’euphorie

Mais 1962, c’est avant tout le temps des retrouvailles. Alors que les festivités battent leur plein en ces jours fiévreux de juillet 1962, ce qui va décupler cette euphorie, c’est, de fait, les retrouvailles avec ceux et celles qu’on avait perdu de vue depuis le début de la Guerre de libération, voire avant. Retrouvailles d’abord avec les Moudjahidine qui reviennent des maquis, et on imagine l’émotion de leurs proches. On imagine leur bonheur intense d’accueillir leurs héros, de les enlacer avec la sensation irréelle de serrer un corps miraculeusement vivant. 

De savoir qu’ils sont littéralement revenus de l’enfer amplifie l’allégresse. Joie également de retrouver les proches libérés des geôles du colonialisme, car après l’entrée en vigueur des Accords d’Evian, les militants incarcérés retrouvaient la lumière, certains ayant échappé de justesse à une exécution après leur condamnation à mort. Les libérations concernaient aussi les populations enfermées dans les camps de regroupement. 2 350 000 personnes, dit Malika Rahal, déracinées, assiégées, cantonnées dans des ghettos entourés de barbelés. 

Il faut citer par ailleurs le retour des réfugiés, soit près de 300 000 personnes qui rentraient au bercail après avoir enduré les affres de l’éloignement massés dans des camps du HCR en Tunisie et au Maroc. Mais tous les combattants qui ont pris le maquis ne reviendront pas. 

Et un grand nombre des militants enlevés par les parachutistes français pendant la «Bataille d’Alger» disparaîtront pour toujours et leur corps ne sera jamais rendu à leurs familles par l’armée française. Ainsi, pour énormément de familles, 1962, c’est une joie tronquée. 

Un sourire amputé. Car il y a forcément quelqu’un qui manque à l’appel. «Les déplacements facilités par le cessez-le-feu et la démobilisation de 1962 favorisent la circulation des personnes et des nouvelles. Les proches apprennent des décès parfois anciens, ou recueillent enfin des informations sur leurs circonstances. Pendant que certaines familles font l’expérience de la joie des retours, d’autres vivent des deuils retardés par la guerre ; d’autres encore s’apprêtent à rentrer dans le «chagrin sans fin» causé par la disparition. 

Le cessez-le-feu qui permet de retourner dans sa région, ou dans son village d’origine, permet aussi de parcourir les régions où ont eu lieu les combats, avec l’espoir d’y trouver les dépouilles, de marquer les tombes, de les rassembler pour donner toute leur place aux morts. Des familles se lancent alors dans une quête des morts dont certaines durent encore aujourd’hui » écrit Malika Rahal. «Allah Yerham Echouhada».

Par Mustapha Benfodil

 

 

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