Care analyse les dispositions sur la régularisation du commerce du cabas : «Le texte a besoin de maturation»

03/07/2025 mis à jour: 02:18
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( Dessin : le Hic )

Tout en saluant le décret permettant de «formaliser» l’activité de micro-importation, «dans un environnement légal et sécurisé», le cercle de réflexion CARE alerte, toutefois, sur certaines limites qui risquent de freiner ce processus de régularisation. 

Le 29 juin dernier, le décret exécutif portant encadrement du commerce de la micro-importation, plus connu sous le vocable commerce du cabas, a été publié au Journal officiel en fixant les conditions de l’exercice de cette activité pour tout Algérien ayant atteint l’âge légal pour travailler. Les commerçants du cabas doivent, conformément à ce nouveau texte, résider en Algérie, être affilié à la Casnos, avoir un compte en devise à la Banque extérieure d’Algérie (BEA), disposer d’une carte d’auto-entrepreneur portant mention «micro-importation»,  et obtenir une autorisation délivrée par le ministère du Commerce extérieur. 

En vertu de ce texte, le commerçant du cabas est autorisé à effectuer deux déplacements par mois à l’étranger, importer à chaque fois pour 1,8 million de dinars de marchandises maximum et avec ses propres devises et de déclarer les marchandises à l’avance via une plateforme numérique, avec un étiquetage des produits selon leur origine et la quantité. 

Commentant ces dispositions, le Think Tank Care, souligne le bénéfice d’une comptabilité simplifiée, une dispense de registre du commerce, une dispense d’autorisation d’importation et un droit de douane réduit à 5%. «Le principal mérite de ce décret est de reconnaître officiellement une pratique déjà répandue dans la société depuis de longues  années», indique Care, mais s’interroge toutefois sur la pertinence de certaines dispositions, comme l’obligation du déplacement physique à l’étranger. «Le montant maximal du chiffre d’affaires autorisé mensuellement est de l’ordre de 3,6 millions de dinars, soit pour l’ensemble d’un exercice annuel, quelque 43,2 millions de dinars. Ce montant paraît tout à fait raisonnable et suffisant pour rendre l’activité en question économiquement viable. Il est toutefois difficile de comprendre les motivations derrière cette obligation de 24 déplacements à l’étranger pour importer un bien quelconque», se demande le cercle de réflexion. 

Et d’ajouter : «Il est vrai que l’idée première était celle de normaliser une activité à la limite de la légalité et qui était exercée principalement en marge de déplacements à l’étranger : mais dans la mesure où l’Etat s’engage dans un processus de régularisation organisée et transparente, il n’y a plus lieu de paramétrer cette activité à l’aune de la seule frange de population qui l’exerçait jusque-là.» Pourquoi, suggère Care, «ne pas autoriser comme pour toute marchandise importée, la commande à distance, plus efficace et plus inclusive». Cela permettrait d’ouvrir les portes à «tous les citoyens intéressés sans discrimination d’accès et sans que ces derniers soient à la merci des restrictions de visas que de nombreux pays leur imposent».

Pourquoi limiter l’accès au marché de change officiel ?

Dans l’aspect financement des achats en devises propres sans accès au marché officiel, la note d’analyse de Care avertit qu’une telle disposition risque de pousser les micro-importateurs vers le marché noir. «Pourquoi ne pas autoriser un quota de change officiel et contrôlé, dès lors qu’il s’agit d’une activité qui est reconnue par la loi et dont les conditions de fonctionnement sont strictement encadrées par un texte réglementaire ?» 

Par ailleurs, Care critique l’exclusion par le décret des entreprises formelles de ce canal d’importation, alors qu’il peut leur offrir la possibilité d’importer des intrants essentiels à leur activité. «Pourquoi ne pas leur permettre de créer en leur sein un département de micro-importation qui leur permettrait de bénéficier celles aussi des avantages de ce nouveau cadre réglementaire ?» 

Des chaînes de production sont parfois stoppées par manque d’intrants, pièce de rechange, ou petit équipement essentiel au redémarrage des machines et que le procédé de micro-importation peut rapidement résoudre. «S’il n’y a rien à redire concernant l’objectif légitime de simplifier l’approvisionnement de quelques supérettes en produits d’appel importés pour leur clientèle, il est difficile d’expliquer en quoi celui-ci est plus important que l’approvisionnement de centaines de milliers de PME et TPE productrices de biens et de services essentiels pour le bon fonctionnement de l’économie nationale dans son ensemble», souligne la note de Care. 

Cette dernière suggère également d’élargir le régime fiscal avantageux (droit de douane réduit, simplifications administratives, imposition favorable à 0,5% du chiffre d’affaires annuel) à d’autres structures économiques utiles au pays, à l’image des coopératives, jeunes entreprises et producteurs et même aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 43,2 MDA ? 

Outre ces remarques, la note d’analyse du cercle de réflexion économique considère que la disposition du décret de plafonner le seuil maximal du chiffre d’affaires des micro-importateurs à 43,2 MDA «n’est pas acceptable», car dépassant largement le plafonnement légal du chiffre d’affaires requis par la loi de finances 2023 pour les auto-entrepreneurs et qui est de seulement  5 MDA. «Sur un strict plan légal et par souci du respect de la hiérarchie des normes juridiques (un décret ne peut pas changer une disposition légale), cette disposition requiert un changement préalable de la disposition pertinente de la loi de finances 2023 (article 51)», souligne la même analyse. Ceci et de s’interroger sur la nécessité de l’autorisation délivrée par l’administration, du moment que le décret affiche de «manière claire, transparente et non ambiguë les règles et le cadre d’organisation de cette activité et pose à la base le principe de l’autorisation de son exercice par des auto-entrepreneurs parfaitement déclarés et identifiés».

Interférence de l’administration

Et pourquoi oblige-t-on les micro-importateurs à déclarer dans une plateforme  numérique les marchandises à importer et à l’avance, du moment que la liste des marchandises interdites est clairement affichée ? Care estime qu’il y a un risque réel de voir l’administration interférer indûment dans la gestion des auto-entrepreneurs concernés. «S’il existe un motif quelconque qui justifie ce contrôle préalable dévolu à l’administration du commerce extérieur (ou toute autre administration) il serait nécessaire de le préciser d’une manière ou d’une autre. S’il ne s’agit que de suivi et de contrôle a posteriori, la base de données publiques des douanes algériennes est largement suffisante.» 

Tout en reconnaissant dans ce décret «une avancée incontestable et un pas dans la bonne direction», le cercle de réflexion estime qu’il a besoin «de faire l’objet d’une maturation un peu plus poussée». 
Care considère  le décret doit «s’inscrire dans le cadre d’une vision d’avenir et non d’être enfermé dans une niche étroite qui reproduit à l’infini les errances d’une bureaucratie administrative de plus en plus épuisante, que les pouvoirs publics s’acharnent par ailleurs à combattre». 

L’analyse de Care souligne qu’à «l’ère de la finance mondiale totalement digitalisée, la seule permanence du marché du square Port-Said, illégal mais toléré par la force des choses, est un chancre humiliant qui illustre à lui seul l’étendue des retards de notre système financier et monétaire».  Nadjia Bouaricha
 

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