Alors que Trump se dit non partisan de la guerre, une reprise de force du canal de Panama par les Américains risquerait pourtant de provoquer un conflit dans la région que l’Amérique ne voudrait pas assumer.
Le président américain élu Donald Trump ouvre un nouveau front de guerre commerciale avec la Chine. Après la décision d’augmentation des tarifs douaniers pour les produits chinois, sa nouvelle menace de s’accaparer du canal de Panama vise également à éloigner l’influence chinoise sur cette route maritime facilitant le transport de marchandises entre les deux Amériques. Dans sa stratégie de guerre contre la Chine, Trump n’épargne ni voisins, ni alliés des Etats-Unis.
Le président du Panama, Jose Raul Mulino, a répondu à la menace américaine en affirmant que le canal «restera entre les mains des Panaméens». Mulino insiste en déclarant que «chaque mètre carré du canal de Panama et de sa zone adjacente appartient au Panama et le restera, et la souveraineté et l’indépendance de notre pays ne sont pas négociables». Ceci tout en soulignant que son pays maintiendrait «une relation respectueuse avec le prochain gouvernement américain», rappelant que conformément aux traités signés en 1977, les Panaméens ont retrouvé leur souveraineté sur le canal le 31 décembre 1999.
«Les traités Torrijos-Carter établissaient la neutralité permanente du canal de Panama, garantissant son fonctionnement ouvert et sûr pour tous les pays… toute position contraire étant invalide.» Pour Trump, le canal de Panama représente un «actif national vital pour les Etats-Unis» et son pays n’accepterait plus «les prix exorbitants pratiqués sur les navires américains».
«Le canal restera panaméen !»
Chose à laquelle Mulino rétorque : «Les tarifs sont établis sur la base d’une audition publique, en tenant compte des conditions du marché, de la concurrence internationale, des coûts d’exploitation et des besoins d’entretien et de modernisation de la voie navigable interocéanique.»
Outre les droits de passage, jugés trop élevés, Trump dénonce également une volonté chinoise de prendre le contrôle sur le canal. «C’est seulement au Panama de le gérer, pas à la Chine ou à qui que ce soit d’autre… Nous ne le laisserions ni le laisserons jamais tomber entre de mauvaises mains !» déclarait le nouveau Président élu, qui doit prendre ses fonctions officielles le 20 janvier prochain, en menaçant de la reprise du contrôle de son pays sur le canal «sans discussion» tant que le Panama ne sera pas en mesure de garantir «un fonctionnement sûr, efficace et fiable».
Dans sa réponse ferme et sans détour, le président panaméen a réfuté les accusations de contrôle étranger du passage maritime générant au Panama 20% des revenus du pays. «Le canal n’est sous le contrôle direct ou indirect ni de la Chine, ni de l’Union européenne, ni des Etats-Unis, ni d’aucune autre puissance mondiale.» Le canal, assure le chef de l’Etat, «restera entre les mains des Panaméens en tant que patrimoine inaliénable de notre nation et en garantissant son utilisation pour le transit pacifique et ininterrompu des navires de tous les pays».
Les accusations de Trump seraient motivées par les projets chinois de construction d’envergure au Panama, notamment au niveau des infrastructures portuaires proches du canal. Il s’agit d’un point de passage prisé par les navires américains, d’un océan à l’autre (Pacifique et Atlantique), leur évitant de passer par la pointe australe de l’Amérique du Sud. Alors que Trump se dit non partisan de la guerre, une reprise de force du canal de Panama par les Américains risquerait pourtant de provoquer un conflit dans la région que l’Amérique ne voudrait pas assumer.
Sur le plan juridique, le traité Torrijos-Carter autorise les Etats-Unis à conserver un droit de défense du canal contre toute menace pouvant entraver le caractère de neutralité dans la gestion du canal. Ce qui veut dire que le canal se doit de permettre un passage sans distinction, même en temps de guerre, à tous les navires commerciaux. C’est sur cette clause que Trump axe l’exécution de sa menace, mais devra prouver l’influence chinoise sur la gestion du canal.
Par ailleurs, et avant de mettre à exécution sa menace, Trump est tenu d’avoir l’aval du Congrès et du Senat qui, selon des analystes, et même si leur majorité est républicaine, ne souhaitent pas ouvrir un tel conflit sur le continent américain. Le canal, qui concentre 5% du commerce maritime mondial, a été ouvert en 1914 et représente un point de passage principalement pour les marchandises des Etats-Unis, de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud.
Un passage stratégique pour le commerce maritime
Long de 80 kilomètres, le canal de Panama est un passage maritime reliant les océans Pacifique et Atlantique. Il s’agit de la voie la plus rapide entre les deux océans devant le cap Horn, situé à la pointe australe de l’Amérique du Sud. Pas moins de 15 000 navires (300 millions de tonnes de marchandises) transitent chaque année par ce passage devenu un nœud stratégique du commerce mondial.
L’année dernière, l’activité au niveau du canal de Panama a généré pas moins de 5 milliards de dollars. C’est dire l’importance que peut représenter le contrôle sur ce passage stratégique. Un plan de développement pour la période 2007/2025 a été décidé pour moderniser ce passage, inauguré en 1914 et mis sous le contrôle exclusif du Panama en 1999 en vertu du traité Torrijos-Carter, signé en 1977 entre les présidents panaméen, Omar Torrijos, et américain, Jimmy Carter.
Après l’activité bancaire, le canal représente la plus importante ressource financière pour le Panama. Grâce à ce passage, les armateurs américains réduisent leur trajet pour passer de New York à San Francisco à 9000 km contre 22 000 km s’ils devaient passer par le cap Horn. Ce précieux gain de temps fait de ce passage maritime un point stratégique pour l’économie américaine. Même s’ils ont cédé en 1999 le contrôle sur le canal aux Panaméens, les Américains conservent une priorité de passage pour leurs navires qui commercent avec l’Asie du Pacifique et l’Amérique latine.
Le Japon et la Chine, arrivent derrière comme principaux utilisateurs du canal. Au cours de l’année 2024, le commerce maritime mondial a affiché des pertes importantes au niveau des trois passages principaux que sont le canal de Panama, le canal de Suez et la mer Noire, et ce, pour différentes raisons, notamment climatiques et géopolitiques. A la mi-2024, le trafic passant par le canal de Panama et le canal de Suez a chuté de plus de 50%. Dans le cas du canal de Panama, le faible niveau des eaux dû au climat sec a expliqué les faibles rendements.
N. B.