Cadrer pour réussir : «Poser les fondations d’un projet solide»

30/06/2025 mis à jour: 04:16
1125

La réussite d’un projet public ou privé dépend rarement de la seule volonté politique ou de l’ampleur du budget alloué. Elle repose d’abord sur une étape souvent négligée : un cadrage initial rigoureux, partagé et réaliste. 

En Algérie comme ailleurs, les exemples abondent de projets lancés sur des bases floues, dont les ambitions dépassent la réalité du terrain, la capacité à faire de l’organisation, l’alignement de l’initiative à un axe stratégique identifié et une réponse à une problématique clairement identifié et donc «défendable».
Un bon cadrage agit comme un socle stratégique : il transforme une intention en projet faisable. 

Il permet de formuler clairement les objectifs, de choisir les bons moyens, de définir les responsabilités et de construire une trajectoire lisible. En son absence, les projets dérivent rapidement. Le périmètre change, les délais s’allongent, les équipes s’épuisent, les budgets explosent.

Selon le Project Management Institute, près d’un tiers des projets mondiaux (ce n’est donc pas  une fatalité locale) échouent faute de cadrage clair. Un périmètre mal défini au départ génère inévitablement des conflits d’interprétation de la part des différentes parties prenantes, des ajustements incessants couteux et chronophages et une perte d’engagement collectif.

J’ai le souvenir du projet admirable du kilogramme de viande à 1000 DA censé être accessible à tous les Algériens annoncé pour le ramadan 2022, je crois, j’ai moi-même cherché à identifier les points de ventes via un site web ou application pour smartphone ailleurs que dans les grandes villes, ce fut peine perdue (je vous laisse deviner les frustrations engendrés…).

Le cadrage est trop souvent vécu comme une étape administrative. Pourtant, le cadrage est à considérer plus comme est une boussole stratégique que comme un simple formulaire à cocher. Il ne s’agit pas seulement de produire un document, mais de clarifier une vision partagée, intégrée dans la réalité du contexte en s’assurant que l’initiative en vaut la peine avant d’engager quoi que ce soit.

Une méthode, dite méthode des 7 étapes proposée, permet de structurer efficacement cette phase :

1.Définir le contexte et les enjeux : Comprendre le «pourquoi» du projet, ses motivations, les besoins exacts auxquels il répond, et son contexte général.

2. Identifier les parties prenantes : Déterminer toutes les personnes ou groupes concernés par le projet, leurs rôles, leurs attentes, leurs besoins, leurs attentes et leurs responsabilités éventuelles 
3. Définir les objectifs et les résultats attendus : Enoncer clairement les objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporellement définis) du projet et les résultats concrets chiffrés et mesurables que le projet doit produire. 

4. Elaborer le périmètre du projet : Définir précisément ce qui est inclus et exclu du projet, ce qui permettra de délimiter sa portée, d’éviter les dérives et de gérer les attentes. 

5. Identifier les risques et les contraintes : Anticiper le plus tôt possible les problèmes potentiels, les obstacles et les limites (budgétaires, temporelles, techniques, etc.) qui pourraient entraver le bon déroulement du projet, et ce, avant le lancement formel de la phase exécution du projet. 

6. Etablir le budget et les ressources : Déterminer les coûts prévisionnels, les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour mener à bien le projet afin de vérifier la capacité de l’organisation à le faire. 

7. Planifier les étapes clés et les livrables : Décomposer le projet en tâches, établir un planning et un budget réalistes, identifier les livrables attendus à chaque étape, et prévoir les moyens de suivi et de contrôle. 

Un exemple concret d’amélioration visible en Algérie concerne la numérisation du suivi des demandes de passeport biométrique. Depuis l’introduction du portail numérique du ministère de l’Intérieur, les citoyens peuvent suivre en ligne les différentes étapes de leur demande, réduisant considérablement les déplacements, les files d’attente et les tensions dans les daïras.

Autre réussite discrète mais notable : l’évolution de la plateforme numérique du ministère de la Justice, permettant désormais le dépôt de certaines demandes à distance, la consultation d’audiences et la gestion électronique de dossiers. Ces projets ont été cadrés progressivement, avec une définition claire des services cibles et des phases d’expérimentation locale.

Ce que montrent ces deux cas, c’est qu’un projet peut réussir s’il est ancré dans un besoin identifié, piloté avec méthode, et réajusté au fil du temps avec les retours utilisateurs.

A l’inverse, l’absence de cadrage initial a engendré de nombreux échecs. Un exemple évoqué par les inspections générales de wilaya est celui d’infrastructures sportives ou culturelles construites sans consultation des usagers ni plan d’exploitation réaliste. Certaines structures restent fermées des années, faute de personnel, de convention de gestion ou de raccordement aux réseaux.

Pensez-vous que l’initiative dite des locaux du président (100 locaux par commune) était un mauvais projet ?

Assurément non, l’initiative étant même très bonne, mais encore eut-il fallu la cadrer et l’adapter au regard des grandes disparités de besoins d’une commune à l’autre, ce qui ne fut malheureusement pas le cas.
Il suffit de constater le devenir actuel des locaux en question et la gabegie qui s’en est suivi pour s’en assurer.

Un autre exemple concret a été évoqué dans une dépêche de l’APS à la suite d’une inspection à Annaba : plusieurs infrastructures sportives livrées (salles omnisports, petits stades) sont restées inexploitables, faute de convention de gestion, de personnel qualifié ou même de raccordement aux réseaux. Ces situations traduisent une absence de plan d’exploitation en amont et illustrent les effets directs d’un cadrage initial bâclé. (Source : APS, Annaba, 2023)

Il est intéressant de noter, en parlant de plan d’exploitation, que ce dernier fait l’objet d’une section entière lors de l’élaboration de la charte de projet à la phase initiation d’un projet, section matérialisant un plan de transition afin de garantir justement que les résultats attendus du projet seront adoptés et utilisés efficacement afin de maximiser la valeur ajoutée attendue.

Cette charte projet étant elle-même validée par le commanditaire et/ou un comité afin que le projet passe à la phase planification, clin d’œil ici à la dimension gouvernance nécessaire et indispensable à la réussite des projets.

À l’inverse, certains projets ont montré l’intérêt d’une véritable démarche participative. L’exemple de l’aménagement de la placette Ben Boulaïd à Alger, en 2014, est souvent cité : le projet a été conçu avec l’implication des comités de quartier, de la mairie d’Alger-Centre, et d’étudiants en architecture. 

Cette concertation des principales parties prenantes ayant permis une meilleure identification des besoins dès le départ et non en cours de route, la réduction des résistances et une appropriation citoyenne forte dès le début. (Source : Revue Insaniyat – Approche participative dans l’aménagement des places publiques, 2018). Ce document n’a donc pas vocation à complexifier le projet, mais bien à le stabiliser. Il constitue de ce fait le socle de toute gouvernance efficace.

Revaloriser cette phase de cadrage, c’est donc sortir d’une logique de production rapide de livrables mal définis, et investir dans la durabilité. C’est poser les bases d’un pilotage rationnel afin d’éviter le désengagement des parties prenantes, le gaspillage des ressources, et la saturation des équipes.

L’implication des parties prenantes dès le début est également une condition-clé de réussite. Trop souvent, les usagers finaux, les collectivités locales ou les représentants des secteurs concernés ne sont consultés qu’en aval, une fois les grandes décisions prises avec un risque de rejet et/ou de résistance. À l’inverse, certaines wilayas ont expérimenté des démarches plus participatives, notamment dans le domaine de l’aménagement urbain. 

Ces approches, bien que perfectibles, ont permis d’identifier des besoins réels, de lever des résistances, et de renforcer l’adhésion au projet dès les premières phases.

Enfin, il convient de souligner que le cadrage ne se limite pas à la phase amont du projet : il doit être réévalué régulièrement à mesure que le contexte évolue. 

Dans un environnement institutionnel en mutation rapide, le fait de revoir et de réévaluer périodiquement les hypothèses de départ avec la contribution active des parties prenantes pertinentes (identifiés à la suite d’une véritable analyse de ces derniers) permet d’ajuster le cap sans perdre de vue les objectifs fondamentaux.Les exemples récents de la justice, des passeports, du ciment ou de l’agriculture le prouvent : lorsque l’on prend le temps de cadrer, d’écouter, de clarifier avant de lancer quoi que ce soit, le projet avance. Lentement parfois, mais sûrement.

Dans notre prochain article, nous verrons pourquoi l’absence de gouvernance claire – entre silos, chevauchements d’autorité et pilotage éclaté – constitue le deuxième grand facteur d’échec de nos projets publics.

Par Mourad Zerhouni

 Conseiller en gestion

Copyright 2025 . All Rights Reserved.