Selon la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), « le réseau utilisait 30 sociétés-écrans immatriculées dans différentes wilayas, sans activité réelle, pour générer de fausses factures »
Le Service Central de Lutte contre le Crime Organisé (SCLCO) de Saoula (Alger) vient de porter un coup historique à la criminalité économique en Algérie. Bilan de cette opération d’envergure : 47 individus ont été arrêtés et 24 milliards de centimes, issus de factures et de transactions fictives, ont été récupérés.
Parallèlement, les enquêteurs ont procédé au gel de 78 milliards de centimes sur divers comptes bancaires, empêchant tout détournement ultérieur. Les investigations du SCLCO ont également permis la saisie d’actifs estimés à 400 milliards de centimes, comprenant 500 camions poids lourds, bulldozers, véhicules légers, ainsi que des terrains, villas et appartements situés à Alger et dans plusieurs grandes wilayas.
Selon la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), « le réseau utilisait 30 sociétés-écrans immatriculées dans différentes wilayas, sans activité réelle, pour générer de fausses factures. Ces entités servaient à masquer des transferts d’argent illicites, estimés à 24 milliards de centimes récupérés directement, et à blanchir des fonds via des investissements immobiliers et industriels. La traçabilité des transactions a permis de remonter jusqu’aux comptes bancaires gelés, estimés à 78 milliards de centimes, ainsi qu’aux actifs mobiliers et immobiliers saisis».
L’efficacité de l’opération a été renforcée par la collaboration entre la police judiciaire, les services des douanes, les institutions bancaires et le pôle pénal économique. Cette synergie a permis de croiser les données fiscales, les registres du commerce et les signalements bancaires, révélant des incohérences dans les déclarations d’activités des sociétés fictives.
« L’absence de locaux physiques ou de personnel pour ces entreprises a alerté les enquêteurs, conduisant à des perquisitions ciblées. Les enquêteurs ont décrypté un mécanisme de recyclage d’argent impliquant des prête-noms et des investissements dans des secteurs économiques stratégiques. Les fonds frauduleux étaient injectés dans des projets immobiliers et des acquisitions d’équipements industriels, donnant une apparence légale à des activités criminelles », explique la même source.
Retracer les circuits financiers
Le SCLCO a collaboré avec des experts-comptables pour retracer les circuits financiers, identifiant des transferts internationaux suspects et des montages complexes visant à échapper aux contrôles. Il a également tiré parti des enseignements d’opérations passées, comme le démantèlement en 2022 du réseau TransRoute, un système de blanchiment via 500 camions, ou encore en 2024, la saisie de 32 kg de métaux précieux. Ces succès antérieurs ont permis d’affiner les protocoles d’enquête, notamment en matière de surveillance des créations d’entreprises et de vérification systématique des adresses déclarées. Un ancien magistrat spécialisé a souligné « l’importance de systèmes automatisés de surveillance des transactions, désormais intégrés aux méthodes du service ». Les suspects font face à des accusations graves : « blanchiment d’argent », « fraude fiscale », « faux et usage de faux ».
Ce succès illustre l’efficacité d’une approche multidimensionnelle associant renseignement financier, coopération institutionnelle et outils juridiques actualisés. Toutefois, les experts insistent sur « la nécessité de renforcer les contrôles préventifs, comme la vérification obligatoire des adresses des entreprises et l’harmonisation des bases de données entre banques et fiscalité ».
Cette opération met en lumière la sophistication des réseaux criminels qui exploitent les failles administratives et réglementaires pour blanchir des fonds à grande échelle, menaçant la stabilité économique et la confiance dans les institutions. La saisie d’actifs matériels et immobiliers montre aussi que la criminalité économique ne se limite pas à des flux financiers, mais s’ancre dans l’économie réelle, rendant la lutte encore plus complexe.
Pour l’Algérie, il s’agit d’un défi majeur qui nécessite un renforcement continu des capacités techniques, juridiques et opérationnelles, ainsi qu’une coordination accrue entre les différents acteurs nationaux et internationaux. La mise en œuvre des recommandations législatives récentes et la modernisation des outils de surveillance financière sont des leviers essentiels pour contrer ces pratiques. M-F.Gaidi