A Doha, trois gros poissons suspendus devant la foule, les écailles luisantes sous le soleil, marquent la fin du festival de pêche traditionnelle du Qatar, un rendez-vous annuel patrimonial du riche Etat gazier.
Les deux hamours, un genre de mérou aux taches brunes, et le thazard, une espèce locale de maquereau - pesant chacun près de 10 kg - sont les plus gros poissons pêchés durant la semaine de compétition. Le festival «Senyar» ou «voyage en mer», dont la 11e édition s’est achevée vendredi, vise à faire connaitre cette pratique ancestrale aux jeunes générations et renouer avec le passé du petit émirat, dont le PIB par habitant est aujourd’hui l’un des plus élevés au monde.
Selon la tradition, les membres des 54 équipes participantes doivent pêcher à l’aide de simples lignes tenues à la main, passant plusieurs jours à bord de boutres, des bateaux en bois qui sillonnent les eaux du Golfe depuis des siècles.
«La sensation était incroyable», raconte à l’AFP Mohammed Al Hail à son retour de quatre jours en mer pour célébrer la fin de la compétition avec ses amis et sa famille au village culturel Katara, un lieu dédié à l’art et à la préservation du patrimoine. «Ils ont été notre soutien», dit cet officier de la marine qatarie en montrant la foule, tandis que de jeunes garçons, vêtus de la tenue traditionnelle blanche, comparent leur taille à celle des poissons exposés.
Le souvenir du travail en mer
Des prix sont décernés pour les plus gros poissons, mais la distinction la plus recherchée est celle qui récompense à la fois le nombre, la qualité et la variété des poissons attrapés, selon un système de points valorisant surtout le hamour et le thazard.
Le travail en mer, dominé par la plongée perlière et la pêche, était la principale source de revenus des Qataris jusqu’au développement de la culture des perles artificielles, qui ont inondé le marché dans les années 1920, et le début de l’exploration et du forage pétroliers dans les années 1930 et 1940.
Mohammed Al-Hail et son coéquipier Mohammed Al-Mohannadi obtiennent la huitième place du classement. «Je me sens bien, mais je ne suis pas très heureux de mon résultat, j’espérais être premier», réagit Mohammed Al-Mohannadi. «Mais inchallah (si Dieu le veut) lors de la prochaine compétition, nous aurons un bon résultat.»
Au départ, quatre jours plus tôt, les bateaux s’étaient dispersés dans les eaux azurées du Golfe, à environ cinq kilomètres au large des sables du désert au sud de la capitale qatarie. A bord du «Lusail», Youssuf Al Mutawa, dont l’équipe de 12 personnes participe à la compétition pour la deuxième année consécutive, explique que les lignes sont réglées pour profiter d’une accalmie du vent en milieu de matinée. «Lorsque le vent tombe, les gros poissons remontent», affirme-t-il.
Une «vie différente»
L’homme de 55 ans, employé par la ville nouvelle de Lusail, raconte que son père faisait du commerce à l’aide d’un petit boutre en bois jusque dans les années 1940. Il «travaillait entre le Qatar et le Koweït, prenant de la nourriture là-bas et la ramenant ici». Mais un jour, le bateau a fait naufrage à cause de vents violents, poussant son propriétaire à rejoindre l’industrie pétrolière alors naissante. «Aujourd’hui, nous voyons cette vie différente (...) comment ils mangeaient, comment c’était difficile pour eux», dit Youssuf Al Mutawa, dont les fils ont aussi participé à la compétition les années précédentes.
Ali Almulla, lui, est venu de l’émirat voisin de Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour défendre les couleurs de l’équipe du Lusail pour la deuxième année. «C’est bien que les jeunes générations soient conscientes de ce que nos grands-pères faisaient à l’époque.» «On tient ça de notre père, de notre grand-père et ainsi de suite. Mon grand-père plongeait pour trouver des perles», raconte-t-il. Ali Almulla affirme avoir participé à plusieurs compétitions de pêche sportive dans la région du Golfe, certaines utilisant des techniques modernes et d’autres traditionnelles, comme le «Senyar». «Gagner, c’est bien, mais nous sommes ici pour nous amuser.»