Au Liban, des arbres millénaires menacés par l’abattage illégal

02/02/2023 mis à jour: 18:15
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Chaque nuit à Aïnata, dans les montagnes libanaises, une dizaine de volontaires patrouille pour surveiller les vastes hectares d’arbres centenaires menacés par la coupe illégale de bois, un phénomène croissant au Liban. «Près de 150 chênes multicentenaires ont été coupés» depuis début 2022, affirme Ghandi Rahmé, un policier municipal de ce village enneigé niché à 1700 mètres d’altitude. Il montre les énormes troncs, seuls vestiges des arbres sauvagement coupés par des trafiquants qui viennent dans la nuit, loin des regards, équipés de véhicules tout-terrain et de tronçonneuses. La municipalité de Aïnata, située entre le Liban nord et la plaine orientale de la Békaa, comme d’autres localités libanaises, accuse des bandes organisées de couper des arbres multicentenaires tels que le chêne ou le genévrier, pour se livrer au trafic lucratif du bois. «Ce sont des Libanais de régions environnantes», parfois «accompagnés d’ouvriers syriens», affirme Ghandi Rahmé, un quadragénaire à la barbe touffue qui a pris des contrevenants en flagrant délit en septembre. Le trafic s’est aggravé avec la crise économique qui paralyse le Liban depuis 2019: l’Etat étant en faillite, les gardes forestiers, comme l’ensemble des forces de sécurité, n’ont plus les moyens d’effectuer assez de patrouilles. «Les massacres commis sont effrayants», déplore Samir Rahmé, un agriculteur d’une soixantaine d’années de Aïnata. Face à cette situation, des donateurs, pour la plupart des Libanais de la diaspora originaires de Aïnata, se sont cotisés pour financer une équipe de gardes forestiers. Depuis la mise en place de patrouilles nocturnes, «on n’a plus constaté un seul cas d’abattage illégal», se réjouit Samir Rahmé. Les habitants soulignent que lorsque ces arbres sont coupés de manière illégale, ils ne repoussent plus. Mais toutes les municipalités n’ont pas le luxe de recevoir une aide financière pour embaucher des gardes forestiers, même temporaire. «Le budget que nous octroie l’Etat est devenu dérisoire», affirme Ghassan Geagea, maire du village voisin, Barqa. Même s’il envisage de demander aux habitants de financer les patrouilles, le maire doute de l’efficacité d’une telle démarche, «vu l’ampleur du phénomène». Car les contrevenants sévissent dans les hauteurs éloignées de Barqa, où des genévriers millénaires ont été abattus. Au Liban, la surface forestière, déjà rongée par l’urbanisation croissante et les incendies, recouvre 13% du territoire, selon le ministère de l’Agriculture. Et pour permettre aux habitants de se chauffer l’hiver, seul l’élagage des arbres «malades» est autorisé, avec une supervision de la mairie du village. Paul Abi Rached, président de l’ONG Terre Liban, a récemment sonné l’alarme en dénonçant la multiplication des «massacres écologiques», notamment l’abattage de genévriers, à travers le Liban. Selon le ministère de l’Environnement, le pays abrite les plus importantes forêts au Moyen-Orient de cet arbre millénaire, ainsi que des forêts de pins, chênes, cèdres et sapins. Le genévrier est «l’un des seuls arbres qui peut pousser en haute altitude et retenir la neige pour que l’eau s’infiltre dans les nappes phréatiques», indique M. Abi Rached. Mais depuis quelques années, son bois est de plus en plus convoité par des contrebandiers soupçonnés par des habitants de le revendre au Liban et en Syrie. «Si on n’arrête pas l’abattage du genévrier, on se dirige vers des pénuries d’eau et la sécheresse», prévient-t-il.

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