Moins d’une semaine après son intronisation officielle à la tête de l’Etat syrien lors d’un congrès qui s’est tenu le mercredi 29 janvier à Damas et qui a réuni les factions armées, le troublant Ahmad Al Charaa, affublé du titre de «président par intérim», a effectué dimanche sa première visite officielle.
Et c’est l’Arabie saoudite qu’il a choisie comme destination. Un choix qui fait doublement sens, l’Arabie saoudite étant un poids lourd à même d’aider la Syrie à relancer son économie et aussi à sortir de son isolement international, sachant que Riyad milite pour la levée des sanctions qui continuent à peser sur Damas.
La destination choisie fait également sens pour Ahmad Al Charaa pour une raison, disons un peu plus personnelle cette fois, puisque le nouveau président syrien est né à Riyad. Récemment, il déclarait dans une interview accordée à la chaîne Al Arabiya, propriété des Saoudiens : «Je suis né à Riyad et j’en suis très fier. Je suis passionné par l’Arabie saoudite et il me tarde d’y retourner.» Le désormais ancien combattant, qui a troqué sa tenue de guérillero djihadiste contre un élégant costume-cravate, est arrivé dimanche à Riyad pour une visite de 48 heures.
Il était accompagné de son ministre des Affaires étrangères Assaad Al Chibani. Le leader syrien a été reçu hier par le prince Mohammad Ben Salman. D’après l’agence de presse saoudienne SPA (Saoudi Press Agency), au cours de la rencontre, «les deux hommes ont discuté des derniers développements en Syrie et des moyens de soutenir la sécurité et la stabilité dans ce pays. Ils ont également discuté des relations bilatérales entre les deux pays frères et des possibilités de les renforcer dans divers domaines».
L’agence syrienne Sana a précisé, de son côté, que parmi les dossiers inscrits au programme des discussions «la levée des sanctions économiques contre la Syrie et la reconstruction».
Ahmad Al Charaa et la délégation qui l’accompagnait ont visité des installations dédiées au numérique. Cela leur a permis de prendre la mesure des «dernières évolutions du développement numérique» en Arabie saoudite, notamment en «visitant le siège de la Saudi Data and Artificial Intelligence Authority (SDAIA)», indique l’agence Sana. Après son entrevue avec le princier héritier, le président syrien s’est envolé pour Djeddah, d’où il a rejoint La Mecque où il a profité de son séjour pour effectuer une omra.
«L’Arabie Saoudite, c’est la locomotive des pays du Golfe»
Il convient de noter que dès la formation du gouvernement syrien de transition, la première visite du nouveau chef de la diplomatie syrienne Assaad Hassan Al Chibani a été pour l’Arabie saoudite. Il faut rappeler aussi que le 12 janvier dernier, l’Arabie saoudite avait accueilli une importante conférence internationale sur la Syrie qui a rassemblé les chefs de la diplomatie de plusieurs pays occidentaux et du Moyen-Orient ainsi que des représentations d’organisations internationales influentes, à l’instar du Conseil de coopération du Golfe.
L’hôte de cette rencontre, le ministre saoudien des Affaires étrangères Faisal Bin Farhan Al Saoud, avait plaidé alors pour la levée des sanctions internationales contre la Syrie. «Le maintien des sanctions imposées à l’ancien régime entravera les aspirations du peuple syrien au développement, à la reconstruction et à la stabilité», avait-il déclaré. Faisal Bin Farhan avait exhorté par ailleurs la communauté internationale à «commencer d’urgence à fournir toutes les formes de soutien humanitaire et économique» au gouvernement syrien.
Dans une interview qu’il nous avait accordée récemment, le politologue et spécialiste du monde arabe Hasni Abidi faisait remarquer : «Ahmad Al Charaa est dans une quête de respectabilité et de légitimité, et cela ne viendra que par les urnes. A défaut, il veut avoir une certaine acceptabilité, à la fois à l’intérieur de la Syrie mais aussi à l’international. Pourquoi cette acceptabilité est importante et primordiale pour lui ? Parce qu’il sait que son pouvoir dépend largement de l’amélioration des conditions économiques et sociales, et politiques aussi, bien sûr, des Syriens. (…) Cette acceptabilité passe d’abord par la levée des sanctions internationales qui frappent la Syrie et par une aide importante.
C’est pourquoi les premières destinations de la diplomatie syrienne, ce ne sont pas les pays voisins immédiats comme la Jordanie ou l’Irak. La première visite officielle à l’étranger du nouveau ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad Al-Chaibani, a été en Arabie saoudite. C’est très significatif parce que les Syriens savent que l’Arabie saoudite est la locomotive des pays du Golfe et le seul pays en mesure de piloter un processus de reconstruction économique.»
Doha insiste sur un gouvernement inclusif
Autre fait significatif à relever : la relation privilégiée qu’entretient le nouveau pouvoir à Damas avec le Qatar. La première visite d’un chef d’Etat étranger en Syrie depuis la chute de Bachar Al Assad le 8 décembre 2024 est celle de l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al-Thani.
Ce dernier s’est rendu jeudi à Damas dès le lendemain de la nomination d’Ahmad Al Charaa comme président par intérim. Au cours de sa visite, le prince Tamim a «insisté sur la nécessité pressante de mettre en place un gouvernement représentant toutes les composantes de la société syrienne afin de consolider la stabilité et avancer dans les projets de reconstruction, de développement et de prospérité», a indiqué un communiqué officiel qatari. «Les nouvelles autorités syriennes s’efforcent de rassurer sur leur capacité à pacifier et réunifier le pays, morcelé par la guerre. Elles tablent sur les riches pays du Golfe pour financer la reconstruction et aider au redressement de l’économie en Syrie, asphyxiée par les sanctions internationales», note l’AFP. «Nous avons discuté d’un cadre global pour l’engagement bilatéral en matière de reconstruction», a souligné le chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Chibani, lors d’un point de presse avec le ministre d’Etat qatari, Mohammed Al-Khulaifi, rapporte l’AFP.
Les discussions ont notamment porté sur «des secteurs vitaux tels que les infrastructures, les investissements et les services bancaires», et sur les premiers jalons d’une «reprise économique», a précisé Assaad al-Chibani. Mohammed Al-Khulaifi a affirmé pour sa part que le Qatar «continuera à fournir le soutien nécessaire à tous les niveaux» à la Syrie, dont «les infrastructures et l’électricité». «Nos projets sont nombreux», a-t-il glissé.
Le Qatar avait annoncé auparavant qu’il allait fournir 200 mégawatts d’électricité et en augmenterait progressivement la production, indique l’AFP. «Selon une source diplomatique, Doha pourrait également financer une hausse des salaires du secteur public décidée par la nouvelle administration syrienne», ajoute la même source. Durant l’offensive contre Bachar Al Assad, le Qatar avait apporté un soutien décisif à l’opposition syrienne conduite par Hayat Tahrir Al Sham. «M. Al Charaa aujourd’hui écoute la Turquie, écoute l’Arabie saoudite et écoute le Qatar.
Ce sont les pays qui ont contribué à sa victoire», relevait Hasni Abidi dans la récente interview mentionnée plus haut. D’ailleurs, la prochaine visite d’Ahmad Al Charaa sera pour la Turquie. Le nouveau président syrien est attendu à Ankara aujourd’hui.