Alors que la caravane «Somoud» est bloquée en Libye : Les autorités égyptiennes empêchent la «Marche mondiale» vers Rafah

14/06/2025 mis à jour: 17:58
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Alors que des milliers de citoyens issus d’une cinquantaine de pays devaient se retrouver jeudi 12 juin au Caire, avant d’entamer le lendemain une marche en direction de la frontière avec Ghaza dans le cadre d’une vaste campagne de solidarité avec le peuple palestinien sous le titre «Global March To Gaza» (Marche mondiale vers Ghaza), cette action semble sérieusement compromise au vu de l’accueil qui a leur a été réservé une fois sur le sol égyptien. 

Des dizaines d’activistes se sont en effet retrouvés interpellés par la police égyptienne à leur arrivée à l’aéroport, leur passeport et leur téléphone confisqués puis carrément séquestrés pendant de longues heures avant de se voir notifier une procédure de refoulement et remis dans le prochain avion à destination de leur pays. 

Un grand nombre de nos compatriotes qui souhaitaient ardemment prendre part à cette marche symbolique, qui devait être entamée depuis la ville portuaire d’El Ariche, à l’est de l’Egypte, vers le poste frontalier de Rafah qui sépare le Sinaï de Ghaza, ont subi le même sort. Des vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux donnent à voir des citoyens algériens enfermés à plusieurs dans des pièces avec leurs bagages et attendant d’être renvoyés à Alger. 

D’autres images montrent un groupe de nos ressortissants sur le tarmac de l’aéroport montant dans un avion sous forte escorte policière. On entend alors nos compatriotes scander : «Ya lil ar, Ya lil ar, ba’ou Ghazza be dollar» (Quelle honte ! Ils ont vendu Ghaza pour des dollars). Un traitement similaire a été réservé à des activistes de différentes nationalités : des Français, des Allemands, des Canadiens, des Turcs… Même ceux qui ont réussi à passer entre les mailles des premiers contrôles à l’aéroport international du Caire ont été rattrapés et arrêtés dans leur lieu d’hébergement au motif qu’il n’étaient pas venus pour le tourisme mais pour la marche. 

Plus de 200 activistes pro-palestiniens interpellés

Le bureau de l’AFP au Caire a indiqué jeudi que «plus de 200 militants de diverses nationalités venus en Egypte pour participer à une marche internationale vers Ghaza ont été interpellés à leur hôtel ou retenus à l’aéroport du Caire». C’est le porte-parole d’un collectif membre de «Global March to Gaza», Seif Abu Kishk, qui a affirmé cela à l’agence française. 

Les ressortissants interpellés ont fait le déplacement des quatre coins du monde. «Des Américains, des Australiens, des Autrichiens, des Hollandais, des Espagnols, des Français, des Marocains, des Tunisiens, des Sud-Africains», énumère Seif Abu Kishk. Le bureau de l’AFP s’est fait également l’écho d’«interpellations de Grecs, d’Algériens et de Colombiens et d’expulsions de Français, d’Allemands et de Belges». «Ce qui s’est passé – les descentes dans les hôtels, les interrogatoires des participants, la confiscation des téléphones, les fouilles des personnes et des bagages à l’aéroport – était complètement inattendu», a déploré Seif. «Deux actions militantes sont prévues, le collectif ‘‘Global March to Gaza’’, à partir de vendredi au départ du Caire, et la caravane ‘‘Somoud’’, un convoi parti de Tunis pour rallier la bande de Ghaza», explique l’AFP. 

La Marche mondiale vers Ghaza revendique quelque 4000 participants inscrits sur sa plateforme issus d’une quarantaine de pays, qui «ont réservé leur vol pour Le Caire», selon les organisateurs. Global March ou La Marche mondiale vers Ghaza est un mouvement civique international autonome. Son initiative consiste à rallier depuis la capitale égyptienne la ville portuaire d’Al Ariche, située dans le nord du Sinaï, à 344 km au nord-ouest du Caire, et de là-bas, entamer une marche à pied sur une cinquantaine de kilomètres jusqu’à Rafah, le point de passager vers Ghaza. 

Le mouvement Global March n’a eu de cesse de répéter qu’il n’avait pas l’intention de forcer le poste-frontière de Rafah pour essayer d’entrer dans l’enclave et qu’il est respectueux de la souveraineté égyptienne. Malgré ces assurances, le gouvernement égyptien s’est montré peu sensible aux arguments des organisateurs, se livrant à une véritable chasse aux marcheurs pro-palestiniens, surtout que l’entité sioniste a «pressé les autorités égyptiennes d’interdire toute ‘‘provocation’’ pro-palestinienne sur son territoire», selon l’AFP. 

«Nos déplacements sont scrutés»

Hier, un autre groupe de militants, qui avaient réussi à entrer en Egypte, a été stoppé dans son élan par les services de sécurité égyptiens. «Une quarantaine de participants de la Global March ont été stoppés à environ 45 km à l’est du Caire, ‘‘retenus en pleine chaleur avec interdiction de bouger’’ et passeports confisqués», indique l’AFP en citant un communiqué de ce collectif, précisant qu’une quinzaine de ses membres «sont retenus dans leurs hôtels au Caire». «Parmi eux, figurent des ressortissants français, espagnols, canadiens, turcs et britanniques», révèle la même source. «Nous n’avons pas enfreint la loi. Nous n’étions pas rassemblés, ni sur une zone interdite», a assuré un participant bloqué sur la route dans une des vidéos adressée à l’agence de presse française. «La violence avec laquelle beaucoup de gens ont été arrêtés, déportés, menacés, est une chose à laquelle on ne s’attendait pas», a déclaré jeudi soir Hichem Al Ghaoui, un des coordinateurs de ce collectif, sur son compte TikTok.L’AFP a fait hier état d’une «première tentative de rassemblement sur la place Talaat Al Harb, au centre du Caire, (qui a été) bouclée par un important dispositif policier» et «a débouché sur une arrestation». 

Une militante qui a fait le déplacement au Caire témoigne à travers un post sur Facebook : «Nos déplacements sont scrutés, nos hôtes identifiés, certaines personnes de la délégation ont été suivies jusqu’à l’hôtel, voire retenues avec confiscation de passeports. La situation évolue d’heure en heure, et il faut naviguer entre vigilance, solidarité et imprévus constants.» 

Un autre groupe d’activistes a livré ce récit édifiant via les réseaux : «Les délégations internationales participant à la Marche mondiale vers Ghaza sont actuellement en route vers Ismaïlia. On s’est répartis en petits groupes et on a pris des taxis pour s’y rendre, dans le respect des consignes locales et de manière pacifique. Mais le régime a donné l’ordre d’intercepter toutes les voitures en chemin. Les passeports des participants ont été confisqués, avec pour objectif de les expulser du territoire.»

Le MAE égyptien s’explique

Le site d’information Blast écrit dans un article mis en ligne jeudi : «Les autorités égyptiennes ne disposant d’aucune liste officielle des participants, elles procèdent à l’arrestation systématique de tous les Français arrivant à l’aéroport du Caire. Une descente de police a également eu lieu dans un hôtel du centre-ville de la capitale égyptienne, le Down Town, où séjournaient des membres de la délégation française. 

Une seconde intervention aurait eu lieu dans un autre établissement. Plusieurs Français ne répondent plus aux appels téléphoniques, ce qui nourrit l’inquiétude des familles et des proches.» Et de noter : «A cela s’ajoute la situation d’un groupe de 36 Algériens, eux aussi retenus à l’aéroport. Certains ont été renvoyés dès ce matin (jeudi, ndlr).» 

Dans un communiqué diffusé mercredi soir, le ministère égyptien des Affaires étrangères a précisé qu’au sujet des «demandes concernant la visite de délégations étrangères dans la zone frontalière adjacente à Ghaza (ville d’Al Ariche et point de passage de Rafah) au cours de la période récente pour exprimer leur soutien aux droits des Palestiniens, l’Egypte insiste sur la nécessité d’obtenir des autorisations préalables pour de tels déplacements. Le seul cadre légal pour les autorités égyptiennes de continuer à examiner ces requêtes est de suivre les dispositifs réglementaires et le mécanisme qui a été mis en place depuis le début de la guerre contre Ghaza, (...)». Le département de Badr Abd El Ati a mis l’accent également sur la nécessité «pour les citoyens de tous les pays de respecter les lois et les règles régissant l’entrée sur le territoire égyptien, y compris l’obtention d’un visa ou d’un permis de séjour à l’avance». 

Le ministère égyptien des Affaires étrangères a insisté en outre sur «l’importance de respecter les dispositions organisationnelles qui ont été mises en place pour assurer la sécurité des délégations en visite dans la région en raison de la situation délicate dans cette zone frontalière depuis le début de la crise à Ghaza».


Les forces de Haftar stoppent le convoi

Parallèlement à ces péripéties en terre égyptienne, la caravane Somoud, qui a démarré le 9 juin de Tunis et à laquelle participent des dizaines de nos compatriotes, est bloquée en Libye, précisément aux portes de la ville de Syrte, et attend toujours le feu vert des autorités de la région pour reprendre sa route. La caravane est entrée mardi sur le territoire libyen. Après avoir passé la nuit de mardi à mercredi à Zawiya, elle a progressé jusqu’à Tripoli, puis Tajourah, Zliten et Misrata, où la caravane s’est arrêtée pour la nuit. Elle a ensuite repris sa route plein est avant d’être forcée de s’arrêter par des militaires libyens près de Syrte. Il faut savoir que la partie est de la Libye est sous le contrôle du maréchal Haftar, un allié de l’Egypte. Tout porte donc à croire que les forces de Khalifa Haftar n’autoriseront pas le convoi à poursuivre son périple jusqu’aux frontières égyptiennes. Hier, le comité d’organisation de la Caravane Somoud a déclaré dans un communiqué diffusé en fin de matinée : «Jusqu’à cette heure, nous n’avons reçu aucune réponse de la part des autorités de l’est de la Libye.» 

Et de rassurer : «Tous les membres de la caravane se portent bien. Leur moral est au plus haut, et ils sont tous unis derrière la direction du convoi et prêts à camper sur place jusqu’à ce que la caravane soit autorisée à passer.» 

Dans un autre communiqué, les organisateurs ont fait savoir : «Nous réaffirmons que notre objectif est de camper au poste-frontière de Rafah et de briser le blocus imposé à Ghaza. Tous les participants ont été préparés et sensibilisés à cet objectif en amont. 

L’arrêt forcé survenu à la porte de Syrte n’était pas prévu dans notre plan initial. Les échanges avec les autorités libyennes se poursuivent afin de finaliser les dispositions nécessaires à la reprise du parcours, dans le respect de leurs besoins et procédures, que nous nous efforçons de satisfaire pleinement, sans jamais compromettre l’objectif fondamental de la caravane : atteindre le point de passage de Rafah.» 

Les organisateurs ont tenu à saluer l’extraordinaire élan de solidarité dont a fait preuve le peuple libyen «dont de nombreux membres ont accouru depuis les régions avoisinantes pour approvisionner la caravane en eau, nourriture et tentes». «De nombreuses autres aides, offertes par les citoyens libyens, sont encore en route vers le lieu de campement», ont précisé les initiateurs de ce périple aux allures de pont humain de Tunis à Ghaza.  Mustapha Benfodil

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