Icheriden est un village situé à 1065 m d’altitude, dans la commune d’Aït Aggouacha, et à 3 km de la RN15, reliant le chef-lieu de daïra de Larbaâ Nath Irathen à la ville de Aïn El Hammam. Une nature splendide, paysage pittoresque, sortie d’une terre montagneuse accueillante en temps de paix, mais si audacieuse en temps de guerre.
Cela nous renseigne sur les raisons toutes simples qui ont fait qu’Icheriden demeure un village que l’on approche, que l’on découvre par son histoire avant toute autre chose. Terre de liberté et de poudre à travers les temps, Icheriden a été le dernier rempart contre l’expansion meurtrière coloniale qui avait mis tous ses moyens humains et logistiques exceptionnels jamais engagés dans d’autres batailles et d’autres lieux.
Et c’est dans cet historique village que la Kabylie a été condamnée à négocier sa soumission par l’intermédiaire des 50 «amines» de tous les villages environnants dans le but de sauver des dizaines de blessés, des femmes des enfants et surtout de se reconstruire après une rude lutte contre l’armée coloniale française.
A la chute d’Icheriden, dernier territoire libre, pourtant «… jamais défendu en Algérie avec tant d’audace et d’acharnement», comme l’a écrit le journaliste Henry Dacarie le 16/05/1895, toute la Kabylie est tombée sous le contrôle de l’armée coloniale. Le maréchal Rondon et ses trois généraux ; Renault, Mc Mahon et Josephe Vantini dit Jusuf, avaient fêté la victoire finale qu’ils croyaient impossible, en ce tristement célèbre jour du 19 mai 1857.
La résistance a comme l’odeur suffocante de poudre, rejoint le ciel, les citoyens enterraient leurs morts et soignaient leurs blessés sous le contrôle pacifique des Français dont ils reconnaissaient malgré eux l’Etat et l’autorité, condition sine qua non de l’accord de soumission.
Afin d’éterniser cette victoire chèrement payée à symbolique guerrière dépassant les frontières, le gouverneur général Jules Cambon avait décidé le 12/04/1894 d’ériger à l’entrée d’Icheriden, «un monument que l’on voit de toutes les vallées qui nous environne» parce que comme l’a précisé Messelot, administrateur de la commune mixte de Larbaâ Nath Irathen, chargé de réaliser le monument, «la commune de Fort National, désireuse d‘honorer les morts qui depuis 38 ans reposaient sous la terre des Aït Yirathen ensevelis dans leurs gloires mais ignorés dans leurs tombes…»
Bien plus encore, Messelot était étonné de voir que «c’est la charrue qui a dévoilé les restes et les ossements des combattants».
Le monument construit à l’entrée du village, au cœur du massif kabyle que «même les légions de Rome n’avaient pu pénétrer», dixit le gouverneur général d’Algérie Cambon a été inauguré le 29/10/1895.
Ce monument, qu’une tentative de démolition a heureusement raté en 1963, était en granit blanc, à bas très larges de 5,7 m, d’une hauteur d’environ 7,5 m à la forme géométrique pyramidale. Sur les quatre faces sont apposées des plaques en marbre noir avec en lettres d’or : Ici reposent les soldats français tués dans les combats livrés à Icheriden, le 24 juin 1957 et le 24 juin 1871.
Des plaques arrachées par les mêmes énergumènes qui n’ont pas su entretenir l’autre monument des martyrs, construit en face de la pyramide de Rondon. Aussi, sont inscrits tous les noms des 103 soldats et officiers tués, dont les restes, demeurés intacts, sont enterrés, avec leurs galants, leurs médailles et objets personnels dans l’ossuaire aux deux galeries de l’édifice.
Le total des restes de soldats tués est réparti comme suit : 24 dans la fosse d’Icheriden, 9 dans la fosse de Taksebt, 36 dans la fosse de Ouaylal et enfin 34 dans la fosse d’Affensou.
Un état lamentable
Malgré la valeur historique d’un pareil monument, l’état actuel du site ne présage guère un avenir rassurant quant à la sauvegarde de celui-ci de manière rigoureuse et urgente. On remarque que les plaques de marbre noir ont disparu, ainsi que la quasi-totalité des plaques rouges du support dévoilé. Ce qui permet la pénétration des eaux de pluie et la poussée des herbes sur cet endroit comme nous l’avons constaté il y a quelques jours. Les matériaux protecteurs disparaissent graduellement et la «gangrène destructrice» a entamé son processus de rongement fatal au niveau du pied porteur du monument.
Quant aux indications, aucune plaque, panneau, écriteau ou autres ne renseignent sur la présence de ce monument qui, présentement, n’a rien à donner que cette image de désespoir pour une histoire pourtant inspiratrice et unique. Nous précisons toute fois que l’endroit, où est implanté le monument colonial d’Icheriden demeure, bien que l’accès soit totalement libre, d’une propreté irréprochable. Tout le mérite revient d’abord aux citoyens de la région.
Des projets à l’écoute
sommes entretenus avec le maire d’Aït Aggouacha, Saïdani Boukhalfa, qui nous a fait part de son inquiétude quant au degré de détérioration dudit monument. Il a confirmé par ailleurs : «Nous avons engagé la procédure de restauration de ce site avec la direction de la culture qui a donné son accord de principe, sauf que ce travail exige un architecte spécialisé qui n’est pas encore disponible dans l’immédiat en raison de la charge de travail puisqu’il n’y a que trois architectes spécialisés dans ce domaine.»
Saïdani Boukhalfa espère que cela se fera dans les meilleurs délais. A l’avenir, il espère même faire de cet endroit, historique par excellence, une destination touristique et culturel en créant des conditions nécessaires à cet éventuel projet, sauf que «le problème est que le terrain n’appartient pas à notre commune, mais à la direction des forêts. Nous espérons avoir une réponse positive de leur part», ajoute le P/APC, à qui ce projet tient vraiment à cœur. Il nous a annoncé au passage l’existence d’un caveau, sur ce mythique endroit où de nombreux citoyens de la région ou autres ne peuvent sacrifier une halte de quelques minutes au moins.
Ce sera un moyen d’éterniser le courage de nos ancêtres et les combattants reposant dans «l’ossuaire creusé dans les anciens retranchements que notre vaillante armée d’Afrique a dû enlever sous les feux meurtriers d’un peuple jusque-là indomptable luttant pour l’indépendance et qui s’est fait admirer jusque dans sa défaite».
Pour conclure, l’état actuel du monument d’Icheriden nécessite des actions de restauration et de sauvegarde urgente. L’usure du temps joue en la défaveur du monument qui dépasse un siècle de lutte contre la nature.
Pour le Monument des martyrs, construit en 1989/1990 situé juste en face à quelques mètres plus haut, le problème ne se pose pas puisque le maire Saïdani Boukhalfa nous a confirmé : «C’est nous, à la commune d’Aït Aggouacha, de prendre en charge tous les travaux.» S. Z.