Accord entre Ahmad Al Charaa et le chef des forces démocratiques syriennes (FDS) : Les Kurdes intègrent les institutions du nouvel état

12/03/2025 mis à jour: 14:41
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Photo : D. R.

L’accord prévoit «l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie dans l’administration de l’Etat syrien, y compris les postes-frontières, l’aéroport, les champs de pétrole et de gaz». Ce point est extrêmement important car il concerne l’administration autonome kurde du Rojava, le territoire couvrant le nord et le nord-est de la Syrie à majorité kurde, et qui, depuis 2015, est gouverné principalement par les Forces démocratiques syriennes (FDS).

Alors que la Syrie a été secouée ces derniers jours par des violences atroces qui ont fait des centaines de morts dans la région alaouite, Ahmad Al Charaa a signé ce lundi un accord avec Mazloum Abdi, le chef de la principale faction kurde, les Forces démocratiques syriennes (FDS).

Cet accord porte sur l’intégration de l’administration autonome kurde au sein de l’Etat central syrien. «La présidence de la République a annoncé la signature d’un accord visant à intégrer les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans les institutions de la République arabe syrienne, en insistant sur l’unité du territoire et le rejet de la partition de la Syrie», rapportait avant-hier l’agence Sana.

Le document paraphé par Ahmad Al Charaa et Mazloum Abdi stipule dans son article premier que le gouvernement de transition s’engage à «garantir les droits de tous les Syriens à la représentation et à la participation au processus politique et à toutes les institutions de l’Etat sur la base du mérite, indépendamment de leurs origines religieuses et ethniques».

La deuxième clause, qui concerne spécifiquement les Kurdes, insiste sur le profond enracinement de la communauté kurde dans la société syrienne, «et l’Etat syrien garantit son droit à la citoyenneté et tous ses droits constitutionnels». Au troisième point, le document proclame un «cessez-le-feu sur tout le territoire syrien».

«Une opportunité de construire une nouvelle Syrie»

Le quatrième point de l’accord prévoit «l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie dans l’administration de l’Etat syrien, y compris les postes-frontières, l’aéroport, les champs de pétrole et de gaz». Cette clause est extrêmement importante car elle concerne l’administration autonome kurde du Rojava, le territoire couvrant le nord et le nord-est de la Syrie à majorité kurde, et qui, depuis 2015, est gouverné principalement par les FDS. 

Les Forces démocratiques syriennes, convient-il de le souligner, comptent dans leurs rangs une part importante des Unités de protection du peuple (YPD), le bras armé du Parti de l’union démocratique kurde (PYD), qui n’est autre que la branche syrienne du PKK. Il faut savoir que même sous Bachar Al Assad, les Kurdes jouissaient d’une grande autonomie régionale, comme en Irak. En vertu de cet accord, les FDS consentent donc, vraisemblablement, à renoncer à cette autonomie en fusionnant avec les structures de l’Etat-nation syrien. 
Un autre point hautement significatif – le point 6 – consigne l’engagement des forces kurdes à «soutenir l’Etat syrien dans sa lutte contre les résidus du régime d’Al Assad et toutes les menaces qui pèsent sur sa sécurité et son unité». Enfin, les deux parties ont exprimé leur détermination à «rejeter les appels à la sécession, les discours de haine et les tentatives de semer la discorde entre les composantes de la société syrienne».

Aussitôt l’accord signé, le chef des Forces démocratiques syriennes a publié un message enthousiaste sur son compte X, dans lequel il s’est félicité de l’entente scellée avec les nouvelles autorités du pays. «En cette période délicate, nous travaillons ensemble pour assurer une transition qui reflète les aspirations de notre peuple à la justice et à la stabilité», a déclaré Mazloum Abdi, avant d’ajouter : «Nous sommes déterminés à construire un avenir meilleur qui garantisse les droits de tous les Syriens et réponde à leurs aspirations à la paix et à la dignité.»

«Nous considérons cet accord comme une véritable opportunité de construire une nouvelle Syrie qui embrasse toutes ses composantes», a-t-il encore souligné. Le message est accompagné d’une photo où on voit le président syrien et le leader kurde échanger une poignée de main chaleureuse, synonyme de cette entente cordiale.

Les FDS déposeront-elles les armes ?

Indéniablement, cet accord pèse beaucoup en ce qu’il apporte un précieux soutien à Ahmad Al Charaa alors que l’ancien chef de Hayat Tahrir Al Sham (HTS) est fortement décrié après les derniers massacres qui ont ciblé la minorité alaouite, et qui ont fait près de 1500 morts, dont plus de 900 civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. On peut le dire : les Kurdes viennent symboliquement de «sauver la tête» du président syrien par intérim.

A lire les nombreux commentaires jetant la responsabilité de ce qui s’est passé à Lattaquié, Tartous et Jablé sur Ahmad Al Charaa, force est d’en déduire que sa popularité a pris un sérieux coup. Le désignant à dessein par son nom de chef djihadiste (Abou Mohammad Al Joulani), d’aucuns parmi ses contempteurs ont laissé entendre que ce sont ses hommes qui ont commis ces massacres. Qu’au fond, il n’a pas changé. Qu’il n’est qu’un «crypto-terroriste» habité par les démons de son passé à la tête du Front Al Nosra qui, faut-il le rappeler, était affilié à Al Qaïda, puis à Daech.

Israël mène d’ailleurs une campagne féroce dans ce sens pour le discréditer, le qualifiant en gros de «terroriste en cravate». Nombre de capitales et de médias occidentaux ont également mis en doute la sincérité d’Al Charaa, s’interrogeant sur ses réelles intentions et s’il a vraiment la volonté d’engager des réformes démocratiques sur la base d’une gouvernance inclusive et de protéger les minorités.

La question maintenant est de savoir jusqu’où est prêt à aller Mazloum Abdi dans l’application de cet accord. Les forces kurdes vont-elles accepter de déposer les armes, comme l’a fait le PKK en Turquie ? Rien n’est moins sûr quand on sait que d’un côté, les FDS continuent de combattre l’organisation Etat islamique avec l’appui des Américains, et ces derniers n’accepteront jamais de voir désarmer leur principal allié parmi les forces autochtones dans la lutte contre les groupes djihadistes.

D’un autre côté, les Forces démocratiques syriennes sont en guerre contre les groupes pro-turcs soutenus par Ankara. D’ailleurs, dans cette histoire, la Turquie a probablement fait pression sur Ahmad Al Charaa pour obtenir la dissolution des FDS.

C’est sans doute ce qui explique son intransigeance lorsqu’il avait refusé récemment d’associer les factions kurdes, et notamment les FDS, à la Conférence de dialogue national au motif qu’elles n’avaient pas déposé les armes. Il a de la chance que les Kurdes aient fait prévaloir la raison et privilégié la voie du dialogue après avoir déclaré dans un premier temps que les résolutions de la Conférence de Damas ne les engageaient pas. 

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